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Collection DUO - Editions Les Lieux-Dits

vendredi 12 juillet 2024, par Cécile Guivarch

A fleur de bitume. Itinéraires urbains - Maryline Bertoncini et Ghislaine Lejard – 2024

Depuis longtemps Marilyne arpente les rues en observant, suivant la leçon de Leonard de Vinci, les taches des murs et des trottoirs : on y voit des formes comme avec les nuages, des personnages, des paysages, qu’elle photographie. Elle avait beaucoup aimé le travail en connivence avec Ghislaine autour des livres pauvres et le recueil Son Corps d’ombre, aux éditions Zinzoline dirigées par Alain Cotten où les mots de Marilyne accompagnaient les collages de Ghislaine. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une collaboration en sens inverse : comme elles sont toutes deux poètes, Marilyne a proposé à Ghislaine d’écrire sur une série de « paysages » parmi lesquels elle a retenu ceux qui lui parlaient le plus. Le choix de l’éditeur s’avérait facile : Marilyne aime qu’il y ait un sens secret dans les livres (a ainsi été publiée La Plume d’ange aux… Chemins de plume de Jean-Michel Sananes) et il lui est apparu évident que Les Lieux-Dits de Germain Roesz, lui-même poète et plasticien, étaient la bonne destination pour cet itinéraire urbain. L’éditeur nous a proposé l’élégante collection duo, mais a souhaité plus de textes – Marilyne a donc écrit à son tour sur les photos. Mais alors que Ghislaine avait donné un titre à celles qu’elle avait choisies et pour lesquelles elle avait écrit, Marilyne a réalisé un parcours évoquant l’ensemble de sa démarche poétique. S’est alors posé le problème de l’insertion des images et du rapport des textes entre eux. Après réflexion, avec l’éditeur - dont l’expérience dans le domaine de la peinture et de l’écriture lui permet de mettre en valeur la résonance entre poésie et art - nous avons décidé de plonger le lecteur « in medias res », dans l’image (un groupement de 5 photos) avant de lui proposer les poèmes de Marilyne – et d’intercaler une autre série de photos entre nos deux textes en finissant par des photos : il nous semblait ainsi que nous ménagions des interstices entre les mots, entre nos visions personnelles, pour que le lecteur puisse aussi arpenter ces images en créant ses propres associations : le but du poème, et ici des images associées, est bien pour nous de porter à la rêverie, à la re-création de chaque lecture… La maquettiste, Haleh Zahedi, elle-même artiste, que nous ne remercierons jamais assez du dialogue établi, nous a proposé de mettre en 4ème de couverture une photo –nous avons choisi un crépi éclaté, sous lequel pousse une forêt de mousse – il me semble que cette image, qui ne faisait pas partie du choix initial, résume parfaitement l’idée qui a guidé nos deux itinéraires : rechercher sous le réel le plus banal l’accès à l’au-delà du rêve.
Le poète Jacques Robinet, récemment disparu, nous avait fait l’honneur d’une belle préface, soulignant les liens entre nos deux voix-sœurs, dont il écrit que « les mots ailés de l’une accompagnent – comme en contrepoint d’une fugue – la voix plus voilée, plus sourde, de l’autre. »

Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard

 

 

Une porte dans la montagne répond à une porte inverse
dans le ciel de ciment
C’est comme une marelle
tu pourrais sauter de la Terre au Paradis
ou entrer en Enfer

 

 

Qui sait où mènent ces venelles ébauchées par la pluie
sur le bitume nu
entre les pavés jointoyés par l’herbe qui s’agrippe
sous le crépi qui se craquèle en surface des murs abandonnés

 

 

Dans quelle ville imaginaire
m’entraine cette calligraphie urbaine

Une constellation inscrite dans le minéral
attire l’œil
avec Ulysse déambuler
le spectacle des rues l’absorbe
son odyssée énigmatique
se perd dans le labyrinthe.

 

 

Froideur du béton du minéral
sur les trottoirs de la ville
la nuit dessine sa solitude
et posée là une feuille
comme une caresse
souvenir de la forêt et de son mystère
de l’odeur de l’humus
ou du gazon coupé après la pluie
itinéraire familier… ailleurs.

