Christian Monginot est né à Béziers en 1947. Sa famille paternelle est champenoise, sa famille maternelle, italienne, émigrée de Pola, en Croatie. L’immersion de ses premières années dans la langue italienne de ses grands-parents fera de celle-ci une sorte de musique première sur laquelle se surimprimera la musique de la langue française. De cinq ans à l’adolescence vit au Maroc, à Rabat, où viennent se mélanger à ces deux musiques natives les sonorités et les accords de la langue arabe. La passion pour la poésie, notamment à travers André Breton et le surréalisme, s’affirme pour lui à l’adolescence, mais l’écriture est déjà présente dans l’enfance et semble donner forme à un rapport particulier au monde et à la réalité présent dès l’origine. Écrivant depuis toujours, mais très modérément soucieux des retombées « littéraires » de son expérience, il ne sera publié qu’en 2009.
Extrait de Après les jours (Poésie, Éditions de l’herbe qui tremble, 2017, encres de Caroline François-Rubino).
L’autre raison
Remuements,
Profondeurs,
Enfances,
Les mots ont longtemps dérivé au gré
Des courants qui ont fait
Ton corps si proche
De cet étrange principe
Porteur de tant de vie et de si peu
De patience ;Il y eut d’abord
Ce toujours,
Cette éternité de tous les mélanges
Qui aiguisait les poisons du moindre
Liseron, la saveur de la terre, des pierres, et poussait
Ta chair vers le basculement et la réécriture
De tout ce qui s’était écrit en toi avec
Le faux défilement des saisons,
La fausse signification de toi-même, de ta folie,
Des grands remèdes
De l’occident ou de l’orient ;Il y eut ensuite,
Dans un même souffle,
Les multiples visions de ce partout
Venu comme une promesse divine parmi
Les verdissements, les rougeoiements, les bleuissements
De la terre et de ses ciels,
Ce partout auquel tu dédias
Ta cervelle, tes jambes
Et les ultimes conséquences poétiques
De ta semence ;
[…]
Extrait de Le miroir des solitudes (Poème en écho à la Divine Comédie, Éditions de l’herbe qui tremble, 2014,peintures d’Alain Dulac), il s’agit du dernier chant de l’ouvrage.
L’amor che move il sole e l’altre stelle…
Accroché à ta portion d’absence, tu lèves les yeux,
Suis le cercle de ces vols énigmatiques, les figures
De cette vigueur nouvelle
Suspendues dans le vide de tout désir, toute saveur, toute flamme ;
Une parole vient ici, un commencement, une fable
Qui réunit douceur et violence dans l’onde même
Du choc qui les distingua, les sépara, les propulsa jadis
Vers le même éveil, le même abîme ;Ce sont des lettres d’or brodées par la lumière
Sur la face d’ombre des choses,
Des mots qui s’étreignent, se blessent, des paradoxes
Déroutants, légers comme l’air, des pensées monstrueuses
Éclaboussant de feu le bord extrême de ta vie,
Des mouvements à peine descriptibles
D’amour, de folie, bref, tous les signes visibles
D’un lumineux et délicat enfantement ;Te voilà donc voué, par la lumière même, à la plus vive,
La plus mouvante responsabilité, chargé
De ce qu’il reste encore, ici, d’humain, d’animal, de végétal,
De minéral même, promis à d’acrobatiques naissances,
À des amours strictement éternelles, circulaires, sans objet,
Dont le centre et l’horizon coïncident,
Commis, en somme, aux plus imprévisibles
Et incommodes incarnations ;Car, à cet instant, tu le pressens,
La réalité n’est pas achevée,
Pas encore construite, et demande à l’être comme l’est
Un fruit ouvert, dont on peut goûter la saveur, connaître
Le plaisir ; au fond, tout n’attend de toi
Qu’une seule chose : que tu lui livres en toi
Ce passage charnel
Vers sa plus intime légèreté, son être musical ;Ligne après ligne, tu t’achemines
Vers ce nouage lumineux
Qui fait de ton corps autre chose qu’un corps :
Une sorte de tranchée vive dans le silence des pierres,
Un jardin où rien ne prend racine mais où éclot
La fleur du moindre souffle ;
Tu laisseras, bien sûr, à la lumière le soin du dernier mot,
Et à l’amour celui d’ouvrir les vannes de la nuit…
[…]
Extrait de Le dit de l’horizon (Poésie, Éditions de l’herbe qui tremble, 2015).
