Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Un ange à notre table > Catherine Lamagat

Catherine Lamagat

samedi 3 avril 2021, par Cécile Guivarch

« Depuis petite » (extraits)

Tout est ici, stocké où elle écrit, où elle s’assoit. Où qu’elle s’en aille elle est ici, où est son corps, ici que ça se soigne, ici que ça s’entend. Des jours sans rien, puis elle l’écrit. Les mots s’écoulent et vibrent comme ça vibre entre les feuilles avec le vent, la lune, le soleil. Ici elle tremble un peu, s’essaye à l’immobile, elle va jusqu’au silence, comme elle peut.

Ҫa se forme, se déforme, se tend puis se détend. Quelque chose bouge de cette manière en elle. Une vibration, un tremblement qu’elle affectionne. Instable et réjouissant.

Est-ce qu’on se le dit qu’on ne peut pas tout. Est-ce qu’on s’arrête un jour de tout comprendre. Est-ce qu’on s’use ailleurs que dans le corps. Est-ce que la pensée s’use. Est-ce que quelque chose dans l’univers s’use. Est-ce que la mer s’use, est-ce que l’eau s’use, le sel. Est-ce que vivre est une question, une réponse. À trop penser, sa tête se transforme en cathédrale.

Elle marche. Elle sait, tout ça ne mène à rien. Et puis si ça s’effondre un jour, si tout s’effondre, après tout ce n’est pas grave, on aura fait notre chemin.
Petite elle dit : depuis tout le monde il a lieu. L’effondrement il est tout le temps.

Elle est petite et c’est en vrai, l’eau du caniveau, bateau. En vrai papier. Le vent aussi sur la rivière, nuée de brume, poussière, en elle ça bouge en vrai, de toutes parts.

Elle s’en souvient c’est un éclair. Sur le tableau d’un coup les mots, toute la phrase, et l’émotion soudain d’avoir compris ce que les signes font sur terre. Elle lit, elle lit enfin. Fallait que ce soit vital pour que les mots s’ordonnent dans sa tête. Encore, maintenant, pour qu’elle écrive.

Maintenant elle se protège du trop de mots, de ceux principalement qui passent partout. À se protéger elle en oublie, qui se perdent. De plus en plus y’en a moins mais peu importe. Elle sent la place de ceux dont elle ne se souvient pas, la place du doute dans son corps. C’est embêtant pour vivre.

Elle pense c’est fou comme les oiseaux sont nos voisins. C’est fou comme on est nous, comme eux sont eux, comme on se lie sans se connaître. C’est fou comme les mots font ce qu’ils veulent. C’est de bonne guerre, elle pense, à tant les agiter.

Jamais elle n’oublie l’heure, quoi qu’elle fasse. C’est dans mon corps, elle dit, une impatience sans but, sans nom, juste l’envie toujours d’en sortir, sauf écrire. Elle pense tout le monde écrit. L’important est qu’elle écrive ce qu’elle veut dire. Pour savoir.

Ces drames, les jours d’orage, de grand vent, les nids défaits, les fleurs, les plantes courbées par la tempête. À force de quoi est-ce qu’on devient, elle demande. À force de suer, d’écrire ? À vieillir, elle baisse, la vue. Les choses perdent un sens pour un autre. Une direction, et puis une autre.


Entretien avec Clara Regy

Vous écrivez depuis longtemps, depuis toujours... Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Jeune, écrire m’a appris à extirper des mots de mon intérieur, à entendre ce qu’il s’y passait. Les mots peu à peu ont basculé vers l’interrogation : ce qui m’entoure, le monde, le vivant, le sens de tout ça. Je confectionnai alors des livres artistiques pour recueillir ces poèmes et les donner à lire.
Aujourd’hui, j’en suis encore surprise, écrire a pris le pas sur ma vie de musicienne, et chaque matin de ma vie a rendez-vous avec un passé qui s’écrit, se mêle au présent, dans une écriture en travail, en recherche, qui toujours et inlassablement (se) pose des questions. Depuis peu (2020), je propose mes textes à des revues et m’ouvre plus largement à la création littéraire et poétique contemporaine.

Dans notre « échange » vous unissez « corps et écriture » pouvez-vous nous éclairer sur ce lien ? Cela tient peut-être à vos multiples activités artistiques, chant, théâtre… ? Racontez-nous.

J’ai la sensation d’écrire comme en apnée, liée pleinement à quelque chose d’un rythme qui me traverse, une émotion profonde de laquelle j’essaye de ne pas m’éloigner en écrivant. À ce moment de l’écriture, je ne pense pas, je suis un flux physique. C’est un peu comme une sorte d’appréhension globale du monde, non linéaire. J’ai véritablement l’impression que c’est mon corps qui me dicte des mots apparemment sans lien, mon corps-ressenti, avec toutes ses ramifications émotionnelles, tous ses liens non raisonnables et non- rationnels.
Lorsque je travaillais avec des danseurs (je composais et jouais pour des pièces chorégraphiées), et que nous cherchions, par l’improvisation d’abord, ce que serait la matière de la pièce, j’avais le sentiment d’un même état du corps « tendu vers », tout en rythme, en mouvement perpétuel, le corps s’arrêtant mais continuant à l’intérieur. Musicienne improvisant comme eux, j’étais dans un lien physique, comme si ensemble, nous rythmions l’espace et ce qui nous traverse.
J’essaye, je crois, dans mon écriture, de retrouver ce lâcher, cette spontanéité du ressenti, sans filtre, sans a priori, je cherche à ce que, dans un premier temps, le mental contrôle le moins possible. Ensuite, je retravaille les textes, oscillant entre retrouver cet état et le canaliser.
C’est ma nature d’artiste musicienne sans doute qui me fait agir ainsi, pensant l’écriture comme un prolongement du corps, comme l’est le violon quand je le joue, comme l’est la musique quand je l’improvise et qu’elle passe à travers moi.
Mais peut-être des non-musiciens se reconnaîtront-ils dans mon propos ?

