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Blancs Volants, entretien avec Hermine Robinet

lundi 4 décembre 2023, par Florence Saint Roch

(Proposé et transcrit par F. Saint-Roch)

FSR : Hermine, pouvez-vous retracer la généalogie de Blancs Volants ?

HR : Pour me former, je me suis inscrite à l’école supérieure d’Art d’Epinal/Université de Loraine, site d’Épinal, pensant apprendre la typo au plomb. Et alors que je suis arrivée, les plombs avaient été jetés à la poubelle, à l’époque, avec le développement du numérique, on prophétisait la mort du livre papier, et le seul apprentissage proposé passait par in-Design.
Pour obtenir mon diplôme de fin d’études je devais concevoir un projet. Afin d’orienter les projets de l’ensemble des étudiants, une thématique, « Utopie », était proposée. Mon utopie à moi était de créer une maison d’édition, d’où Blancs Volants, qui rappelle la réalité de la typo (en calligraphie, le terme « blancs volants » désigne les parties restées vierges d’encre dans le tracé sur le papier après le passage du pinceau.) Pour donner corps à cette « utopie », j’ai publié quatre petites textes : l’idée était de donner la parole à ceux qui détenaient un savoir-faire manuel (un maçon, un calligraphe, une relieuse, une fabricante en édition... de façon à valoriser tout ce qui était artisanal.
Restait, dans le droit fil de ce projet de fin d’études, à créer pour de bon une maison, qui est née officiellement en 2016. L’idée a pu se concrétiser notamment grâce au concours de ma cousine, Maude Sapin, et d’un grand ami que nous avions en commun, Lucas Boirat. Tous trois avions des métiers qui avaient partie liée aux livres. Maude était fabricante en maison d’édition, Lucas était graphiste et photographe, tandis que j’étais devenue libraire. En outre, tous les trois partagions une même passion pour la poésie et la photographie.
Aujourd’hui, le trio qui a permis le démarrage de la maison a évolué. Maude suit l’aventure de loin, mais la soutient. Je ne peux pas tout faire, tout décider toute seule. Plusieurs « petites mains » derrière veillent au grain : Annick Sapin m’aide pour du secrétariat et l’inventaire annuel ; Agathe Robinet, libraire elle aussi, gère le référencement informatique et m’aide pour le site internet ; la maison a aussi sa « bande » de correctrices : s’est ainsi formée une équipe de fidèles qui fait que l’aventure se poursuit. Partager un rêve a plus de sens que de le vivre seul dans son coin. Une éditrice, Claire Perrin, m’a rejointe aussi depuis l’été 2023. Son arrivée apporte de l’élan à Blancs Volants, des nouvelles idées. Lucas, graphiste et photographe de métier, porte toujours sur les projets un regard original et intéressant.

FSR : Pourquoi cette passion pour la poésie ?

HR : Cela vient de très loin, un goût de l’enfance : les poèmes étaient ce que je retenais le mieux, ce qui me touchaient le plus, me faisaient le plus d’effet. La poésie me paraît être l’essence de tout. En quelques vers, en quelques mots choisis parfaitement, on peut aller droit au cœur d’une émotion, communiquer une voix aux autres. Le roman, par comparaison, me paraît très culturel, alors que la poésie est une forme plus universelle : elle peut être entendable par tout le monde, à tous les âges. Elle détient autant de force à l’oral qu’à l’écrit. Elle me paraît la forme écrite la plus vivante, les voix y sont « brutes » - elles ne requièrent pas, comme dans la prose, la mise en forme d’effets, ni, pour que les lecteurs les perçoivent, diverses étapes d’intellectualisation.

FSR : Blancs Volants réserve une belle part à la photo. Quel est le rôle, quelle est la place de l’image dans votre démarche éditoriale ?

HR : La photo est aussi une passion commune aux trois « fondateurs » de la maison. Nous partagions l’idée de faire de beaux livres en faisant une grande place à la photo, de concevoir des livres précieux tout en essayant de maintenir un prix correct grâce à une impression offset de qualité. Image et texte lient deux voix qui s’inscrivent dans un même recueil. L’enjeu est de trouver la maquette parfaite, qui établit un juste équilibre entre les deux.
Dans l’ordonnancement, les textes arrivent d’abord, et nous travaillons longuement avec leur auteur.ice. Dans un second temps, quand le texte est bien en place, nous travaillons au versant photographique, avec cet objectif que l’image ne l’emporte pas sur le texte. Par ailleurs, depuis peu pour accompagner la sortie du livre, nous tâchons d’exposer les tirages originaux, présentons les travaux des photographes, organisons un temps de lecture devant l’exposition, soit en librairie, soit en bibliothèque...