 

 

Flâner d’une rue à l’autre
derrière les murs des immeubles
s’inventent nos vies
les ormes traversés de soleil
invitent au repos
Dans la ville des jardins secrets
Refuges des oiseaux en quête d’ailleurs.

 

 

Voix de silence
sur les pavés résonnent des pas
l’homme marche
sur le gris de l’asphalte
une flaque d’eau
son visage se reflète
mêlé aux nuages
sur les vitres des immeubles
des reflets d’arbres
le paysage urbain se dessine
dans la disparition du végétal.

Magie renversée - Isabelle Lévesque et Sabine Dewulf – Peintures de Caroline François-Rubino – 2024

Grimoire…
Un mot parfois suffit.
On l’observe. Sa sonorité d’abord, à l’allure de grimace. Bien sérieux en fait, ce nom né de l’altération de « grammaire » nous invite au déchiffrement. Lorsque Sabine Dewulf l’a prononcé, j’ai envisagé tout ce sur quoi notre regard se pose : ce que nous ne perçons jamais. Le pouvoir magique, la suggestion d’écriture me sont apparus comme deux forces alliées lorsqu’on écrit un poème. Bien des signes impénétrables demeurent.
Je venais de lire et relire, à la façon d’un livre de chevet, Et je suis sur la terre, ce premier livre de poèmes de Sabine. La perception immédiate de sa venue au monde comme auteure observant un ensemble de signes, depuis loin dans sa vie, pour naître à la poésie m’a émue – c’est un chemin de symboles.
Bien des goûts nous rapprochent : les mots que l’on savoure ou sur lesquels on bute, la quête du secret que les choses gardent en elles et qui parfois se devinent. Nous avons toutes deux le désir du déchiffrement et du chemin.
Sabine souhaitait déterminer à quelle fréquence nous écririons. Comment le savoir avant de nous lancer ?… Nous avons opté pour un poème par semaine… Nous en avons écrit deux par jour, parfois plus. Nous vivions une hâte et une inspiration ( j’ose ce mot ) étonnantes. Deux enfants, deux ferveurs. Le poème est devenu l’adresse du matin, un vœu de clarté ou bien, pour celui du soir, une célébration du crépuscule. Nous sommes restées près du jour et de la nuit, cherchant en dialoguant l’une avec l’autre le point de convergence et la marge intime de l’autre souffle. « Pentacle de mai », tel aurait pu être le titre de notre livre, suggéré par Sabine. Aux cinq sens comme aux parties d’un tout nous avons voué notre quête quelques semaines à peine, pour lier avril et mai : deux voix chantent ensemble – un chœur né de magie singulière. Il nous fut difficile d’interrompre le dialogue et nous avons décidé que nous le poursuivrions plus tard, autrement – cela nous aida à clore ce livre devenu sans fin.
Nous avons voulu aussi, je crois, émettre des hypothèses, suivre un élan synonyme de vie. La candeur nous a guidées pour observer et chercher dans l’infime d’un pétale l’ingrédient d’un philtre que seule l’écriture peut absorber.

Pensée devenue poème,
mystère d’alchimie.
Ce fut joie et merveille,
course parmi les étoiles.

Etoiles ou fleurs, merveilles et chasse des couleurs, Caroline François-Rubino a accepté de nous rejoindre à la fin de l’écriture des poèmes. Elle y a fait entrer la couleur en se consacrant à la vocation florale et céleste du livre. Nous en sommes heureuses, une forme plastique est née de notre grimoire et la collection Duo des Lieux Dits a accueilli notre échange. Nous sommes reconnaissantes à Germain Roesz, notre éditeur, d’avoir créé une collection qui laisse entendre et se répondre deux voix. Merci à Haleh Zahedi de l’avoir aidé dans la conception du livre.

Isabelle Lévesque

 

 

Tu lis les signes apparus dans les livres :
je réponds par le geste
d’une fleur captive de sa coque.
Or une heure suffit à l’accroître.
Son ombre est sa forme devenue présage
de la seconde - octroi de toute une année.

L’hiver, on n’entend plus ce qui persiste ailleurs,
sauf à souffler sauf à recoudre le passé
aux nuits bleues du fruit disparu.

