Après-midi tranquille -
le bruit d’un râteau sur des graviers,
les flèches de la cathédrale,
montagne de patience
je ne l’avais jamais été
avant que cette fourmi
m’escalade.
Mon fils a pris mon pied au cul,
il pleure dans sa chambre
et moi dans la cuisine ;
ce soir, au vieux pin solitaire
j’ apporterai nos mains
qu’il leur donne sa paix et son espoir.
2000 ans après Jésus Christ
un bruit de moteur dans les nuages,
et l’alignement impeccable
des tombes des moniales
parties sous un faux nom.
Elle n’a plus ses parents
elle n’a pas eu d’enfants
c’est du dos qu’elle se plaint
la nonne au sécateur.
Dans la forêt ivre de sève
où le temps n’a plus sa tête
je jetterais volontiers
ma montre aux ronces
si je ne craignais
de blesser une mûre.
Quatre fois par jour
dans l’escalier mon fils
règle son pas sur mon pas
au lieu de me tuer.
Si lent, si long matin d’été –
deux papillons se trouvent,
se perdent, se retrouvent
sous l’œil jurassique d’un lézard
guetté par deux indiens.
Dans le village aux cent fumées
l’œuf tiède sur la paille
recueille un couple de vieillards
que leur chienne a quittés.
Le monde est vaste
je dis adieu au héron gris
et au voisin parti chercher son litre
en chaussons.
Quand l’hirondelle est revenue
dans le village aux cent fumées
il y avait deux fumées en moins
les eaux nageaient parmi les arbres
la barque de mon père
venait de nous quitter.
Promenade du soir
le déambulateur ouvre la marche
le conjoint résigné
la ferme.
—
Mini entretien avec Cécile Guivarch
Comment es-tu venu à la poésie ?
J’avais 20 ans, je venais de tomber le treillis après un an passé sous les drapeaux là-bas dans l’Est de la France et j’étais passablement paumé. A la bibliothèque de Poitiers où je passais pas mal de temps, je suis tombé sur deux œuvres qui m’ont ouvert les portes de la poésie. Le Grand Rivage de Kenneth White, et La Seconde Porte de Pierre Gabriel. A partir de ce moment j’ai commencé à dévorer tout ce qui me tombait sous la main. 4 ans plus tard à la Rochelle, dans une petite bibliothèque de banlieue, j’ai découvert les auteurs du Dé Bleu : Jean-Pierre Georges, François de Cornière, Georges-L Godeau, et Louis Dubost (il ne faudrait tout de même pas que l’éditeur nous fasse oublier l’auteur de L’Ile d’Elle). En même temps j’ai fait la connaissance de Serge Wellens, grand poète, conteur fabuleux, homme bon : une rencontre décisive. Serge ayant lu mes premiers textes m’a encouragé, conseillé, je lui dois aussi ma première publication aux Editions Traümfabrik, chez l’ami Francis Krembel.
Quelle place occupe la poésie dans ton quotidien ?
La place du cœur dans le corps humain. J’écris peu, mais je vis dans l’espérance d’une prochaine expérience poétique, car pour moi, la poésie est bien plus qu’un genre littéraire, elle est un état. « L’état de poésie » dont parle Georges Haldas et qui survient toujours à l’improviste : c’est le bruit d’une feuille sèche qui traverse la route, un arbre qu’empoigne le vent, et le lendemain le vent n’est plus dans l’arbre. Tout est toujours nouveau sur terre, cette nouveauté est la matière des poètes que j’affectionne : Jean Follain - « tout est courrier d’une impossible aurore », André Dhôtel, les poètes Tang. les poètes de haïku du 20ème siècle comme Santoka ou Hosaï, Olav Hauge, Abbas Kiarostami, l’ami Thierry Cazals.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Ca commence souvent par un haïku noté en marchant dans le fameux carnet que tout poète trimballe généralement dans une poche de sa veste. Après quoi il se peut que le haïku reste haïku, et alors mon travail consiste à vérifier que le jet est bien fidèle à la sensation qui m’a traversée. C’est dur parce qu’on est toujours tenté de rajouter du lest pour complaire au lecteur occidental qui en veut pour son intelligence, c’est un piège à éviter. « Nu / toute la journée / libellules et papillons » : ce poème de Santoka me comble, et il est illusoire de penser qu’un autre que lui aurait pu l’écrire sous prétexte que le je du poète en est absent. Un haïku réussi traduit une expérience du monde absolument singulière, même s’il dépasse le « je » pour mieux épouser son sujet. « Si tu veux connaître le pin, deviens le pin ». Ce conseil de Basho à ses élèves, j’essaie de ne pas l’oublier...
Mais parfois un haïku rencontre un autre haïku, et ils tombent amoureux, pas d’autre solution pour moi que de les marier sur le champ, et voilà un sizain, il arrive même qu’ils fassent un enfant, et voilà un dizain etc etc etc...
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Dhôtel , Hosaï, Santoka, Takuboku, Melville, Henry Miller, Kérouac, Carver, Kenneth White.
Plein d’autres que j’oublie...
—
Né en 1964 à Thouars dans les Deux-Sèvres, je vis à Chartres depuis 2000. Je bricole des émissions dans une petite radio d’intérêt local. Il y a 17 ans, en toute impunité, je me suis mis à l’école buissonnière de la poésie, grâce à la rencontre du merveilleux poète Serge Wellens. J’aime le fil des jours, le vin rouge, les cétoines dorées, André Dhôtel, jouer au foot, marcher, sentir la Terre sous mes pieds et le ciel par-dessus les toits.
Parutions :
-* Saint-Loup sur Terre : Editions Traumfabrik - 1996
-* La rive gauche du Thouet : Cahiers de poésie Le ciel au-dessus de Rochefort - 1998
- Demain est un jour d’autrefois : Editions Clapas - 2002
- La vie n’a toujours pas commencé : Revue Décharges/ collection Polder - 2004
- Les peupliers de Beausoleil : Editions le Pré Carré - 2008
- Il y a une cathédrale dans cette ville : Editions Traumfabrik - 2008
- Deux fois le camion bleu du menuisier Bernard : Editions Corps Puce - 2011
- La tasse à l’anse cassée : Association francophone de haïku, collection Solstice - 2012
- Les mains autour du bol à fleurs : Editions l’écho optique - 2012
- Miroitement sur Terre de la petite flaque d’eau : Editions Donner à voir - 2013
- Le Mal de Terre : Editions Traümfabrik, collection le Poulailler - 2014
- Le Monde d’Emile : Editions Corps Puce – 2014
- Papillons du chou : à paraître chez Gros Textes - 2015