PARTIR, PEUT-ÊTRE
Déjà le cinquième Ouest...
Des rivières inondées au milieu
D’une grande part de terre,
Des langues vertes boisées
Par endroit
Et des coquilles d’amande vides
Dans des corbeilles de fruits,Voilà aujourd’hui le lieu
Que j’habite,
Où les peaux de la brume
Collent une batiste
Humide
Sur des chiens laids
Et des femmes assommées,
Des enfants sans vie
Et des hommes sans faim.Est-ce que le vieux qui mord
La lune
Et bave en marcel,
Le soir après sa trempe,
Reconnaît sa bru au bout
Du poing ?Demain, peut-être,
Si j’ai la force de quitter Mamma Sue,
Je partirai.
A DEUX PAS D’ICI
Je perche à deux pattes
Sur une ligne noire
Poudrée à la blanche
Enchevêtrée
Parmi d’autres bois plantés
Dans le cœur d’un square
Isolé
(un peu plus loin
la Mairie).Des plaques de glace
Trouées en étoiles
Écartent les pas
Sur les trajets pendulaires.Étoilées
Les chaussées également
(mais de trous plus grands).La voiture du père Guy
Ne dévie pas pour
Autant
Les sursauts amusent
L’œil
D’un chien connard qui
Renifle les restes
D’une rixe où
La femme
Criait
Beaucoup
(l’homme gémissait sous ses coups).Des toits des branches
Et des portails
Des chutes de neige soufflées
Par le vent
En brisures de flocon
Laissent au sol
Des marques
Blanches
Comme les impacts
D’une balle
Jetée
Par la rage d’un enfant.
C’EST BON QUE TU SOIS LA
Des marches, par dessus le ciel,
Glissent dans un rythme
Qui m’atteint parfois.Ces marches sont d’une présence,
Pourtant,
A laquelle je ne prête pas toujours
Attention,
Et puis je reconnais ton pas.Tu ralentis l’allure et te penches
À toucher le haut de ma peine,
Les boules dures derrière mes yeux.Une ombre plus bas,
Au creux de mon nombril,
Reste pour continuer à
Témoigner du lien
Qui t’a nourri de mon ventre.Quand je t’oublie,
Ma main répudie ma défaillance
En touchant sous la
Chemise ample
Et plaquée à mon corps
Le berceau qui t’a porté
Et que je garde vide
Entre mes hanches.Fais voler demain
Dans mon jardin
Notre papillon,
Celui qui m’envoie ton salut
Par ses ailes à tes couleurs
Que j’avais choisies pour accueillir
Tes premières heures,
Et je saurai.J’y verrai un signe et le lirai
Comme une encyclique
Que je suivrai en fidèle,
Adossée au mur de ma maison
Et patiente avec les heures.Mais déjà, dans la pause
Que tu m’accordes
Au cours de ta balade –
Car je t’imagine
Marchant incessamment,
N’étais-je pas là pour te l’apprendre ? –
Je trouve un apaisement
Et rentre pour m’occuper
de mes vivants.A cet instant, c’est bon que tu sois là.
LA CHALEUR D’UNE ÉCHARDE
Un orage secoue la montagne
Dont les bois chutent dans la rivière
Qui referme la plaie des impacts
Puis laisse flotter comme des échardes
Les troncs flingués à la dériveUne glaneuse au ventre leurré
D’une lampée épaissie de moelle
Remonte le courant en tremblant
Sous un soleil froid qui l’éreinte
Mais la récolte est maigreletteEn toute hâte elle range le bois
Fait reculer l’heure du trépas
De ses enfants déjà malades
Car si tout meurt c’est bien ici
Qu’on ne les espère pas précocesOr elle y pense et elle échappe
La manne d’un fagot tout entier
Le fracas tonne et la réveille
Du songe de fer et de charnier
Où elle pleurait déjà ses gossesAlors dans un dernier sursaut
Elle remise le branchage épars
Retourne se jeter à la baille
Et s’épuise en vain dans les flots
Pour l’avenir de ses moutards.