De notre élan caché
nous ferons la colonne
du ciel : les pointillés rejoignent
la ligne continue.
Quand tu la coupes je lis
le hiéroglyphe inédit
du vers tu :
prophétie simple du serment de vie.

Toute géométrie attache notre corps
au nuage blanc qui interrompt le tracé.
Nous restons mystérieusement suspendus
au tapis du conte :
tu le ravives en regardant si bas
le geste agrandi de la fleur bleue du rêve.

A chaque fois, une autre
et l’embellie du signe :
un insecte la rapproche du vol.

 

 

Je lis tes signes sur la page :
j’entends le nous et vois le TU,
tau redressé portant la vase
(visage de l’accueil).

Avec grand soin j’écris
ce sigle neuf d’une promesse :
l’ombre de fleur
annonce les saisons prodigues.

Renversement possible en Je.
Ceci n’est pas écrit,
perçu seulement
depuis la ligne des épaules :
au sommet, le nuage et le sol ;
ici, le ciel limpide
du visage au miroir aboli
pour étreindre la terre.

Car déjà nous volons.

 

Lorsqu’Isabelle Lévesque m’a proposé pour notre livre le titre de Magie renversée, emprunté à l’un de ses poèmes, j’ai acquiescé, pressentant combien la formule était riche : d’abord parce que la poésie renverse toute forme de savoir, fût-il d’ordre magique ; ensuite, dans la mesure où je tente d’ouvrir consciemment, depuis deux décennies, un regard proche de celui de l’enfant, lequel, assurément, renverse nos perspectives. Loin du miroir qui nous obsède et des complications mentales, l’enfant accueille, goûte, respire depuis l’espace immense qui lui tient lieu de visage. Comme en contre-plongée, cette vision aussi simple que profonde (que Douglas Harding appelle «  la vision sans tête ») ne peut que célébrer à la fois l’altitude du monde et son intimité avec lui. Et les mots qui jaillissent d’une telle source ne sont pas sans résonner avec ces lignes de la Table d’émeraude, qui firent rêver les symbolistes et les surréalistes : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. »
De fait, si je devais rattacher la poésie que j’aime à une tradition, je ne la chercherais pas ailleurs que dans notre fonds hermétique. Le jour où Isabelle m’a offert le petit livre, composé avec le peintre Christian Gardair, qu’elle avait intitulé Magie simple, je lui ai aussitôt confié, enchantée par ce recueil étrange, mon désir d’écrire un jour un grimoire poétique… si possible en sa compagnie. Ainsi s’est formé ce projet à quatre mains, avec vivacité, sans l’ombre d’une autre justification. La poésie d’Isabelle me rappelle le surgissement magique : parsemée de lettres, de chiffres, de chants, de fleurs, de mystère, d’épreuves, de feu et d’or, ne relève-t-elle pas de l’incantation ? De mon côté, je me nourris des symboles, des mythes et de ce merveilleux qui s’adosse à nos malédictions.
Un seul mot me suffira pour caractériser notre entreprise telle qu’elle s’est déroulée : enthousiasme. À la vitesse de l’éclair (même si les poèmes ont été plus tard retravaillés), les mots entre nous fusaient, circulaient, tout proches du miracle. J’ai senti combien chacune de nous déposait d’elle-même en ce grimoire singulier : sa lecture de l’univers, de la nature, du cœur humain, du temps, de l’éternité, de la poésie, son lien à la langue, sa manière de faire sourdre les vers, ses questions vitales… Dans le même temps, notre duo est toujours demeuré dialogue, à l’écoute de l’autre.
Mais ce duo était appelé à s’élargir encore : plusieurs des photographies qui avaient suscité nos poèmes étaient d’une qualité insuffisante pour être reproduites. Nous avons donc proposé à Caroline François-Rubino de nous transformer en trio. Et là, ce fut un éblouissement : le flamboiement des couleurs allié à la légèreté de l’esquisse, l’explosion florale et végétale, les lignes tremblées, tour à tour nuageuses et radieuses, tout cela est venu manifester, comme une épiphanie, le mystère que nos mots suggéraient. « Trois » n’est-il pas, du reste, le nombre magique des contes ?
Enfin, je suis particulièrement heureuse que Germain Roesz ait aimé nos poèmes et les ait accueillis dans ses belles éditions : avec la complicité de Haleh Zahedi, sa collection « Duo » est un espace d’échanges pour la poésie que je défends, ouverte à l’indéfinissable et à d’autres formes d’expression artistique.

