Cahiers d’essai Marie-Claire Bancquart, sous la direction de Florence Saint-Roch.
Le 19 février dernier, Marie-Claire Bancquart, pour employer un terme qui lui était cher, « a franchi », et beaucoup d’entre-nous ont été affectés par la disparition de cette grande dame toujours si désireuse de « vivre encore », « bousculée, transitoire, allègre » (Qui vient de loin). À cette force de vie affirmée poème après poème, Terre à ciel veut rendre hommage, aussi le présent Cahier d’essai, fidèle à sa formule, explore la proposition suivante : Marie-Claire Bancquart : « On voudrait/mettre à l’épreuve/ l’horizon, son charroi de secrets/trouver un encorbellement//le piéger.// On sauterait la balustrade » (Verticale du secret).
Réfléchissant à ces vers, les contributions rassemblées ici (le principe étant que chacun travaille sans savoir quel angle de vue choisiront les autres) se croisent, se prolongent ou divergent profondément… Chacun suit sa route un pas derrière l’autre, lit à sa manière, écrit de même : autant de chemins qui donnent à voir l’impressionnant « tracé du vivant » si cher à Marie-Claire Bancquart.
Jacques MOULIN, Saut de l’ange.
Je retrouve Marie-Claire Bancquart ; je relis Verticale du secret [VS], et sa dédicace pointant « un absolu de l’éphémère » une expression qui renvoie aux vers « Vivre une sonorité légère/parmi les citrons, le soleil un absolu de l’éphémère » [VS81]. Je retrouve l’ange, cette présence de l’ange fort intrigante. Un ange qui est aussi la bête, le souffle animal, pour dire la nécessaire animalité au plus près du vivant, la force du vivant. Et cette joie d’être au concret du monde par les choses « tu entreras joyeux parmi les choses » [VS21]. Je songe au saut de l’ange, cette chorégraphie du corps plongeant ou dansant qui s’exécute en s’élançant les bras ouverts, les jambes réunies arquées en arrière, selon le TLF. Sans doute l’essor du poète dans la langue pour une pleine saisie de soi des choses et du monde, toutes ailes déployées nos antennes sensibles infra linguistiques depuis un « encorbellement piégé », bien loin du seul point de vue surplombant. Osons l’à-peu-près : en corps, bellement, offert à tous les univers pour se « pousse(r)/dans l’entrouvrure des choses » [VS28]. Pour proposer dans la saillie du bâti l’envol de l’oiseau… encore.
« On voudrait/mettre à l’épreuve/l’horizon, son charroi de secrets/ trouver un encorbellement/ le piéger. /On sauterait la balustrade » [VS27].
Sans la meurtrissure, celle de Jacob à la cuisse on comprend aussi au corps en général ou celle qui s’applique à l’esprit, on ne saute pas la balustrade. On reste cantonné. La claudication de vivre qu’entraîne la meurtrissure pousse à déborder son espace ; débordé, on tente un autre abordage. L’auteure met en chemin son personnage qui pour l’heure « n’aperçoit pas l’ange délieur de l’énigme/mais le reflet de son reflet » [VS13] et qui pourrait bien devenir cet « homme délieur de soleil » [VS24]. Il s’agit donc d’aller voir ailleurs, « [l’ange] regarde ailleurs/dans le profond du temps » [VS12]. Puis « l’ange tourne son visage vers lui (Jacob) », certes pour le toucher ensuite à la cuisse, mais plus précisément « pour le profond du corps » [VS39]. C’est dans cet empan entre soi et l’ailleurs que le poète tentera d’établir son lieu : le lieu du poème traversé par la langue du corps dans sa rencontre avec tous les « détails » du monde.
Sauter la balustrade n’est pas seulement explorer l’inconnu, ce possible « outre-espace, avec ses lunes naissantes/sa terre/autre et semblable » [VS27], c’est dans le même temps pénétrer « au profond du corps » bronches, système microcirculatoire, couloirs artériels, cavités dans le cœur [VS29] jusque dans les conduits internes, les caches surprenantes, les souterrains secrets. Comme une entrée en sa propre blessure ; un peu comme fait la bête pénétrant en plis intimes et caverneux ; « je voudrais […] /abolir aussi/les frontières de mon dedans/suivre un stage d’organisme simple » [VS41].
Ce qui nous amène à considérer ce saut de balustrade comme la recherche constante d’une langue à la mesure du corps dans la résonance du monde habité en plénitude. Si le « stage d’organisme simple » est un appel humble et pressant à demeurer « mieux en partage avec le monde », il est salutaire d’œuvrer loin de l’alexandrin ceux-ci glissent ou se font piéger par la ville moderne et ses cris publicitaires [VS47, 56] dans la sonorité délicate, les silences accomplis, l’entrelacs des corps et des éléments, du vivant et des lieux ; il est salutaire de parler la langue des mots découpés dans le lot commun des lexiques. « Aussi couper/dans la langue générale/un poème/pour le profond du corps »[VS39]. Le poème comme du bon pain coupé donc […] pain rond, villageois/pour l’odeur pénétrante/de chaque tranche [V39] qui parle la langue des mots coupés, c’est-à-dire autres que ceux du concept et du convenu ; mots ayant franchi l’espace du savoir et rompu avec les torrents de paroles afin de trouver, dans ce saut de l’ange depuis la balustrade, « des paroles sans mots/qui désapprendraient toutes les langues/même interstellaires » [VS43].