LE TEMPS D’INFUSION
Dans une ville dézinguée
Des hommes amoindris
N’osent plus toucher leurs joues
Du fil de leur rasoir
Avant de sortir voir le mondePour payer leur écot
Des femmes à peine plus vieilles
Poussent et jettent leurs bicyclettes
Le long des fossés d’où
Elles tirent des orties de la
Menthe et du pissenlitDans le limon des jours crus
Tombent les heures de visite
C’est la recette instantanée
Des soupes et des pisse-méméTout le monde tache ses dessous
En égrenant ses misères
Fait croire qu’il a connu la guerre
Chante en chœur et à la tierce
Une berceuse où se mêlent
Des vols noirs et des cerises
Et chacun est content
Quand le soleil sèche les os
D’avoir parlé si haut
Dans son sang et ses humeursContre le jour la nuit s’adosse
Fermant leurs yeux d’une ombrée
Elle tend la main vers Azraël
Qui se penche et embrasse
Dans une envolée de mouches
Ces corps vêtus de flanelle
Avant de supprimer leur angoisse
En les baisant à pleine bouche.
Mini entretien avec Clara Regy
D’où vient l’écriture pour toi ?
Probablement de l’enfance. J’ai su lire très tôt, vers l’âge de quatre ou cinq ans, et cela a été vital pour moi dès cette période. Conjointement à cette activité dévorante, j’ai grandi dans un univers de silence, où prendre la parole était un acte qui pouvait entraîner des conséquences terribles et irréversibles. J’ai conservé de cette forme particulière d’éducation un fort empêchement à communiquer verbalement de façon fluide et sereine. L’écriture m’a permis dès l’âge de sept ans de sortir du silence, de conter des histoires bavardes sans que cela ne tue qui que ce soit dans ma réalité ou ne détruise des systèmes.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Pour le dire prosaïquement : je suis du matin. J’écris les premiers jets de bonne heure, et à la main. Sur des feuilles volantes, des dos d’enveloppe (pour la poésie), des brouillons, n’importe quoi que je puisse ensuite plier ou mettre en boule puis apporter devant mon ordinateur et recopier sur traitement de texte. Puis, j’ai une phase de relecture-réécriture l’après-midi. Je procède ainsi pour tous les genres (nouvelle, roman, poésie, novela jeunesse) à l’exception des albums 3-6 ans, que je peux écrire également l’après-midi, et parfois directement avec le clavier. Sans doute parce que c’est un genre très formaté avec beaucoup de consignes, et surtout un travail en binôme avec un illustrateur.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Une bibliothèque envahissante, avec des excroissances et des extensions. Qui couvre tous les murs du salon. Avec des étagères supplémentaires dans les couloirs, les chambres et la cuisine. Des auteurs classés par ordre alphabétique, des livres, des mooks, des revues. Et devant ces bouquins bien rangés, des piles en désordre de livres à lire ou en cours de lecture. Je ne suis pas bibliophile, donc on peut y trouver des livres de poche. A contrario, j’aime également les livres-objets de certaines actuelles petites maisons d’édition.
Quels sont les 3 mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?
Refus ; profane/sacré ; sensorialité
Bio-bibliographie
Anna de Sandre est libraire, et vit dans le Sud-Ouest où elle anime
ponctuellement des ateliers d’écriture. Avec une prédilection pour l’art
du bref, elle écrit indifféremment des nouvelles, des livres pour la
jeunesse et de la poésie.
Recueils de nouvelles :
Le parapluie rouge, éd. In-8, collection Alter & Égo (2014)
Recueils de poésie :
Un régal d’herbes mouillées aux Carnets du dessert de lune (2012)
Chemin faisant (Dessert) aux Carnets du dessert de lune (2012)
Jour de Jean-Jacques Marimbert, éd. Carnets du Dessert de Lune (préface)
Littérature jeunesse :
Iris et l’escalier, éd. Gallimard jeunesse (2012)
Revues et collectifs :
Les Cahiers d’Adèle #10
Brèves #94
Remue.net (été 2012)
Raise #09