Sabine Dewulf

 

 

Un livre tel que Magie renversée d’Isabelle Lévesque et Sabine Dewulf, qui m’ont sollicitée à accompagner leur duo, symbolise la fragile alchimie qui advient entre paroles et images et que l’éditeur Germain Roesz, secondé par Haleh Zahedi, ont révélée sur le papier.
En ce sens, nous avons tous été un peu magicien et magiciennes.
Pour ma part, si j’ai été surprise par le titre de ce livre je l’avoue, j’ai tout de suite été conquise par la complicité poétique de Sabine et d’Isabelle et tout un monde floral et végétal a surgi rapidement sous mes yeux en les lisant.
Je pensais répondre à leur joute enjouée et au foisonnement de leurs propres images par une série d’encres en camaïeu de gris-vert faisant écho à la table d’émeraude…
Mais ma sobriété les a déconcertées et elles m’ont demandé d’ajouter un peu plus d’ingrédients colorés et de poussière d’or à ma potion initiale.
Elles m’ont amenée à sortir de mes habitudes et de ma palette favorite pour inventer de nouvelles images plus riches, plus travaillées et parfois même moins convenues.
J’ai osé les rouges, les jaunes, les orangés, les roses et les verts tout en restant fidèle à mes bleus Indigo, mes bleus de Prusse et à mes gris de Payne.
J’ai ajouté aussi de l’or en transparence sur chacune de mes images leur conférant ainsi une luminosité particulière.
Et surtout, je n’ai pas hésité à peindre des all over de fleurs en pensant certainement à Klimt mais aussi à Monet ou à Odilon Redon.
Enfin, j’ai pratiqué des inversions de sens, renversant haut et bas jusqu’à ce qu’ils se répondent comme dans un filtre ou un sablier perpétuel.
L’anagramme MAGIE/IMAGE a donc miroité tout au long de mon travail.
25 images au total dont 23 ont été reproduites sont ainsi nées sur le papier que m’avait confié Germain Roesz, non pas d’un seul coup de baguette magique mais de l’absorption de plusieurs fioles de peinture successives, de jus colorés et de laitances dorées. Pinceaux de tous poils ont aussi participé de cette magie picturale que j’ai tenté d’orchestrer pour répondre au mieux aux attentes des deux poètes et à leur duo.
Je tiens à les remercier vivement ici ainsi que notre éditeur et son associée pour ce nouveau livre !

Caroline François-Rubino

Tu dis la vie - Cécile Guivarch et Jean-Louis Kuntzel - 2024

J’avais fait des dessins, sur des feuilles de papier très étroites, pour Bandes d’Artistes, un projet de Germain Roesz.
Il les avait soumis à quelques poètes.
Celui ou celle qui « me choisirait » composerait des vers en écho.

Quand j’ai reçu le résultat final, la petite boite avec les bandes, à la fois les miennes mais également celles portant les mots du ou de la poète, j’ai été stupéfait.
Ce qu’écrivait Cécile, Cécile Guivarch, c’est ce que je dessinais.
Elle écrivait ce que je dessinais.
Nous étions dans le même monde.
De lumière, de couleur, d’eau qui coule, de vent dans les feuilles,
De bouillonnement de la vie, de désir au sens le plus large.

Dans ses vers, à propos de mes dessins, tout cela, éblouissant.