Béatrice BONHOMME, La corde à sauter dans le ciel d’une marelle.
Verticale du secret, on fait le poète comme on fait Icare, on monte, on se renverse. Mouvement ascendant vers l’envol d’Icare, verticalité de l’homme, mais portant déjà en elle sa précarité, son « secret » comme forces ésotériques et occultes de séparation, le secret secretum, venant de secretus, du verbe secerno, séparer, mettre à part, enfermer comme un trésor dans la main d’un enfant. Tout petit infini dans le poing serré. Envolée et séparation. Secret comme séparé, un trésor caché portant sa charge à la fois de beauté et de menace.
Horizon, ligne horizontale de l’infini, ligne circulaire où la terre et le ciel semblent se rejoindre mais qu’on ne peut jamais vraiment rejoindre ni attraper et que l’on voudrait cerner, circonscrire d’un trait de fusain. Impression de tableau, balustrade de Roméo et Juliette, balcon d’amour pour découvrir l’infini et l’horizon attrapé, piégé, mis à l’épreuve. L’horizon portant un charroi de secrets, de silences, de bleutés et de nuit. La nuit de Roméo et Juliette. Celle de l’absolu de la jeunesse et de l’amour, permettant le saut dans l’inconnu, dans la beauté.
Secret, mais aussi sacré, sacer. Qui appartient à un domaine interdit, inviolable, tabou, cercle sacré, templum provoquant le tremendum et le fascinans. Ce qui est profondément secret est aussi ce qui irrigue, ce qui marque souterrainement une œuvre, une création, car, toute œuvre de quelque importance est entée dans un secret, ce secret intime à l’œuvre que l’on parvient à ériger en architecture verticale.
Encorbellement d’horizon comme un oiseau piégé, un corbeau soutenant la construction d’architecture, mais dans la dentelle de l’envol des pierres. Une balustrade ajourée permettant à la fois le saut dans l’infini et l’enfermement du ciel dans le ciel de jour d’un paysage.
L’infini, l’horizon comme un signe de fuite et d’espace et son diminutif l’amour en bleu cerné roué de flèches et de coups échangent leurs provocations de nuit dans le secret d’une sérénade, sous les dentelles d’un balcon, Vérone aux robes de pierre.
Piéger l’animal sauvage en nous de l’infini pour essayer d’apprivoiser l’absolu sur fond de sérénade et de dentelles. Conditionnel de l’infini comme une enfance à rejouer dans les déguisements nervaliens de l’espace en coffre à pirates. Travail d’architecture d’hirondelles, nids de dentelles ajourés à la pierre. Point de vue de balcon sur l’horizon bleu de la nuit.
Florence Saint-Roch, Marie-Claire Bancquart, poète énergumène.
« On voudrait/mettre à l’épreuve/ l’horizon, son charroi de secrets/trouver un encorbellement//le piéger.// On sauterait la balustrade » (Verticale du secret, 175-176).
[On trouvera les recueils de Marie-Claire Bancquart désignés comme suit : Dans le feuilletage de la terre, DFT ; Verticale du secret, VS ; Terre énergumène, TE, selon la pagination de la magnifique édition récemment sortie en poésie Gallimard, M.-C. Bancquart, Terre énergumène et autres poèmes, janv. 2019]
1.
Marie-Claire Bancquart aime embrasser plus grand qu’elle : « prendre la montagne à pleins bras/par le torse/et serrer/toute/sa masse de temps » (VS, 239-240). Inspirée par ce qui la dépasse et l’éblouit, elle y trouve souffle et élan – de cette ferveur élémentaire qui permet d’affronter les revers et d’endiguer les chagrins. Et puisqu’elle est l’hôte précaire d’une terre « énergumène », elle absorbe son énergie, devient elle-même poète énergumène œuvrant, au propre comme au figuré, à la meilleure expression : « Prendre à pleines mains la minute/la serrer./Il en sort un fruit mûr […] » (TE, 319). Tel est l’énergumène : doué d’une force peu commune, naturellement excessif et constitutivement déficient, il s’agite, s’implique, s’évertue en puissance. Inaccompli, débordant de possibilités, il parle au conditionnel. Ce mode verbal, très lucide, en vérité, amène la limite et l’aléa au cœur des potentialités. Ce qui peut ne pas être réalisé peut à tout le moins être désiré et figuré ; et la poète, dans les vers qui nous occupent, d’en édicter les principes, d’en dessiner les linéaments.
