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Annelyse Simao (juillet)

dimanche 16 juin 2019, par Cécile Guivarch

Photo : Yves Petit

Née le 31 août 1964 en Centrafrique, je suis arrivée en France à l’âge de cinq ans et demi, et en Franche Comté à Pontarlier en 1974. Le français est ma langue paternelle. Je vis à Besançon depuis 1996. J’ai mis au monde quatre enfants maintenant adultes, et qui m’ont faite grand-mère plusieurs fois. Professeure de français pendant près de 20 ans, je suis devenue assistante sociale en 2008. L’écriture poétique m’accompagne depuis mon enfance. Je m’apprête à vivre sous peu exclusivement d’amour, d’écriture, de peinture et de musique.

Extraits de Pas tes mains mais ma bouche, in Jadis contre un tronc, La Dragonne, 2001

des poètes d’antan sommes-nous différents
quand une absence un silence imprévus
suscitent douleurs corporelles pincements
du cœur mieux vaut se taire et vider ridicule

aujourd’hui dans le bus le regard d’un vieillard
s’est penché aussi loin que la vitre permet
poursuivre la silhouette blanche élégante
d’une femme étonnante il a fui de la tête
quand il s’est vu regardé pour ce vif attrait
involontaire on a beau dire que ça fout l’camp

il est plaisir des yeux qui attache aussi fort
que plaisir de la bouche et de jambes mais halte
aux plaintes des humains caducs ils apitoient
nous refoulerons liaison servile

*

tu palpes mes habits comme on éclate un fruit
des étoffes froissées dans le poing tu les portes
à ton nez pour en boire l’odeur du secret
tant rare des humains dont l’allure est alerte
tous avons quelque chose de gauche à travers
corps qui s’éjacule avec les ans nous heurte

adolescents signent défauts sur omoplate
moitié miroir et moitié masque nos fripes
révèlent en cachant cette part de mystère

qu’on appelait une âme jadis et si l’âme
n’existe demeure un obscur que l’humain vise
à circonscrire en s’habillant conforme et contre

Extraits de Dans un corps éloigné de mémoire, in Qu’il m’en reste partout, La Dragonne, 2005

A l’instant fulgurant du jouir  se quitter sans songer
à nos corps Nous parcourir  Revenir à l’étreinte au jet
dans la suite la question du oui accompagne en continu

A-t-elle un sens seulement pour elle
dans la bouche conquise  où l’obsède
cette pulpe ouverte sans que puisse jamais lui parvenir
de certitude complète

Il plonge en moi couchée Suis-je sous lui  au-dessus
Lequel attire quel conquiert
Qui des deux prend  qui des deux cède
sinon l’une après l’autre
         sa lèvre et la mienne

*

Avant que son sperme ne commence à glisser  où m’ouvrir
et m’investir je t’ai hissé d’avance du néant
T’égrène par syllabes en prénoms  te cherche une danse
forme ébauchée de ce qui vient

Sens ce toucher d’un manque  il me court sous la peau
Sors du rêve de plénitude  creusé par ton fardeau
Vide au ventre Lancé dans mon corps par des songes
sous leurs figures absentes je plonge
où te pétrir une vie  risque un élan et la mort
entre auparavant et désormais

Dans un visage sonore pressenti distinct
nous t’aurons choisi(e)  Jailli de notre ensemble
grâce au geste tant de fois recueilli dedans nos voix
         mon cœur se déchirera ton appel

Extraits de Nous chercher par les gestes, in Que je dise de vous les blessures, La Dragonne, 2010

De quel droit demander au-delà de tes noms date et
lieu de naissance de quoi vous survivez sans emploi ni
salaire quel sens vous accordez à cet abri de béton
aux murs et portes sales

Quelle joie peut encore germer dans les mots qu’on
assemble si ceux qui nous appellent sont empêchés par
tous ceux que l’on doit

Quel plaisir trouver dans des phrases quand les mots
défaillent à bousculer le monde

Si toujours aux mêmes gens la parole manque sans
avenir sans travail sans argent ni santé sans famille
ni espoir autre qu’envie d’objets réels à posséder
consommés

*

Une fille postée là sur son lit attend
la vacuité d’une songerie sans désir

Son suspens reste sans forme ni langage
Enveloppée dans les bruits répétés de quelques
sons elle les appelle musique

Elle s’occupe à naviguer sur son écran lumineux
à la recherche d’une étincelle d’un projet
qui la branche échafauder son lendemain

Vers quel avenir

Où sont-ils passés les étais concrets palpables
fantasmes châteaux en Espagne conflits rêveries

Des objets hétéroclites s’entassent autour d’elle
dans un début d’apocalypse

Extraits de A l’échafaudage, Aencrages&Co, 2013

toute la journée le pigeon a volé

de la branche d’un peuplier

à la croisée d’une fenêtre

chaque volet de l’immeuble est fermé

à semi ouvert sur le noir

façade bouclée

quelques reflets aigus

vitres cassées

pour les jeunes d’à côté

pas d’autre horizon

où promener leurs regards

*

hier c’était la guerre

hier le bruit des combats des tirs

des ennemis des agresseurs des violeurs

en violence

hier la jeunesse interrompue

s’est suspendue au couvre

feu

les souvenirs refoulés ressurgissent

dans leur voix dans leurs gestes

à chaque instant inattendu

puisse à jamais hier

rester passé

*

je bouge je bous je cours je marche roule et nage

pour calmer la pensée

la pousser à circuler

la sortir du passé de ce qui vient

d’arriver

l’ouvrir à ce qui va

la maintenir entrouverte

et respirer

malgré

Extraits de Une veste sur la branche, La Dragonne, 2015

quand je parle amitié  on y décèle amour

j’écris à quelqu’un sans dire qui
et l’on te croit celui pour qui je dis tu

combien de gestes impromptus inattendus
ont scellé d’avance       le devenir d’un couple

qu’entendra-t-on si je m’adresse à celui
me liant à la vie    chaque nuit    tous les jours