Germain m’avait conseillé de contacter Cécile.
En me disant qu’elle est, je ne me souviens plus… très …sociable.
Non…je vérifie…« elle est très généreuse dans ses relations humaines », disait-il…ce qui est tellement mieux…

A la relecture de nos premiers échanges il est évident que nous souhaitions nous connaître. Avec conviction, indéniablement..
Elle m’a demandé si j’avais déjà travaillé en binôme avec un ou une poète.
Comme cela n’avait pas été le cas, elle m’a proposé d’écrire à nouveau sur la base de mon travail.
A partir de là ont circulé mots et dessins. Mais aussi l’expression de nos quotidiens.
Elle avait écrit à propos de tel dessin, ou alors de l’ensemble de ce qu’elle avait vu sur mon site.
La lecture de ses vers m’amenait à dessiner. Je lui envoyais alors la photo du résultat.
Ou alors je lui montrais une toile plus ancienne. A laquelle me faisait penser ses derniers mots.

Il y a eu ainsi pendant plusieurs mois la circulation de ce bouillonnement…

A un moment, pour elle, çà a été, comme, lorsque, pour une peinture, on sait qu’elle est terminée.
Le point final était posé.

JLouis Kuntzel

 

 

Une prairie ça ne dit mot ça fleurit
et vous fleurissez encore et encore
de traits d’eau et de rivière de mots
dressés sur leur tige
La prairie a étendu toute la nuit
jambes dans l’herbe - au matin
quelque chose est touché
mais se touche à peine -
se couvre de fleurs en nuit d’été
Juste à verbe contre verbes
trait pour traits - en silence
- je rêve ce verbe d’herbe -

 

Lorsque Germain m’a envoyé les propositions pour participer aux bandes d’artistes, plusieurs propositions, plusieurs artistes, j’ai de suite été attirée par la proposition de Jean-Louis. Les couleurs étaient celles de la vie, la nature. J’y voyais des rivières, des forêts, de l’herbe, la lumière et la couleur de la chair. Cela me semblait très proche de ce que je ressentais lors de mes marches dans la nature, sentir son corps se fondre à celui de la nature. Devenir soi-même nature et être en vie, pleinement en vie. J’ai donc écrit autour de ces dessins dans le cadre des bandes d’artistes avec ce que je ressentais réellement de ces dessins, de mes marches. Après avoir reçu l’œuvre finale, j’ai eu la surprise un jour de trouver dans mes mails, un message de Jean-Louis me disant comme il avait été frappé par mes textes, car c’était très proche de ce qu’il dessinait. Nous avons commencé à échanger et nous avons eu envie bien sûr de continuer l’expérience. Il m’a montré d’autres dessins, et j’ai écrit. Lui a dessiné. Nos échanges par mails continuaient et venaient enrichir les mots, les dessins. Une expérience très enrichissante car au fur et à mesure on se commentait, on approfondissait ce sujet de dire la vie, de dire le désir, le bonheur d’être en vie. Mais il y a aussi dans ce livre ce qui est fragile, prêt à mourir et à renaître. Tout comme dans la nature, les arbres en hiver et le printemps qui réveille tout. Tout comme au milieu de ce livre, mon mari a été hospitalisé en réanimation, puis est revenu. Nous sommes comme la nature, nous perdons parfois nos feuilles et nous bourgeonnons ensuite. Je crois, c’est cela que textes et peinture expriment. Cela a été une évidence de proposer le manuscrit à Germain qui avait déjà su mettre en regard les dessins de Jean-Louis et ma poésie.

Cécile Guivarch

 

Puis un amas de racines
nœuds au milieu d’un canal
j’en ai la gorge serrée
de ce peu de respiration
tout autour la vie toujours la vie
puissante étonnamment

Aimantation de la voie – Jean-Marie de Crozals et Sylvie Fabre G. – 2020

Passante dans la montagne

Comme reviennent de neige en neige la nuit le jour, comme s’emportent les saisons, vivent les âmes vivantes, et les mortes, dans la montagne. Tant d’allées et venues pour franchir le col, entre le ciel immense et la mer, la pente est si abrupte il faut si peu de mots tant de silence pour dire la blancheur et les prés en fleurs où demeurer.

 

 

Crois-tu retourner à la montagne de l’enfance, à ta mère, en écrivant le poème des hauteurs, le crois-tu ? Tu frappes à la porte d’une maison qui n’existe plus sauf à hauteur d’amour, mais peut-être est-ce la vraie hauteur de vue. Tu as droit à la présence qui entretient le feu, tes phrases tournent autour et font crépiter ses voix dans le poème. Il y a plusieurs sortes de foyers en soi, et dans plusieurs sortes de maisons. Avec l’amour le perdu est leur bois.