Le conditionnel est à l’énonciation ce que l’encorbellement est à l’architecture. L’un et l’autre s’appuient sur l’épaisseur tangible, exercent une poussée, accomplissent une projection. Entre-deux suspendus, audacieux et actuels, ils défient les lois ordinaires. Quand le conditionnel s’amuse du réel, l’encorbellement, lui, se joue de l’équilibre et de la gravité : ni tout à fait dehors, ni tout à fait dedans, issant, saillant, jaillissant, il est une conquête sur le vide accrochée en surplomb. « On sauterait la balustrade » dit bien, avec le passage à l’italique (corps penché des lettres sur la page), la détermination de qui veut rompre avec les attaches usuelles. Ces vers vibrants (on entend l’allitération en [r]) affirment passionnément une poésie de l’audace : outrepassant barrières et barrages, la voici résolue à franchir les seuils : « Sans dépasser ton seuil […]. Jamais ton âme ne boira de si beaux voyages » (DFT, 101), et à s’engager « dans l’entrouvrure des choses » (VS, 177).
2.
Nécessité vitale, chance d’accéder à autre chose, « passage/vers l’oracle » (DFT, 56), le saut, s’il est toujours urgent, n’est pour autant ni improvisé ni hasardeux. Le poème dont sont extraits ces vers, dans son ensemble, retrace les étapes d’un « rituel d’emportement », ainsi l’énonce Marie-Claire Bancquart dans son anthologie personnelle. Tout exercice, en effet, requiert un protocole particulier. D’abord, « mettre à l’épreuve », « piéger », immobiliser ce qui toujours échappe (« l’horizon » fuyant avec ses insondables pesanteurs, « son charroi de secrets »), puis, après avoir trouvé « un encorbellement », opérer une manœuvre de redressement : passer de l’horizontalité à la verticalité. La manœuvre est très coercitive – un rien abrupte, n’était, et c’est là ce qui la justifie, l’effort qu’elle demande à qui la tente : puisque nous sommes en poésie, négligeons pour un temps le sens du mot (le corbel désigne le tablier, le soutien, la console) pour n’en retenir que le son (la poésie de Marie-Claire Bancquart s’adresse à bon entendeur) : trouver un encore bellement, c’est malgré les incertitudes (l’horizon qui sans cesse recule) et les questions (« charroi de secrets »), malgré les limites et les entraves (un corps « pas bien marchable » (DFT, 95)), oser s’élancer – avec panache et en beauté. Là est le dernier préalable : sauter la balustrade permet de pénétrer une dimension autre, celle de la « verticale du secret », un secret unique comme en délivre toute réelle épreuve de connaissance.
3.
L’espace est une fin qui commande, et celui qui n’accomplit pas le saut ne peut pas accéder à la connaissance. Il n’y a donc pas d’autre alternative que d’en prendre le risque, d’y jouer son va-tout. Cependant, on le comprend, il ne s’agit pas de s’élancer dans le vide, mais dans le plein (quelque chose qui s’apparenterait au fameux saut de la foi selon Kierkegaard) – d’espérer atteindre (en cet espoir encore une des valeurs du conditionnel) une complétude qu’on pourra saisir à bras-le-corps. La poète s’engage vers « la possibilité d’un monde » (VS, 177), s’essaie à débusquer un autre temps dans le temps, un autre espace dans l’espace, puisque précisément dans cet espace-temps second évolue l’énergumène qui, par-dessus tout, « aime être double » (VS, 177). À sauter dans le plein, ni peur ni vertige, nulle attraction vers le bas, nulle pesanteur, mais l’entrée dans une dimension gouvernée par de nouvelles lois : « On parviendrait/à l’outre-espace, avec les lunes naissantes,/sa terre/autre et semblable, et toute chose serait complète » (VS, 176), écrit Marie-Claire Bancquart dans le prolongement des vers que nous examinons. Le premier versant du poème s’inscrivait dans un temps négatif : l’ici-bas avec ses lignes infiniment fuyantes, ses lourdeurs, ses frustrations ; le deuxième versant déploie quant à lui un temps positif : un accès à la vue claire, une plénitude toute de promesse, de naissance et de fécondité qui ne se réalise que là-haut. Dans cet univers-là, mieux compris et résolument approuvé, la poète rejoint et grandit : « sors d’amertume/ […] Tu as passé le seuil./ Tu regardes/la maison croître doucement avec les graines » (DFT, 124).
4.