*

je te suis en vélo à la traîne    te surpasse
à la nage des raquettes aux pieds me pèsent
le canoë se renverse    quand tu y montes
je contourne à pieds la falaise    où tu grimpes

je me suis mise avec lenteur à ton pas du patineur

je t’ai chaussé de souliers roulants
la différence du genre    et l’écart de nos âges
s’estompent à la trace vibrante où nos êtres
nous propulsent en avant  verte vigilance

*

alentour    la différence entre nous

l’accès à l’un    l’ouverture à l’autre
mais toujours une préférence    un choix
le jugement pour celui qui serait ou ne serait pas
véritable poète

existes-tu    poète

quand c’est l’écrit qui te désigne ou nomme
et la force de ta parole
et le souffle de ta langue

existes-tu    poète
quand les autres t’admirent
te craignent ou te bafouent

nous délivrer de cette idée perpétuelle

le poète serait un et unique
sans possibilité de partage
sans autre compagnie que de l’aide
au quotidien    bien perdu
franchement fou un détraqué malade

un fantôme d’hier
en sempiternelle partance
par la nacelle du langage

Extrait de Mélodie des petits riens, Le dé bleu, 2000

Ces feuillets je voudrais te les offrir
Ouvertement comme un buisson tout naturel
Hors de saison dans son encre soudaine
Tu comprendrais le geste à peine
Un tremblement du bras une étincelle
C’est ton feu qui par mégarde m’a pris
Au rameau complice ma salive qui brûle
Je te fredonne pour l’inadvertance
De signes subtils qui poussent racine

De toute beauté éphémère
Le coquelicot est le plus gai si léger
Dans sa robe de sang
Il pavoise simplement au milieu des herbes
Ordinaire en bordure des sentiers
Où la main d’un enfant le cueillera
Et le retournera pour lui donner figure
D’une poupée végétale et princière
L’instant d’un jeu de métamorphose insoucieuse
Par la magie de ressentir en l’autre

Tes vers sont une drogue William une envie
Pressante de laper tes plaies avidement
Je pousse mon désir vers la porte de nuit
Où prélever une dose amère de vent
De venin goulûment ingurgitée
Pour la laisser ramper en cauchemar
Au matin je n’ai cessé de nous grimacer
Des souffrances tenues dans le silence
Des adultes qui furent enfants maltraités
Forts de leur douleur ils sont un regard
Qu’ils tiennent devant eux

Mes mots sont ceux des humbles qui ne savent rien
De ceux qui enterrent leur sueur se rendorment
Après leur premier cri sans y laisser d’empreinte
Car considère-t-on le fruit des multitudes
Vous qui pensez savoir depuis votre naissance
Quand même vous dites ne rien savoir
Par certitude Vous dont la mémoire
Est cage où grimpent des sages avec aisance
Vous que parole a traversés
Qui offrez des mots cités comme oseille
        - Prêtez votre petite oreille


Bibliographie

  • Mélodie des petits riens, Le dé bleu, 2000, 100 p., épuisé
    évoque la maladie, des amours qui se nouent et se dénouent, la mémoire
    douloureuse de l’enfance, et comporte un art poétique.
  • Pas tes mains mais ma bouche, La Dragonne, 2001, 90 p.
    exprime les tensions entre l’amour et l’écriture dans le couple, en interrogeant le geste d’écriture.
  • Dans un corps éloigné de mémoire, La Dragonne, 2005, 90 p.
    explore le mystère de la gestation, pour le différencier de celui de la création verbale.
  • Nous chercher par les gestes, La Dragonne, 2010, 100 p.
    parie l’écriture en poème, à travers les relations sociales et humaines.
  • A l’échafaudage, Aencrages&Co, 2013, 55p. avec 4 peintures de Christiane Cartignies,
    partage le sort de ceux qui se trouvent en périphérie de la société, dans un paysage urbain.
  • Une Veste sur la branche, La Dragonne, 2015, 105 p.
    livre-cadeau à l’homme aimé, aux tournants marquants de la vie de couple.
  • Lumières main tenues, Ed. Vincent Rougier, 2017, 40 p., avec des peintures de Catherine Viguier,
    se promène en musique à la rencontre d’autrui.

Livres d’artistes réalisés avec Jean-Michel Marchetti, Thierry Lambert, Catherine Viguier, Christiane Cartignies, Frédéric Cresson.

Présence en anthologie

  • Eros émerveillé, Gallimard poche, 2012.

Présence en revues

  • Décharge 180, Ficelle 129, Lettres Comtoises, N47, TRIAGES n°26, éditions Tarabuste.

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