La collection Duo de Germain Roesz aux Lieux-dits a permis à Jean-Marie et moi-même d’écrire ensemble un livre, intitulé Aimantation de la voix. C’est un projet que nous avions depuis très longtemps.
Nous avons écrit séparément les deux premières parties, et dans la troisième alterné les voix. Le thème choisi de la montagne nous est cher à tous deux, il répondait à notre désir parce qu’il permettait aussi d’être relié au rapport singulier que nous avions chacun avec la peinture et la pensée chinoises. La mort de Claude Margat avec lequel je devais à la même époque réaliser un livre d’artiste m’a alors amenée à proposer à Jean-Marie et à Germain d’accompagner les textes par deux de ses œuvres en résonance.
Germain par son ouverture à nos propositions et à l’ensemble des textes a magnifié le recueil par son beau travail d’éditeur. Ce fut un moment important de notre parcours d’écrivains et une grande joie d’avoir réuni en un livre les voix et les œuvres de ceux qui nous sont chers.
Pour le Printemps des poètes 2020, Annie Estèves a fait réaliser une vidéo de la lecture que nous en avons faite avec la violoncelliste Claire Menguy à la Maison de la poésie de Montpellier, et en plein Covid, ce fut un instant magique.

Sylvie Fabre G.

 

Sans la neige sur la page
Comment porter le silence
Son insomnie
Dans la constellation des marges ?

Le ciel est d’ici
Il ne nous prend pas de haut

Ont écrit les merles de son enfance
La lumière ravie à leur noire beauté
Leurs petites pattes claudicantes

Jean-Marie de Crozals

À rebours de ce que vivre éteint, Odile Fix et Mary-Laure Zoss, 2023
 

 

Le point de départ de ce travail à quatre mains est un lieu, un paysage où peut se lire en creux la présence d’un mode de vie disparu avec l’exode rural.

A travers des formes différentes, disposition en vers ou prose poétique, photographies, nous avons tenté d’approcher les traces d’un monde qui peut sembler encore très proche malgré son éloignement dans le temps, de lui rendre une épaisseur par l’attention portée à ses signes.

Comme si le regard posé sur les fragments d’un temps révolu, le geste d’écrire ou de photographier, pouvaient contribuer à réassembler ces derniers – qu’ils soient pierre gravée, rouille enfouie sous les ronces, éboulement d’un mur.

Laisser résonner le faible écho d’un univers dépossédé, soumis à la dislocation par l’histoire ou réduit à l’état de fantôme. Un écho à même parfois de nous permettre de retrouver accès à une autre scansion du temps.
 

tandis qu’on remue l’encrier des ravins

   suivant de près la nuit barbelée - rares flammèches en lisière, amas de bois mort, est-ce qu’on pourrait, quand aux deux extrêmes se dérobe le fil, rentrer en possession ;

   de ce qui relégué ; disparu peu à peu – ornière ou ravine ; éboulis en plein vent ;

   à force d’y revenir, exhumer du trou noir ;

   enfouis ceux-là qui tisonnent les gestes de l’aube : cafetière – liquide âcre ; quelle main grise sur la toile – cirée, humide sous le chiffon ; celle de l’ancêtre, qu’on desserre, laissant choir sur l’établi poinçon et lime

Mary-Laure Zoss

 

 

Dans les monts du Cantal, où je vis, en Auvergne, les burons (bâtiments de pierre dans lesquels on fabriquait le fromage pendant les mois de l’estive), sont quasiment tous en ruine.

Une balade nous amenées à visiter un « hameau de burons » en ruine.
Près de la porte de l’un des burons, le prénom de « Louise » est gravé dans la pierre.

Nous avons eu envie de réaliser un livre à 4 mains, inspiré par ce lieu, d’écrire chacune une suite de poèmes puis de les accompagner de photos et/ou de dessins.

Germain Roesz a accueilli ce projet, dans la collection Duo des Lieux-Dits éditions, avant même la fin de nos écritures respectives.