Cette succession n’est pas sans évoquer les étapes d’un cheminement spirituel : éliminer dans un premier mouvement ce qui constitue un obstacle, s’alléger des pesanteurs qui plombent, puis dans un second mouvement s’ouvrir à l’univers infini et s’unir à la Création. Marie-Claire Bancquart, dans ce poème (comme dans d’autres, bien sûr), délivre une expérience intérieure, transmet les éléments d’une mystique toute personnelle : « Nous supplions notre double, là-haut, de nous redonner un chemin vers la part inventive de notre temps » (VS, 166). Chez elle, on saute la balustrade comme chez d’autres on gravit l’échelle mystique. Certes, il faudrait étudier en détail les représentations du divin dans l’œuvre poétique de Marie-Claire Bancquart, examiner chez elle toutes ces formes d’oraisons, de prières, d’invocations, qui au fil des recueils construisent une spiritualité ample et élaborée. Plutôt qu’une religion, la poète convoque les religions (les mythologies antiques, les figures de L’Ancien et du Nouveau Testament, etc.), lesquelles se voient transcendées par une reliance à l’incommensurable cosmos. Ainsi reliée, la poète rejoint les espaces astronomiques et plus loin encore, hors de toute possible conception : l’« outre-espace », « autre et semblable » inséparablement, puisque telle est l’injonction souveraine – l’appel à être puissant qui gouverne tout l’univers vivant.
Françoise DELORME
L’homme sera
Toujours décentré vers la porte.
M-C. Bancquart
On voudrait
mettre à l’épreuve
l’horizon, son charroi de secrets
trouver un encorbellement
le piéger.
On sauterait la balustrade.
Ce qui surprend, au premier abord, c’est le mode conditionnel des verbes. Un poème de son premier livre, Mais, au titre paradoxal, est déjà intitulé avec force « Je voudrais ». Les limites étant sûrement une des pierres de touche de toute l’œuvre de Marie-Claire Bancquart, on le rencontre souvent : il occupe une place essentielle, jouant toujours avec ces limites, entre plénitude et incomplétude, entre désir et insatisfaction, entre le rêve et la vie.
Le monde vivant, mais aussi le cosmos, ne peut se concevoir entièrement, selon elle, sans une sorte de contradiction interne violente, écartelante et dans le même temps régénérante. L’appel à sauter dans le vide, pour échapper, peut-être, à cette tension exténuante, ne peut vraiment se conjuguer autrement que comme un rêve irréalisable, qu’il faut pourtant interroger sans relâche. Il s’agit là encore de « heurter l’impossible », d’accepter que seul l’illimité nous limite. Elle déclare dans Explorer l’incertain à propos de La mort, quartier d’orange entre les dents, que « la mort elle-même peut se révéler désirable, si je pense qu’elle va me fondre dans le reste de l’univers. [...] ce [qui] s’exclut, en tous cas, c’est la fascination noire du suicide. » Dans le poème « En retournant vers la joie » en plusieurs mouvements dont sont extraits ces vers luttent divers élans, l’évocation multiforme de nombreux visages du temps à travers des jeux de miroir, des questions-réponses renaissant les unes des autres, des images qui reviennent de loin dans le passé humain ou d’autres qui surgissent dans la vibration d’un battement de cœur. Des espaces s’ouvrent ou se ferment au désir, écartelés entre ombre et lumière aux bords d’un mystère qui chatoie en retournements successifs. Mais quel désir ? Un désir de plénitude, un désir vain si on l’en croit, à moins de demeurer exposé à la mobilité et dans la fugacité d’un « ici et maintenant » dévorant, mais vivante question, seul futur envisageable à la fin de ce poème :
Je suis pigiste de la vie.
Sans regret, mais en question, toujours en question.
Verticale du secret, Sens, éditions Obsidiane, 2007, p.30
La poésie de Marie-Claire Bancquart est tout entière habitée par une réflexion sur les vanités. Mais curieusement, même divisée entre des désirs contradictoires de fusion, d’envol, de fuite, de chute, elle met en valeur plutôt l’attachement, l’attention portée aux gestes amoureux, aux petits événements, aux petits animaux, aux petits miroitements de la vie tout aussi menacés que la poète, ce qui ne veut pas dire que celle-ci ne s’interroge pas sans cesse sur les appels de l’infini qui taraudent chacun, seul ou en groupe, qui finissent souvent par des massacres, des actes sans mesure, destructeurs et sans remède. De telles aspirations se déclinent généralement au conditionnel et ce jusqu’ à la fin de sa vie, même si ce conditionnel devient presque un futur antérieur, déjà, dans le présent de ces mots :
À force de travailler l’impossible, il y trouve pour finir un peu d’herbe, quelques pierres, de quoi loger avec le chat, qui n’en demandait même pas tant.
Mots de passe, Bègles, Le castor astral, 2014, p.115
Entre enfermement étanche et ouverture fusionnelle, nous construisons des tours pour nous y enfermer ou nous envoler. En vain. Dans un jeu complexe entre verticalité et horizontalité, la poète avance prudemment, entre parcours labyrinthiques dans l’humus, circulations hâtives et aveugles sans autre horizon qu’elles-mêmes qui fondent le corps vivant et rêves dangereux de brèches voués à l’échec. Elle écrit en acceptant, voire en provoquant l’énigme qui nous rend si précaires. Les poèmes naissent, étonnamment fragiles et opiniâtres dans un mouvement violent, sans illusion :
j’exhibe expressément
mon impermanence
noire ou éblouie
compagne de l’amour et des massacres.