Chair
On avance,
On engage son corps, sa chair,
On laisse derrière soi les contours, les fables,
Les vieilles discordes,
On laisse soi derrière soi
Et l’on devient
Un luxe de circonstances minuscules ;On croit d’abord se reconnaître
Dans un insecte, une plante, un nom
Ou n’importe quel germe de réalité,
Puis
On quitte cette première peau, on renonce,
On s’aventure de l’autre côté,
Léger, insignifiant, ému
D’une si transparente version des choses et de soi-même ;Une langue s’invente au fur et à mesure
Dont on fait partie,
Une langue où chaque mot exhibe et affûte
La stricte virginité
De sa naissance ;
[…]
Extrait de Ce que l’on ne peut dire… (Poésie, Éditions de l’Atlantique, 2009, encre de Silvaine Arabo).
Constellations
Imaginons une ombre sans visage, ni mots, ni rien de commun avec qui que ce soit et qui, par comble de malchance, ne serait même pas Dieu. L’infini la traverserait, familièrement, mais elle ne pourrait en communiquer la trace à quiconque.La multitude des signes dont elle serait porteuse et auxquels elle ne pourrait donner visage ni parole, resterait enclose dans une solitude absolue et finirait par la miner comme un monstrueux excès de vie inemployé.Les gestes qu’elle ferait pour avertir les autres ombres de son tragique isolement et du trésor de forces et de signes à elle confié n’aboutiraient au mieux qu’à laisser suspecter quelque folie ou quelque orgueil démesuré. Nous sommes tous, enfermés en nous-mêmes, ce genre d’ombres, car nos mots ni nos visages ne sauraient délivrer de leur solitude ces fabuleux trésors qui sont la chair lumineuse de notre corps. Savoir cela, si nous en supportons l’amertume, mènera parfois l’ombre que nous sommes vers un autre usage des mots qui la nient. Elle les disposera en des sortes de constellations muettes propres à guider le regard vers les morceaux de nuit où bat le pouls de cette vie surabondante. Nous appelons ces constellations « poèmes ».
Elles voudraient laisser entendre ce que l’on ne peut dire mais qui donne à nos vies leur véritable dimension.
Extraits de Voix inverse (Poésie, Éditions de l’Atlantique, 2010, pastel augmenté d’Alain Simon).
Disparaître
Sans raison. D’abord. Et sans rime. Dans la douceur, la surprise d’un premier souffle. Sans penser à la mort ni coller à la vie. Ainsi. Parce que tout s’y prête et qu’un corps y consent. Dans une sorte de sursaut. Soyeux. Ou d’explosion tendre, limpide. S’évader. De son rêve. Disparaître et s’unir au fil de l’horizon. Enfin se reconnaître. Hors de soi. Dans l’éclat de cette lame, le tranchant de ces lointains. Dans le dialogue nu des appétits flottant entre les eaux du jour et celles de la nuit. Mourir avec méthode. Figure après figure. Pensée après pensée. Sensation après sensation. Pour naître à la musique qui nous pense et nous mène jusqu’au seuil de sa propre défaite. S’éveiller à l’« avec » dont l’obscure harmonie désespère le sens et nous pousse aussi loin de nous-mêmes que le feraient la folie ou la mort. S’inverser. Dans le murmure odorant d’un été. Dans l’écriture aveuglante du ciel. Dans le gouffre doré des blés. A l’instant où un vol de corbeaux réinvente la nuit dans le ventre furieux du soleil.
Extraits de Le livre de la stupeur et du vertige (Aphorismes, Éditions de l’Atlantique, 2010).
Celui qui ne s’illusionne plus sur l’illusion n’a pourtant pas d’au¬tre espace qu’elle à habiter.
L’illusion vaut-elle moins que ce qu’elle voile ? Lâcherons-nous l’ombre pour la proie ? Manifesterons-nous une telle ingratitude envers le sol qui nous porte ?
Le théâtre est le lieu où s’inverse l’ingratitude, où prenant l’il¬lusion au sérieux nous en jouissons avec plus de franchise.
Le fond de nos relations avec le réel est catastrophique, mais pour pré¬server une in-tégrité fictive la plupart des discours nient cette évidence. La poésie, au contraire, s’ef¬force d’adapter ses ac¬tes, ses figures aux reflets dé¬routants de ce miroir brisé.
Extraits de Le syndrome d’Orphée (Poésie, Éditions de l’Atlantique, 2010, peinture-collage de Cathy Garcia-Canalès).