La première perception que j’ai eue, dès que nous avons évoqué ce projet, avec les mots « chez Louise », prononcés par Mary-Laure, a été une empathie, très finement ressentie, pour les potentiels habitants de ces bâtisses maintenant écroulées et le désir fort de laisser l’écriture aller chercher dans ces replis-là. Il m’a semblé, alors, que c’était une direction un peu différente de celle des cheminements habituels de mon écriture.

ombre d’une pierre stagnante
penchée vers les flammes

il entend
chanter
le petit
    – l’enfance
caché sous les dalles

Au final, ce sont les photos des lieux, faites pendant des mois d’affilée, lors de chacun de mes passages, que nous avons retenues pour le livre.

Odile Fix

Le poème commun, Samantha Barendson et Jean de Breyne, 2012

Le poème commun, recueil de poèmes écrits à quatre mains avec Jean de Breyne, est né en 2012 d’une rencontre en librairie. À l’époque, j’étais libraire et jeune poète, j’avais discrètement publié deux recueils et je commençais à peine à monter sur scène. Jean avait roulé sa bosse de poète bien plus que moi et j’avais été séduite par son écriture douce et grinçante, arrondie et acérée à la fois, que j’avais eu la chance d’entendre lors d’une lecture dans cette librairie où je travaillais. À l’issue de cette lecture, nous avons longuement conversé à propos de nos passions communes pour les voyages, les mots et la correspondance épistolaire ; Quand Jean est parti, je ne pensais pas le revoir de sitôt. Il revint par lettre. Une lettre qui était un poème à compléter. Ce que je fis, lui offrant à mon tour un début de poème à compléter. Et ainsi de suite pendant de nombreux mois, enveloppes et poèmes... jusqu’au recueil que Jean présenta à Germain des éditions Lieux dits pour sa collection Duos. Mais Jean est un homme de surprise, aussi ne m’a-t-il rien dit jusqu’au jour où, recevant une nouvelle enveloppe, je reçus le livre, notre livre. Ce qui n’avait été jusque là qu’une correspondance poétique devenait objet littéraire grâce au travail de Germain qui avait pris soin de choisir une couverture à l’imprimé couleur papier légèrement piqué et des pages au grammage épais et sensuel. Le format du livre était large et permettait au texte et à ses silences d’occuper parfaitement l’espace. Les années passèrent et ce n’est qu’en 2022, au festival du Haut des cimes de Ménilmontant, que j’ai eu la chance de rencontrer Germain. Depuis, je l’ai revu au Marché de la poésie de Paris et aux Voix vives de Sète... tant et si bien que j’en arrive à me demander si nous ne nous sommes pas croisés dix ans durant sans le savoir. Moi, la jeune poète et lui, l’un de mes premiers éditeurs.

Samantha Barendson

 

Dialogue

Surpris dans le moment.
C’est le froid bientôt,
comme de quérir la phrase.
Tu n’abandonnes pas.
Tu dis que tu existes,
tu dis que tu reviens

d’où

Tant de paysages en nous,
de langues traversées,
entendues, et essayées.
Des blés cachent les murs
et portent le regard aux toits.
Ou bien : le lac est d’huile.
Ailleurs, la ville en chantier,
toujours, comme autrefois.
Plusieurs là-bas.
Je ne nomme pas.
J’en suis revenu, mais
pas tant que ça

Un horizon, vertical et gris
des hommes patientent,
des fourmis s’affairent
et pourtant tout est lent.
Des immeubles haussmanniens,
une Europe décatie,
mais des couples centenaires
dansent aux milongas,
leurs corps immobiles,
la musique d’autrefois.
Une Quilmes à la main,
je me demande :
et moi ?

Bien sûr, et moi, l’automne ?
Chevelure fauve aux épaules
arrêts de rocs,
les yeux encore aux yeux,
encore aux dons,
à effleurer,
à sentir, ressentir tant,
que j’existe,
et devoir les jours, et vouloir la nuit,
étreindre la musique
à l’autorité du bandonéon.

Arrive l’hiver,
les marins noyés,
aux bras de leurs compagnes
les maris sont cocus.
La neige recouvre la ville,
la mer,
le tango,
et l’oubli


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