Apirana TAYLOR : Pepetuna ; poèmes choisis et traduits de l’anglais (Nouvelle-Zélande) et du mãori par Manuel Van Thienen et Sonia A. Protti ; peinture de Germain Roesz (PO&PSY - Erès)
Commencer par la fin, la toute fin de ce Pepetuna et lire : « Ce trente-troisième volume de la collection PO&PSY dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot et publiée par les éditions érès pour le plaisir de leurs amis a été achevé d’imprimer en novembre 2019 sur les presses de l’imprimerie Mondial Livre à Nîmes », c’est déjà rendre hommage à la venue de ce florilège d’Apirana Taylor, aussi s’apercevoir qu’on est amicalement aimé, tout le long du chemin parcouru, depuis les mains des chères dir. de coll. jusqu’à l’antre de l’imprimeur, là tout près et pourtant mondialement qualifié - tel que son enseigne le souligne.
Un peu avant, existe un sommaire. Reprise des titres égrenés au cours des 86 pages à lire. Où l’on apprend que Pepetuna est un choix de poèmes extraits de A canoe in midstream et The breathing tree.
Encore avant, il y a quatre notices biographiques consacrées à : Apirana Taylor, écrivain-poète-scénariste-romancier-nouvelliste-conteur-acteur-peintre-musicien-voyageur, mãori pãkehã (européen) ; Manuel Van Thienen et Sonia A. Protti, ses deux traducteurs, aussi à Germain Roesz, peintre illustrateur, tous aussi pluridisciplinaires et actifs que l’auteur du recueil généreusement offert à la lecture.
Germain Roesz dont l’une des peintures « allusive et organisée autour d’un hasard reconnu » est visible sur une magnifique double-page en début d’ouvrage. Elle s’ouvre comme les ailes d’un grand papillon , clin d’œil au titre-nom - Pepetuna - papillon de nuit sur l’île du nord de la Nouvelle-Zélande, vert et de fort belle envergure. Un papillon-titre évoquant le poète, son île, son rêve de liberté inscrit au vent. Le vert pour la nature, la taille des ailes pour la puissance du vol - signal visuel de son geste d’écriture.
Un florilège qu’on cueille, recueille dans les yeux, comme la valse dudit papillon « allusif et organisé autour d’un hasard reconnu », se prend-on à rêver. Lumières du texte, nuit des questions posées au vol de la pensée, entre rêve réel et réalité songeuse, en vrai... en raiv.
Pepetuna, c’est donc ce texte tissé de poèmes trilingues avec notes, car les mailles de sa trame contiennent des mots-gemmes encore bruts, donnés à lire en langue maternelle ; toute traduction amoindrirait leur valeur sensuelle et sensée. Et waewae du pãkura, dernier poème, atteste de la véracité de cette tâche tisserande à laquelle se livre en toute connaissance Apirana Taylor quand il écrit. Il tisse la mémoire et la langue de sa vivante navette au cœur du li(e)n ancestral (flax), au gré des éléments, entre terre, ciel et mer.
Une place particulière est accordée aux vents chantants ou silencieux comme le poète. Le vent, le souffle, le vol : trois réalités, symboles aériens à la fois synonymes de force et de légèreté. Elles imprègnent la lecture à chaque page et dès la première que voici :
le vent souffle
le vent souffle
rugit et hurle
sur les sommets
rassemble les nuages
dans le ciel
gémit et gronde
râle et glace
les os il secoue
la maison la nuit
chasse les fantômes
le long des rues
et disperse le pollen
d’un éternuement
Il y a tout dans Pepetuna. La force tellurique et la céleste, celle des peuples autochtones contraints à la disparition et de savants enjambements d’un vers l’autre - image de leur survie. On pense au Chant de l’étoile du nord du poète aïnou, Iboshi Hokuto, il y a peu publié aux Éditions des Lisières ; aux Techniciens du sacré, anthologie de Jérôme Rothenberg (établie en français par Yves di Manno), présentant des textes « traditionnels » maoris, altaïques, africains, asiatiques, irlandais, chinois, sumériens, aztèques..., arpentant eux aussi rêve, visions et parole des morts ; bien sûr enfin aux poèmes et chants des Indiens d’Amérique du Nord - cette Partition rouge exhumée par Florence Delay et Jacques Roubaud.
Mais il ne faudrait pas croire qu’Apirana Taylor verse dans l’archaïsme, loin s’en faut. Sa manière l’emprunte également aux impressions stylistiques les plus actuelles comme les plus intemporelles : minéralité séminale des haïkus, écriture harangueuse et brève façon dazibao, poèmes lettristes ou bruités, aux signes enchevêtrés que ne renierait point certain E.E. Cummings. Jeu sur formes, au bout de la langue tirée : jeu sur sons, jeu sur signes ! Aussi une verve lyrique, épique et des interrogations telles qu’on en a au plus sérieux de l’enfance : majeures, simples, inouïes, puissantes et irréductibles.
Que dire de plus, sinon que lire ce petit livre blanc, enchâssé dans son écrin rouge, fait s’envoler l’esprit au cœur du cœur - des abysses et des cieux les plus immémoriaux.
Peut-être (remarque sans doute elle aussi « allusive et organisée autour d’un hasard reconnu » ?) que les poèmes vont souvent deux par deux - paires ponctuées par de récurrentes pièces isolées ayant tout particulièrement trait aux saisons.
Une chose est sûre, une fois refermée, les ailes du papillon Pepetuna laissent aux doigts du lecteur leur couleur, les teintant comme la langue d’Apirana le tableau du monde qu’il signe en la pointant.
Extraits
œuf
œuf dans nid
nid dans arbre
arbre en fleur
fleur en bourgeon
bourgeon dans oiseau
oiseau dans chant
chant en moi
tout
cœur dans poitrine
poitrine dans corps
corps dans ciel
ciel dans univers
univers dans cosmos
cosmos en moi
tout en un
dans la pulsation
petit canari
tu
as brisé
les barreaux
de
la cage de la vie
la beauté réside
aussi dans la
pulsation
de la mort
saut de grenouille
cette mare
comme
un miroir
reflète
le ciel
une grenouille brise
la surface
saute haut
par-dessus le soleil
et retombe
dans
une mer de nuages
or
ne vivez pas
juste pour l’or
le temps vieillit
le corps
toute valeur est perdue
quand le métal est vendu
recherche
une lutte de trente années
pour m’éclaircir les idées
afin d’écrire
eiséop
oésiep
ésiepo
siepoé
iepoès
epoési
pensée
une truite noire et grise
dans le courant noir et gris
dessinée par la lumière
nageant dans l’obscurité
Golden Bay
en silence les vagues se brisent
sur la rive obscure
plus forte que
la nuit éternelle
la stridulation
d’un grillon solitaire
larme
aujourd’hui
le lac Tutira
a l’air
d’une larme
tombée
de l’oeil
de Dieu
peintre
je bois
la couleur
peins le monde
avec
ma langue
fléchettes
les mots sont
choses dérisoires
aussi je les transforme
en fléchettes
et leur donne
des ailes
interrogation
un bourgeon tombe
avant d’éclore
je bêche le jardin
et me demande pourquoi
butinage
voletant sur l’horizon
un hélicoptère fait la guêpe
butinant le nectar du soleil couchant
dans les fleurs noires de la nuit
ouf
levent
abalayétous
mesmotsce
quisuitest
toutcequejai
oubliédedire
Jean Palomba
(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)