Dans l’inquiétant plaisir d’être là
Silencieux, hébété, il flotte entre les ors, les ocres et les bleus. Rejoint, çà et là, par quelque désir embryonnaire. D’être l’azur, la mer, l’été, ce vent léger, sans insistance. Ou de mourir. Doucement. Simplement. N’être pas. Son corps se rend aux impalpables raisons de l’air. S’estompe. Disparaît. Pour ressurgir, de loin en loin, à la façon d’une rumeur que l’on n’entendait plus. Un murmure. Un secret. Chuchoté par l’horizon. Des saveurs de menthe, de miel et de fleur d’oranger montent en lui vers des ciels de bougainvillier où se déploient les arabesques d’un rêve aux doigts d’argile et d’ombre rouge. Sur le bord du familier mystère, creusé dans le plaisir inquiétant d’être là, il retient sa respiration et regarde le fleuve rendre son âme à l’océan dans un tressaillement de jade et d’écume.
Extrait de L’idiot et son tourment (Contes, Éditions de l’Atlantique, 2010).
Le silence
L’idiot n’aime rien tant que le silence.
Comme il ne sait pourquoi, un soir il s’assoit près de lui, l’interroge.
Mais ses questions troublent le silence.
Et le silence s’éloigne.
Alors l’idiot se rapproche à nouveau et se tait.
Comment faire pour dialoguer sans mots ?
Il cherche dans sa tête, mais sa seule pensée finit par déranger l’ami.
Obstiné dans ses amours, l’idiot le poursuit sans répit.
À ses mots, ses pensées, le silence ne répond que par la fuite.
Convaincu de ne pouvoir l’atteindre ni par les mots, ni par l’idée, l’idiot s’applique à ne plus parler, ne plus penser, à s’effacer.
Mais c’est à présent son effort même qui le chasse.
L’idiot a beau chercher, il ne voit pas d’issue.
Dérouté, sans espoir, il se rassied au bord du chemin.
Et le silence revient lui tenir compagnie.
Extraits de Sous la dictée de l’eau (Poèmes en écho aux soixante-quatre hexagrammes du Livre des mutations, Éditions de l’Atlantique, 2010).
22. Pi / La grâce
Un seul regard assemble ce qui va, blanc ou bleu,
Et ce qui virevolte, titubant, enivré,
Dans les plis d’un voilage d’ombelles ;Mais une fleur de chair éclose dans la pierre
Ouvre une brèche vive, un visage de sang
Dans les paradoxes légers de l’azur et du vent…Extraits de Le livre de l’onde et du rocher (Poèmes en écho au Livre des psaumes, préface de Pierre Dhainaut, Éditions de l’Atlantique, 2012).
Psaume 47
Dans la grande maison aux laves incandescentes
Filtre la douceur d’un premier principe,
Ta blessure chemine sur le bord musical des choses
Tandis qu’un soleil hésite à rompre l’horizon ;Es-tu le malade ou le garde-malade ?
Es-tu le cri des bêtes ou l’écho des montagnes ?
Qui es-tu entre toi et toi, et qu’est-ce qui justifie
Cette étrange joie venue de nulle part ?
Œuvres publiées aux éditions de L’herbe qui tremble :
- Après les jours 2017 (poésie) en écho à l’œuvre et aux lettres d’Arthur Rimbaud ;
- Le dit de l’horizon 2015 (poésie) ;
- Le Miroir des solitudes 2014 (poésie) en écho à la Divine Comédie ;
En préparation à L’herbe qui tremble : Le radeau d’Ulysse, 2019, (poésie) en écho à l’œuvre d’Homère.
Œuvres publiées aux éditions de L’Atlantique :
- Le livre de l’onde et du rocher 2012 (poésie) en écho au Livre des Psaumes ;
- L’idiot et son tourment 2011 (contes) ;
- Sous la dictée de l’eau 2011 (poésie) en écho au Livre des mutations (Yi King) ;
- Le syndrome d’Orphée 2010 (poésie prose et vers) ;
- Le livre de la stupeur et du vertige 2010 (Aphorismes) ;
- Voix inverse 2010 (poésie en prose) ;
- Ce que l’on ne peut dire… 2009 (poésie).
Articles, poèmes, extraits publiés dans les revues (papier ou en ligne) :
Poésie-première, Lieux-d’être, Saraswati, Thauma, Arpa, Encres Vives, Le journal des poètes, Nu(e), Mange-Monde, Glyphe, Rivaginaire, Recours au poème, Terre de Femme, Terre à ciel, Paysages écrits.
Page constituée avec la complicité d’Isabelle Lévesque.