Verticale du secret, Sens, éditions Obsidiane, 2007, p. 29
Il faudrait, comme il est signifié dans Violente vie, abandonner les dérisoires poursuites de l’impossible, suivre plutôt une voie minime (qu’elle nommera aussi « l’intervalle », assemblage savant et mobile de distances et de proximités, de déplacements si légers) :
Moi, je veux bien casser des murs à la trompette
avaler le soleil
fuir en dirigeable
mais à quoi bon ? Je n’échapperai pas.
Plutôt se dérouter
rêver d’une très petite bête
qui se serrerait dans notre chaleur.
Violente vie, Paris, éditions Le castor astral, 2012, p. 19
À la fin d’Explorer l’incertain, livre plus directement réflexif que d’autres, Marie-Claire Bancquart met longuement en scène Icare. Il est difficile de ne pas penser à lui s’il s’agit de tenter de piéger notre finitude, mais aussi de lutter contre une sorte d’impuissance constitutive ; figure de Janus d’un même élan difficile à cerner, voire impossible à identifier nettement. Il faudrait ne pas se tromper de désir, ne pas se laisser séduire à en mourir par un rêve d’absolu trop brillant toujours renaissant :
Ce que nous risquons : la bourrasque
dans laquelle Icare aux ailes brûlées
comprit cruellement que l’ombre tutoie le soleil.
Explorer l’incertain, Coaraze, éditions l’Amourier, 2010, p. 82
Le conditionnel, employé pour imaginer emprisonner l’infini, interdirait cette brûlure, un peu comme son emploi par l’enfant disant « je serais le chevalier et toi, tu serais le cheval qui... » l’empêche de croire à la vérité de ce qu’il fait, mais lui donne cependant de vivre une expérience rêvée : elle donne une grande intensité à sa manière de ressentir l’existence et libère réellement sa respiration. Et la poète proclame toujours à contre-pied une sorte de conversion au présent du corps, au corps seul vivant (donc mortel), une confiance accrue dans sa très intime sensibilité :
Le sang aux tempes, le cœur battant, le toc des artères,
c’est aussi ma parole
touchable
sous le doigt.
Mots de passe, Paris, éditions Le castor astral, 2014, p.128
Mais à la fin du même poème, se réveille le désir insatiable qui motive : monte à nouveau le désir d’un horizon, se déploie l’énergie d’un envol, se recrée la volonté de ne plus avoir de limites ou de pouvoir les toucher jusqu’à s’y confondre :
On rêve aux falaises, on rêve au navire
on repart dans le vent.
Mots de passe, éditions Le castor astral, 2014, p.129
Rarement une œuvre aura autant su faire la part entre tous les éléments d’une vie, sans jamais rien abandonner, un bonheur de vivre dans l’acceptation de difficiles contingences, une inquiétude philosophique déployée sur plusieurs fronts, une attention à l’infime fragile du quotidien comme aux catastrophes et chances historiques. Elle réfléchit sur la vie ordinaire et la mort ordinaire à travers des mythes qui l’ont accompagnée dans une enfance longtemps réduite à l’immobilité et nourrie de longues lectures et nous hantent depuis si longtemps qu’ils font comme partie de nous. Marie-Claire Bancquart, avec une grande confiance, ce qui ne veut pas dire en toute naïveté, déploie une volonté poétique ouverte aux possibles de la langue, même seulement rêvés, mêmes vains, et répond positivement à l’étrange appel qu’entendent les poètes, et tout un chacun attentif tout aussi bien : « Viens, dit quelqu’un » selon la belle formule de James Sacré :
Paroles du monde
Exhortation massive des choses :
ne demeure pas
dans le froissement de ta peau
n’insiste pas
sur ta patte d’os.
La mousse te supporte.
Le renard
pardonne à tes oreilles sans pelage.
Tu pourrais bien l’admettre toi aussi.
Ne pas se désister
quand le poulain voudrait de nous comme ambassadeurs
quand des rhizomes
jettent leur filet souterrain
sur nos épaules.
Parturition c’est nous
dans la sérosité somptueuse des herbes.
Et l’imprévu de toi
te couvre
comme un manteau de plumes.
Opportunité des oiseaux, Paris, éditions Belfond, 1986, p.35
Le conditionnel ouvre alors d’autres possibles, il rêve une adhésion au monde des vivants, à la terre profuse. Icare a bien sûr le dos couvert de plumes, mais c’est pour voler jusqu’au soleil. Différents d’Icare et semblables à lui, semblables à celui qui construit des encorbellements déjà déportés vers l’avant, des fenêtres à balustrade pour les ouvrir, pour rêver à plus grand que soi, pour élargir l’espace, au risque de se brûler, ici, les oiseaux (et la poète !) sont matériels, la terre enserre la vie, attire dans ses profondeurs autant qu’elle est le lieu du surgissement de tout ce qui se dresse dans l’air vers la lumière. Les poèmes, emportés dans un tel élan, conscients de devoir aussi lui résister, entretiennent une chaleur plus mesurée, seule propice à la vie, au partage rituel des mots :
Voici quelques mots tiédis au passage,
qui s’éparpillent au dehors, témoignant
que tu leur as donné un peu de vie supplémentaire :
clin de temps,
cri d’amour, de refus,
dans un pli d’univers.
Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, Sens, éditions Obsidiane, 2005, p.120
Deux vers résumeront finalement à la fois la persévérance des tentatives et la vanité de leur effort nécessaire :
L’opéra des limites
resplendira de tous nos essais incomplets
L’opéra des limites, Paris, éditions José Corti, 1988, p.100.
Maud THIRIA, « Le poème comme « maison-monde » : la quête infinie d’un lieu ».
« Dans ma pièce à imaginer/[...] je vous invite »
À la première lecture de ces vers, on est tout de suite frappé par l’emploi de termes techniques, de structure, d’architecture, la poète insérant dans sa langue des mots d’une extrême précision pour pouvoir sans doute le plus retenir ce qui ne peut justement être tenu, mesuré : « l’horizon ». L’encorbellement, la balustrade mais aussi le charroi et le piège, seule une structure bien précise permettrait de retenir l’immensité - ici l’horizon – l’indicible - ici les secrets. Comment dans la mécanique même des mots la poète pourrait-elle dire la vie dans son immensité, tenir l’univers tout entier dans les riens qu’elle seule restitue, elle qui se définit comme « pigiste de la vie » ?
Courber la ligne, (Yves Bonnefoy évoquait « les planches courbes ») la faire ployer puis la franchir d’un bond (« d’un bond de l’œil » comme le disait Philippe Jaccottet), la poète apparaît comme un bâtisseur d’espace où le monde, où tout le monde, serait accueilli, dans le poème devenu « maison-monde » (Mémoire d’abolie, p.6). Double mouvement dans l’énigme du poème entre horizontalité et verticalité toutes deux porteuses de « secrets » (Verticale du secret, dont sont extraits ces vers, et « l’horizon, son charroi de secrets »), entre retenir et franchir. Mais n’est-ce pas l’expression même de la poésie de retenir dans ses mots en invitant à aller vers l’ailleurs ?
1. Piéger l’horizon : courber la ligne
« Ici le cercle musicien/des abîmés de l’existence. » (Figures de la Terre, p.37)
La poète mise à l’épreuve de la vie (dans son corps enfant tenu en corset comme un piège, dans une pièce close hors du monde) met ici le monde à l’épreuve. Et s’adressant à nous lecteurs en employant le « on », elle nous invite à la suivre, à mettre à l’épreuve l’impossible en ouvrant tous les possibles du monde : « mettre à l’épreuve/l’horizon ». Ce qui est sans doute le moins palpable, cette immensité inatteignable, cet illimité énigmatique. Ce vers quoi porte le regard et plus loin encore le dépassant, la ligne, le trait, le lointain infini. La poète a l’audace de défier l’infini comme elle se (nous) lance le défi de vivre plus haut, plus loin. Sur cette « terre énergumène » autant qu’elle qui la parcourt, elle a la ténacité de qui n’a rien à perdre. Alors, elle piège cet illimité que constitue l’horizon et non seulement lui mais « son charroi de secrets », en le retenant par des limites justement très précises, une délimitation du langage. C’est justement par les termes employés, techniques, architecturaux et même juridiques (la mise à l’épreuve) que la poète semble le mieux à même de faire une structure pour le maintenir. Élaborer non pas une « structure d’horizon » comme certains poètes (Michel Collot, Structure d’horizon) mais une structure pour l’horizon. Convoquer le lointain en l’englobant dans les lignes d’écriture, le poème comme réceptacle du monde, de l’immense, et nous le donner à voir. On reconnaît la générosité de Marie-Claire Bancquart ici, partout accueillante de l’autre, la poète nous englobant dans sa langue, qui englobe le monde. Les lignes tel un filet viennent dire ce que l’on tente de retenir comme ce qui échappe toujours. L’encorbellement est là dans la verticalité de la page comme dans le vide des murs, sur les parois de la vie vertigineuse. A l’horizontal en saillie du mur, il vient élargir, créer un espace en plus où l’on pourrait s’accouder, regarder l’ailleurs. « Comptoir inconfortable/notre corps/malgré tout/permet de s’accouder à l’enseigne du monde. » (Opportunité des oiseaux, p.58). Et c’est justement là, dans cet encorbellement, que Marie-Claire Bancquart veut piéger ce lointain, courber l’horizon pour l’avoir à portée de main, faire un cercle autour de lui en le rendant atteignable.
2. Sauter la balustrade : franchir la ligne
« je plongerai dans l’univers multiple » (Figures de la Terre, p.33)
Au premier mouvement de courber le monde à soi, répond celui de retourner au monde et de retourner le monde à soi, dans un élan vertical qui serait comme une renaissance : « je voudrais pouvoir/confondre cette chair avec la mienne/la faire entrer comme/en inversion/d’un accouchement//dans mon corps » (p.217).