FSR : Ceci nous amène à l’épineuse autant que cruciale question de la diffusion des ouvrages publiés. Comment vous y prenez-vous ?

HR : C’est l’étape la plus difficile. Nous gérons nous-mêmes notre diffusion. Nous travaillons avec peu de librairies, mais celles-ci ont un rayon poésie important. Avec ces librairies engagées, nous travaillons en direct. Nous sommes présents dans de nombreux salons pour présenter les recueils et y rencontrer des lecteur.ices. Depuis quelques années, nous développons les rencontres en bibliothèques, on y croise des lecteurs (de tous âges) qui de prime abord ne sont pas forcément attirés par la poésie, ou même qui en ont peur. Par ailleurs, pour notre diffusion, notre site est également un support, ainsi que les réseaux sociaux. Nous sommes en train d’en réaliser un nouveau en ce moment.
L’implantation de Blancs Volants à Sens entre aussi dans l’équation – c’est une position géographique centrale, à proximité de Paris, qui offre certaines facilités d’accès et de déplacements.

FSR : Comment articulez-vous votre travail d’éditrice et de libraire ?

HR : Les deux approches, évidemment, sont très compatibles, et entre elles, l’articulation est naturelle et facile. Un libraire est toujours dans la découverte. Être libraire, c’est être une lectrice, et certaines lectures sont sources de nouveaux élans pour l’édition. Un jour peut-être aurai-je ma propre librairie. Mais c’est un autre rêve, avec d’autres enjeux.

FSR : En tant qu’éditrice, comment choisissez-vous vos auteurs ?

HR : Chaque recueil est une aventure différente. Les salons permettent de rencontrer des lecteur.ices, et aussi des auteur.ices : y naît, s’y noue une relation. Notre début de catalogue, aujourd’hui, nous donne plus de facilité à montrer ce qu’on a fait. Pour qu’une voix retienne mon attention, bien sûr il faut qu’elle me plaise, mais aussi que cela soit en cohérence avec ce catalogue. Car on peut comprendre ce qu’est une maison en lisant son catalogue, juste en lisant les titres.
Le fait de ne publier qu’un seul livre par an engage à un choix draconien. Il faut y être rigoureux et sincère. Chaque livre est une prise de risque énorme, qui peut tout faire crouler. Dans cette mesure, tout prend une autre dimension. Et « microédition » ne signifie pas petit risque, bien au contraire. Cela dit, si j’éditais davantage de recueils, je n’arriverais peut-être pas à être satisfaite, à mettre autant d’énergie à chaque fois – et à avoir le temps et la disponibilité pour échanger et travailler avec les auteur.ices. Toutes les étapes de la création d’un livre, toutes les charges afférentes prennent du temps. L’important est que cela reste une aventure belle et joyeuse, et qu’elle n’ajoute pas de poids à un quotidien déjà compliqué. Autant garder des rêves qui restent des rêves, et qui ne se transforment pas en cauchemar…

FSR : Quel accueil vous ont réservé les institutions et les autres éditeurs de Bourgogne-Franche-Comté ?

HR : L’agence Livre et lecture a réservé un très bon accueil à Blancs Volants. Sylvain Loux a donné de bons conseils, et a très vite permis que la maison soit présente sur les salons. Tous les soutiens, tous les regards sont importants. Les interlocuteurs du Livre peuvent devenir des alliés. Il en va de même avec les organisateurs de salons et d’événements (comme Geneviève Peigné et Jean-François Seron qui nous avaient invités à « Samedi Poésie Dimanche aussi » à Bazoches-en-Morvan alors que nous n’avions que trois publications ! ), les libraires (peut-être le fait que je sois moi-même libraire m’a aidée), et d’autres éditeurs de Bourgogne-France-Comté. Règne une belle énergie dans cette région, les maisons d’édition sont nombreuses, il en est certaines avec lesquelles on partage des auteurs. On rencontre vite grâce à un livre : grâce à lui se tisse une forme d’intimité, un lien de confiance qui se crée naturellement. Alain Poncet, de la Clé à molette, Alain Kewes, de Rhubarbe, m’ont toujours fortement encouragée.

FSR : En quelques mots, pouvez-vous dire à quoi, absolument, vous tenez ?

Pour moi, Blancs Volants est un point-phare, une expérience fondamentale dans ma petite vie : c’est un ancrage et un réconfort (les livres, je crois, consolent de tout) et à la fois un formidable « prétexte » à de nouvelles rencontres. Ces quatre mots, ces quatre leviers que sont édition, lecture, livre et poésie renforcent pour avancer et aller vers l’inconnu qu’est la vie même.


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