Le poète est un citoyen, un habitant du monde, vous suivez ce que l’on nomme « actualités », quelle place le poète doit-il ou peut-il prendre dans ce monde ? En quoi serait-il prégnant dans votre écriture ?

Cette question de l’actualité me taraude en permanence. Bien que me tenant très au courant des questions sociales et politiques, des avancées et reculs des inégalités et des discriminations, l’actualité est pourtant peu présente dans mon écriture, tout comme la musique qui a constitué (et est encore) ma vie professionnelle. Il y a parfois des coïncidences - un événement croise le contenu d’un texte -, ou bien des allusions sur ce qu’il se passe socialement, mais le sujet reste à la marge. Peut-être ces choses apparaissent-elles en creux dans mon écriture, je ne sais pas. Peut-être un jour trouveront-elles un chemin plus évident sur ma page.
Je sais aussi que quelque chose hésite en moi car : ce qu’il faut d’humilité pour parler de ceux qui souffrent sans risquer de parler de soi, sans risquer d’être bien-pensant, sans risquer les lieux communs. Et lorsqu’on aborde des sujets qui frôlent le politique, il est tellement difficile de ne pas tomber dans la bienséance ou la critique. Il faudrait parvenir à ouvrir vers autre chose, une autre forme de penser le monde et la souffrance. Si je ne m’y risque guère (pour l’instant ?), je suis heureuse de lire les poètes et poétesses qui s’y frottent car je suis convaincue qu’il faut dire, ouvrir des directions de pensée, de regard, éveiller et aussi témoigner de choses sur lesquelles on ne s’arrête pas d’ordinaire, les choses invisibles, les choses lentes. C’est ainsi que je vois la place du poète dans le monde.

Quels auteurs poètes ou non, peuplent votre univers, ou vous ont influencée, inspirée ?

Je ne suis pas une lectrice assidue car j’ai grand besoin d’être dans le rien, de laisser les choses entrer et travailler en moi sans superposer trop de couches. De façon générale, j’aime les créateurs qui m’interpellent et me font me poser des questions.
Mes accompagnateurs-éveilleurs en poésie ont été (et sont toujours) : Antoine Emaz, Mamoud Darwich, Emily Dickinson et Fernando Pesoa, en littérature : Jón Kalman Steffanson et Antonio Lobo-Antunès dont les écritures me fascinent. La lecture de Beckett, Sarah Kane et Daniel Keene, en théâtre, m’a ouvert des horizons de pensée et la possibilité d’autres formes d’écritures.
Mais je dois parler aussi de la découverte de compositeurs comme Giacinto Scelsi et Arvo Pärt qui, avec leurs sonorités nouvelles, fluctuantes, avec ces paysages faits de couches sonores sans mélodie, ont été une révélation. Côté peinture, je dois également à l’art brut et aux peintres qui travaillent la matière (Soulages, Debré, etc.) cette ouverture vers une autre perception de la réalité.

Et question subsidiaire ; si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?

Chacun, selon qui il est et où il en est de son chemin, va se tourner vers une forme de poésie ou une autre. Pour ma part, j’aime qu’elle soit organique - sentir qu’elle a été écrite de tout son être, de toutes les forces possibles -, qu’elle soit transformatrice du langage - j’aime être bousculée par une sorte de sens dessus dessous de la phrase qui réussit une transmission par d’autres canaux et en ouvre d’autres -, et éveilleuse - l’écriture travaillant à être un écho de ce qui, peut-être, résonne en chacun. Mes préférences vont vers cette poésie là sans toutefois que mes lectures s’y limitent. À ce sujet, j’admire le travail de fourmi que font les revues et éditions poétiques. Elles permettent de rencontrer des écritures différentes, parfois familières, parfois lointaines, et surtout des écritures qui m’ont montré un chemin pour oser aller plus loin encore dans la mienne.

J’ai mêlé tour à tour écriture et musique, écriture et arts plastiques, écriture et vidéo, on peut en avoir un aperçu en suivant ces liens :
Vidéo-poèmes
Arts plastiques (et mots)


Catherine Lamagat est née à Brive et vit dans les Pyrénées Atlantiques.
Violoniste et chanteuse, elle enseigne d’abord en école de musique puis collabore à de nombreuses créations théâtrales et chorégraphiques en France et à l’étranger, puisant son inspiration dans l’improvisation qu’elle pratique chaque jour.
Depuis petite elle écrit mais n’est entrée dans une démarche d’édition que très récemment (2020). Elle vit désormais très près de la nature, et l’écriture est devenue un souffle quotidien qui s’exprime au travers de poèmes, proses et nouvelles fantastiques.

Bibliographie

En revue :
Recours au poème (sept 2021)
Lichen (décembre 2020 et janvier 2021)
Libelle (en 2020), Florilèges, et Comme en poésie


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés