Photo ©Thierry Hensgen/Institut français
Cécile Oumhani est née à Namur (Belgique) d’une mère écossaise et belge et d’un père français. Elle a grandi entre l’anglais et le français. À l’âge adulte, elle a développé des liens très forts avec la Tunisie par son mariage. Agrégée de l’Université et docteur en littérature anglaise, elle a fait ses études en France. Elle a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil, spécialisée dans les écritures de femmes dans les littératures post-coloniales jusqu’en 2012. Elle se consacre désormais entièrement à l’écriture.
Elle est poète et romancière. Son écriture aime à investir des lieux et des cultures autres. Les liens qu’elle a noués avec la Tunisie ont nourri plusieurs de ses livres. Elle participe à de nombreuses rencontres et festivals en France et à l’étranger. Elle collabore avec plusieurs revues, dont La Traductière, Babelmed et Words Without Borders. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Siècle 21.
Elle a reçu le Prix européen francophone Virgile 2014 décerné pour l’ensemble de son œuvre.
A l’abside des hêtres
Le fil de ton angoisse
Emprunte l’arête des toits
Affamé d’invisible
A jamais avaleur d’espace
Une lame glacée
Au faîte de ton heure
Au bord du vide
Tu refuses l’évidence
Le cours trop simple
De la rue grise*
Tu avances
Mû par la connivence
Des sources
Nourri du grain de la terre
Pourtant la nuée
D’une épée de ténèbres
Emporte toute saveur
Et bafoue ton pas d’aveugle(in A l’abside des hêtres, Centre Froissart, Valenciennes, 1995)
Vers Lisbonne promenade déclive
La mouvance des terres nouvelles
Aplanit l’impatience de l’être
Et comblent la vacuité de l’envol
A renforts de tracés insoupçonnés*
Retrouver les contrées de l’été
A tâtons au creux de soi
Et l’empreinte pour signer
L’avant puis l’après
Là où la terre façonna
Avec la rencontre des formes
Un parfum de couleur(in Vers Lisbonne promenade déclive, Encres Vives, Colomiers, 1997)
Des sentiers pour l’absence
Lieu creusé de nos mains
Pour la couche des songes
Sait-il encore tendre ce bleu
Sous l’arc des paupières ?
Son reflet venait
Se dissoudre dans la lumière
Et laissait au front des rochers
La discrète empreinte du temps*
Le cercle est fermé
Au-delà de nos pas
Et l’arbre messager
Se perd dans la brume
Fragile le vol
De l’oiseau revient
Etourdi de ce que
Nous n’avons pas vu(in Des sentiers pour l’absence, Le Bruit des Autres, Solignac, 1998)
Chant d’herbe vive
Au cœur du bois, le cercle d’un étang gelé, lieu d’un regard possible... Une vaste paume de glace, avant-goût de migrations stellaires. Autre saveur par-delà l’être et la nuit qui ricoche sur une surface grise. Nos corps engourdis se figent loin du rêve. Se pencher vers l’hiver et y transcrire les mutations qui ont scellé notre exil. Dans les feuillages recroquevillés sous le givre, lire la fragilité de notre passage.
*
Tu scandes le passé
Par des chemins creux
Qui s’abîment dans la brume
Tu cherches à l’orée de tes doigts
La parole du torrent
Où s’est replié
Le verbe d’autres destinées(in Chant d’herbe vive, Voix d’encre, Montélimar, 2003)
Demeures de mots et de nuit
Retrouver la source des mots. L’intimité avec le lit caché de nos jours. L’autre de l’ombre. L’autre éperdu. Source vive, eau multiple aux rives obscures.
Le ciel, aire du passé
Murmure à notre conscience endormie.Retenir la trace sombre
Le legs de nos visiteurs muets.Où es-tu ?
Dans ces cortèges d’étoiles mortes
Qui éclairent nos nuits.Et le sol... à nos pas sourds
Tant d’histoires perdues.*
ReconstructionsDes peupliers pour le séjour d’âmes mortes. Migration de la sève, espoir d’ascension. Le souffle des feuilles panse l’acuité des lignes. La terre rêve le repos de courbes rendues. Étreinte patiente pour une consolation muette. Terme des mutilations, toute soumission abolie.
Et le temps pour l’oubli
Il s’élève à pas lents vers la nuit(in Demeures de mots et de nuit, Voix d’encre, Montélimar, 2005)
Au miroir de nos pas
Sur un rebord de coteau
Un merisier penché
Dévide dans l’ombre
Le fil bleu de l’horizon
Jusqu’à ces images
Hissées par le rêve*
Les mots s’effacent
Consumés par l’attente
Ultimes cendres de midiAu pont roman
Sans relâche l’onde
Porte puis efface
Ses calligrammes de lumière(in Au miroir de nos pas, Encres Vives, Colomiers, 2008)
Temps solaire
Limpide le jour a décrit son cycle
Et nous passants égarés sur la terre
Attardés à la table du soir
Repoussant en vain
Le ressac muet qui nous ébranle
Et cette étendue rêvée pour une vie perdue
Là-bas au fond d’un champ
Semé de fleurs dont nous ignorons le nom*
JointuresEntre la nuit et l’aube le choc des pierres
comme mots mats
______ lancés par la vague
______ puis restés sans réponse(lettres passées sur papier jauni
au fond d’un tiroir qui sent la cire)Épris de ce goût du vent où roulent les nuages
À l’infini de fenêtres fermées
À tâtons
Nous cherchons sur la couture d’un drap
Le fil d’une histoire qui s’épuise
Et le nom de ces choses très simples
______________________________qui s’échappent glissent(bleue et grise l’eau de la mer
et sur la peau l’odeur du large)En vain les doigts
Dans la coulée lisse d’une rainure du bois
Traversent
La fraîcheur livide du marbre(bleue et grise la lavande
brins égrenés dans un fond d’armoire)Entre la nuit et l’aube
Enfoui comme autrefois
Enfui comme autres fois
L’écho perdu d’un battement d’horloge
devant était sans fin
demain était toujoursMétal froid contre la peau
Et sur le verre
Brève empreinte d’un souffle
Déposé en mémoireLa main se referme
Vouée peut-être à n’étreindre que le vide
(chemise de lin pliée
fût-elle portée même une fois ?)Entre la nuit et l’aube
Passages muets
Jointures opaques
Où sceller les jours
Étroits comme des pierres(sur la grève sans fin
les empreintes grises d’un oiseau égaré)Et cet espoir d’une trace
Qui serait ombelle
Au faîte de midi(in Temps solaire, Voix d’encre, Montélimar, 2009)
Cités d’oiseaux
À E.K
Les oiseaux habitent en nous
avec nos mortsÀ tire d’aile
ils défrichent le silence__Voix coutumières
__d’obscurs chemins de plantes
__creusés loin
__entre passé et présentLes oiseaux tendent au ciel les draps
qu’ils ont lavés dans la rumeur des torrentsIls les laissent sécher au soleil
avant de les rendre à la nuit et aux arbresIls font nos lits de lin
frais comme la neigeLes oiseaux tendent au ciel les draps
qu’ils ont lavés dans la rumeur des torrentsIls les laissent sécher au soleil
avant de les rendre à la nuit et aux arbresIls font nos lits de lin
frais comme la neigeDès l’aube ils s’interpellent
d’un chevet à un autre__Plongent
__de fenêtre en fenêtre
__trépignent, trillent
__et tambourinent aux vitresLe matin
les oiseaux tirent le vin
et défont aux branches
les rubans blancs qu’ont noués les enfants(in Cités d’oiseaux, éditions de la Lune Bleue, livre d’artiste, accompagné par Luce Guilbaud, Le Mesnil-le-Roi, 2011)
Jeune femme à la terrasse
Elle hume l’air du soir, prémices d’une profondeur nouvelle et ce bruissement des autres où elle se reconnaît, regards confiés puis repris, mots égarés à mi-chemin sur des lèvres hésitantes. Elle les écoute, car l’orchestre invisible reprend cette phrase qui est la sienne.
*
She writes, as light as a shadow, at the front of the terrace. She writes, furtive presence against the sky behind her, out and away from the tiled corridor that contained her whispers, mercilessly buried by the days and the others. She stands in front of the blaze of the sky in the distance.
(in Jeune femme à la terrasse/ Young woman at the terrace, livre d’artiste, accompagné par Julius Baltazar, Alain Gorius/Al Manar, Paris, 2009)
La nudité des pierres
Tu fis ce vœu de nudite ?
a ?pre et lumineusetu allais a ? ta ?tons
assourdie de murmures et de chantsconnai ?tre, disais-tu.
devant toi une main fragile
e ?bahie par le miroir du cielquelles odysse ?es muettes
la terre a-t-elle trace ?es
au couchant de ta route ?et ce vertige qui te saisit
ce nom que tu as perdu
dans un souffle
et qui jaillit dans la lumie ?re*
Faudra-t-il taire le jour
clore de sceaux de poussie ?re
l’ampleur du re ?ve
au repli de ses versantsindicible glissement
ombre intruse
elle e ?treint les gramine ?es
flammes to ?t e ?touffe ?es
come ?tes e ?clipse ?es d’un bruit d’ailesvacarme de pierres
inaudible aux passants de midiet ce cœur qui s’e ?tiole
en cet amont de sables et d’e ?pinespuis e ?tend l’e ?toffe du vent
pour panser les plaies
que ravive le soir(in La nudité des pierres, Alain Gorius/Al Manar, Neuilly-sur-Seine, 2013)
Passeurs de rives
Toucher la terre
Des feuilles de manguier murmurent
a ? travers le temps et les lieuxles anne ?es je ne les compte pas
des mots chuchotent
dans la rue de ?serte
te ?lugu franc ?ais et anglaisloin et pourtant si proches
je pourrais les toucherles lumie ?res de Chennai
vacillent un soir de novembre
histoire d’enfance entendue il y a longtemps
incarne ?e quand l’avion atterritfeuillages vert fonce ? vou ?te des branches
au-dessus de la chausse ?ecomme les photos se ?pia
dans le vieil album de cuir gaufre ?
qu’aima tant ma me ?re
dans un autre pays au-dela ? des oce ?ansles choses cessent-elles d’e ?tre
ou bien restent-elles
noms familiers
dans l’attente d’une visitebruits le ?gers bribes de parfums
couleurs qui passent dans l’air de la nuitfloues sur les photos se ?pia
et pourtant aussi reconnaissables
que l’e ?cho de voix perdues*
Quels ciels as-tu pris pour oce ?an
toi l’amoureux des e ?toiles
voyageur obstine ?
de galaxies inconnues
inscrite sur les cartes
que dessine l’envers des heures ?
Big Bang trous noirs ou quasars
ou ? pousses-tu maintenant
ta barque
dans l’immensite ? du silence ?(in Passeurs de rives, éditions La Tête à l’Envers, Crux-la-Ville, 2015)
Poussières de collines
Les eucalyptus soupirent
ils n’ont jamais fini
de balayer les collines
et de ramasser les étoiles
brisées pendant la nuit*
Et le temps ne s’en va pas
non il ne s’en va jamais
les draps blancs ont beau frotter
avec le vent et les dhobis
en bas dans la plaineMême la huppe s’est perdue
quelque part entre l’Inde et l’Europe
renonçant aux albums et aux contes
pour de vieilles photographies
en noir et blanc(in Poussières de collines, éditions Transignum, Paris, 2015)
Bibliographie Poésie
• Livre pauvre avec des encres de Myoung-Nam Kim, Daniel Leuwers, prévu pour début 2016.
• Marcher loin sous les nuages, éditions APIC, collection Poème du Monde dirigée par Habib Tengour, Alger. A paraître.
• Passeurs de rives, avec des encres de Myoung-Nam Kim, La Tête à l’Envers, Nevers, 2015.
• Poussières de collines, livre d’artiste, collection Livre-ardoise, Editions Transignum, Paris, 2015.
• La nudité des pierres, Al Manar, Paris, juin 2013.
• Cités d’oiseaux, livre d’artiste en tirage limité, avec des monotypes de Luce Guilbaud, éditions de la Lune bleue, Le Mesnil-le-Roi, 2011.
• Los instantes silenciosos, traduction espagnole, Pen Press Ediciones, New York/Buenos Aires, 2009.
• Temps solaire, avec des gravures de Myoung-Nam Kim, Voix d’encre, Montélimar, 2009.
• Jeune femme à la terrasse, prose poétique bilingue anglais/français, livre d’artiste en tirage limité, avec trois peintures originales de Julius Baltazar, Al Manar, Paris, 2009.
• Au miroir de nos pas, Encres Vives, Colomiers, 2008.
• Demeures de mots et de nuit, avec des peintures de Myoung Nam Kim, Voix d’Encre, Montélimar, 2005. Traduction russe, éditions Kommentarii, Moscou, 2008.
• Chant d’herbe vive, Voix d’Encre, Montélimar, 2003. Avec des dessins de Liliane-Ève Brendel. Traduction russe, éditions Kommentarii, 2008.
• Des sentiers pour l’absence, Le Bruit des Autres, Limoges, 1998.
• Vers Lisbonne promenade déclive, Encres Vives, Colomiers, 1997.
• Loin de l’envol de la palombe, La Bartavelle, Charlieu, 1996.
• A l’abside des hêtres, Froissart, Valenciennes, 1995. Prix Froissart 1995.
• Prix de créativité Naji Naaman 2012 (Liban) pour un ensemble de poèmes inédits.
Fragments et proses poétiques
• Tunisie, carnets d’incertitude, Elyzad, Tunis, octobre 2013.
• A fleur de mots la passion de l’écriture, réflexion, Chèvre-Feuille Etoilée, Montpellier, 2004.
? Outre 9 romans et recueils de nouvelles, Cécile Oumhani est largement publiée en anthologies et collectifs.
? Elle participe à de nombreux festivals, rencontres et émissions...
(Page élaborée avec la complicité de Roselyne Sibille)