Comment tenir tout entier corps et âme, comment faire tenir l’univers tout entier, le ciel et la terre (horizon et charroi), les riens - puisque la poète se veut le « feudataires des riens » - et l’immense, dans le poème, l’horizon et le vertical réunis ici à travers le saut de la balustrade ? Elle nous encourage à franchir la ligne, à bondir dans un élan de vie, là où justement le corps est empêché. Consciente du manque de verticalité de notre regard « mais on manque/du grand air vertical » (p.278), elle vient nous inviter ici à sauter vers un tout retrouvé, l’horizon encorbelé, et nous libérés. On semble loin du suicide évoqué dans plusieurs poèmes de Marie-Claire Bancquart. Ici, c’est plutôt un saut vers la lumière, dans un tout réconcilié, ce qu’on peut comprendre sans doute dans la suite du poème, par le terme d’« outre-espace ». Il y a une réciprocité qui nous pousse dans l’intervalle, « le grand soleil brillait/seul/[…] il ne connaissait pas non plus cette réciproque dans nos corps/ce coup de sang qui va vers lui, étincelle et l’embrasse. » (p.219)
Il y a bien cet incessant va-et-vient circulatoire dans la poésie de Marie-Claire Bancquart entre les riens et l’immensité pris dans un même élan, sans hiérarchie ; entre le monde et soi, sans limite, le monde que l’on sent en soi ; et ici entre l’horizontalité et la verticalité, l’empêchement et l’élan, cette « verticale vers l’énigme » (p.218).
Inversant nos repères, elle nous invite à sauter dans l’intervalle : « deviens/le magicien d’inverse » (p.309).
3. Accueillir en poésie : habiter l’intervalle
« Un mot devenu soleil et lieu » (p.313)
Le mot contiendrait tous les possibles du monde et du sens. Le « on » nous contient tous et le conditionnel renvoie à tous les possibles, dans un dépassement de soi et de l’instant. Il s’agit bien pour la poète de trouver la « Syntaxe difficile de ce monde » (Figures de la Terre, p.32).
L’architecte Philippe Madec disait dans Visible ardent d’invisibilité : « La poésie creuse cet écart entre le monde et le mot, où se trouve la place du sens, à partir duquel l’homme peut habiter. » Et c’est bien un lieu à habiter que Marie-Claire Bancquart nous offre, dans ses mots et leurs résonances.
Les mots techniques permettant la structure ont aussi par le pouvoir de la poésie une magie évocatrice. La poète nous invite à faire place à l’imaginaire et au rêve : « trace une cartographie du songe » (p.278). Il faut aller au-delà de la ligne, au-delà du mot premier, en courber le sens ou plutôt en accepter tous les possibles. Ils nous accrochent par leur technicité énigmatique : on n’en connaît pas tous le sens. Mais ce n’est pas snobisme de la part de la poète, c’est une volonté d’accueillir au sein de sa poésie tous les vocables possibles du monde, le technique et le merveilleux, le technique contenant même en soi le merveilleux.
Ainsi l’encorbellement renvoie aussi aux bras qui enserrent en corbeille, entourant en étreintes, faisant de la ligne d’horizon comme de la verticale du mur une enceinte où accueillir. La poésie prolonge le monde en l’accueillant. Piéger comme on encerclerait. Mais c’est un cercle ouvert ici. L’encorbellement nous fait aussi penser par sa sonorité au corbeau avec lequel il partage la même racine « corbel », le noir et ses cris et bien sûr son envol. Mais ici Marie-Claire Bancquart nous invite à une sorte d’envol inversé en sautant dans l’horizon. On pense forcément à la mort associée à cet animal que l’on retrouve ensuite avec le saut de la balustrade. « La mort habite/ma maison sans fenêtre. » (Opportunité des oiseaux, p.33). Mais ici c’est un saut dans l’ouvert, dans la lumière d’un horizon atteint. La poésie accueille le monde dans toute sa plénitude. « Comme je t’ai cherchée, la vie,/dans les êtres de sang et d’écorce/dans la grande bouche de l’éléphant,/dans la miette de chair du scolopendre ! » (Figures de la Terre, p.77). Le charroi prend aussi les mêmes teintes multiples renvoyant aussi bien à la vie qui circule, le « charroi du sang » (p.45) qu’au poids et à la lourdeur. C’est à la fois le transport et la circulation mais c’est aussi le fardeau et l’on entendrait presque les gémissements de la terre en pensant à Jean Giono : « la terre gémissait sourdement sous le poids d’un énorme charroi. ». On est pris ici entre la grâce de l’envol et la pesanteur, la lumière et la noirceur (l’outre-espace faisant sourdement écho à l’outrenoir de Pierre Soulages) en contrebas, esquissée en second plan. La poésie est ce lieu contenant tous les inverses possibles, dans l’entrouvrure, comme lieu de l’intervalle. Entre le silence des secrets et la musique de la langue. Et l’on connaît son importance chez Marie-Claire Bancquart, en poésie comme dans la vie. On entrerait ici véritablement hors limite dans une musique du secret, au creux des sons du silence : « le ventre sourd/attend la fugue/du corps dans l’horizon ». (p.242). Et le mot fugue prend tout son sens ici entre l’élan et la musique d’une vie.
Ici plus d’attente mais un saut vers le multiple énigmatique et lumineux, dans une complétude convoquée et atteignable – on s’attelle au conditionnel comme une porte d’entrée vers ce monde possible qu’est la poésie.
« Qui te pousse/dans l’entrouvrure des choses ?//Qui te concentre sur un nom ?//- La possibilité d’un monde/où le temps/à la fois nul et déchiré/serait juste/un intervalle de paroles dans l’espace. »
Aude PRÉTA – DE BEAUFORT : « Des principes de surprise » (Marie-Claire Bancquart, Rituel d’emportement, p. 319).
Un texte court. À peine une étude. Pas « universitaire ».
On aurait dû écrire. Mais comme on ne sait pas, on essaiera de lire, une fois de plus.
Ici, les cinq premiers vers d’un poème de Marie-Claire Bancquart inclus dans une suite de Verticale du secret où la « Pigiste de la vie », délaissant les « Magies sombres », poursuit, « Retournant vers la joie » :
On voudrait
mettre à l’épreuve
l’horizon, son charroi de secrets
trouver un encorbellement
le piéger.
Énergie du poète, non moins « énergumène » que la terre – son lieu –, quand il va « Avec la mort, quartier d’orange entre les dents » (Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, Obsidiane).
Un peu à distance de lui-même, quand s’exprime son incessante et sérieuse fantaisie exploratrice.
Experior, d’un latin cher à Marie-Claire Bancquart. Pour dire le défi, le face-à-face, et le concret de l’expérience.
Les fables ?
Si nous parlons des fables, c’est juste
comme un herbage dru évite
aux fruits en chute
de se taler
(Verticale du secret, dans Terre énergumène et autres poèmes, p. 160.)
Révoquant certitudes et croyances, c’est « aux énigmes » que le poète a affaire. Ne pas se laisser prendre à l’illusion des « secrets » :
Qui demeure ?
un présage
que le ciel n’est pas illisible mais nu
comme un corps d’immense nageur.
(Verticale du secret, dans Terre énergumène et autres poèmes, p. 176.)
Seulement donc « Des principes de surprise » pour « se poser toujours des questions » (Rituel d’emportement, Le Temps qu’il fait / Obsidiane, p. 319.) – « Explorer l’incertain » (Explorer l’incertain, L’Amourier.)
Est-ce le lointain-familier de l’horizon qui tenta la rêverie ?
La terre est courbe à l’horizon
comme si notre ventre était étendu là
et nous attendait pour une autre existence
plus grandiose, dans la sérénité des éléments.
(Anamorphoses, Écrits des Forges, p. 110.)
Ou la séduction inopinée du mot « encorbellement » ?
Pas tout à fait un caprice du poète, néanmoins, ce surplomb qui se décline au noir quand l’être aimé est absent – « La vérité […], c’est qu’on se tient / sur un rebord très approximatif des choses » (Verticale du secret, dans Terre énergumène et autres poèmes, p. 178.) –, dans une version plus heureuse au passage d’un « nuage nuancier » – « On vit sur un rebord heureux du temps / de quoi se souvenir » (Terre énergumène, p. 342.) Marges voisines de tous les intervalles dont l’existence est creusée et que la poésie de Marie-Claire Bancquart ne cesse d’interroger :
Oui, l’intervalle
Tu crois te dépouiller
de l’intervalle ?
Tissé avec ton corps
tu n’en saurais tirer
nulle fibre
sans
filer toi-même comme un bas.
L’adhérence
elle est là, étrange :
tu ne fais qu’un avec l’écart mince, fondamental,
vers
le début d’abîme
et
le début de joie
(Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, p. 59.)
Piéger ? — « Projet » ancien :
Parier le partage
Prendre au piège
Le positif de moi grâce aux ténèbres d’à-côté ».
(Mémoire d’abolie, Belfond, p. 48.)
Explorer cet « ailleurs » qui « commence à nos muqueuses » :
Un fragment d’invisible
mûrit
jumeau inclus dans notre corps.
(Sans lieu sinon l’attente, Sens, Obsidiane, p. 20).
Découvrir l’étranger dans l’intime et entrer dans l’intimité de ce « haut-fond d’inconnu » (Opéra des limites, José Corti, p. 29). Accueillir « À rebours » sa parenté avec l’élémentaire, « rebrousse[r] » vers son « corps océan » (Ibid., p. 41) :
On sauterait
la balustrade.
On parviendrait
à l’outre-espace, avec ses lunes naissantes,
sa terre
autre et semblable, et toute chose serait complète.
(Verticale du secret, dans Terre énergumène et autres poèmes, p. 176.)