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Coulisses de Dualités : entretien avec Marcelline Roux, par Clara Regy

jeudi 2 février 2023, par Cécile Guivarch

Comment a eu lieu ta rencontre avec le projet Dualités ?

Lors d’un parcours d’artistes, je passais d’un atelier à l’autre. J’entrais dans celui de Catherine Jullien quand elle m’interpelle tout de go : « Marcelline, appelle immédiatement le photographe Jean-Yves Cousseau, je lui ai parlé de tes livres, il a lu et aimé, tu pourrais être sa neuvième autrice pour un livre collectif. Il t’en dira plus. » Ainsi ai-je été embarquée dans cette aventure d’écriture.

Ta rencontre avec le plasticien et photographe Jean-Yves Cousseau ?

J’ai découvert le plasticien et photographe Jean-Yves Cousseau qui exposait dans une galerie à Paris. J’ai aimé son approche, sa façon de travailler les photographies avec oxydation, ses relations avec les auteurs, notamment son anthologie littéraire Pas perdus sur les traces de 63 auteurs de Dante à Cocteau, liste proposée par Guy Debord. Qu’il ait composé des livres avec Edith Azam, Jean-Pascal Dubost, qu’il ait traqué les maisons d’écrivains ne pouvait que me séduire (je venais de terminer Habiter en écriture avec Frédérique Germanaud aux éditions Rhubarbe). Sur le net, j’ai regardé ses installations en Chine, au Domaine de Chamarande, à Nantes, à la Maison Européenne de la photographie. Son univers, ses matières, ses façons de cadrer et surtout une réelle exigence graphiste m’ont touchée. Une autre surprise fut d’apprendre que Dualités serait publié chez Art3, éditeur de Nantes. L’éditrice Françoise Plessis avait déjà secrètement croisé mon chemin en réalisant Les Fastes avec Jacques Roubaud et Jean-Paul Marcheschi, rencontre que j’avais initiée avec le conservateur du Musée de la Préhistoire de Nemours. Elle avait édité Des poètes à l’œuvre avec le Musée d’Angers qui m’invitait à participer au prochain Musée poésie. Bref, les dualités s’évanouissaient pour faire place à de réelles proximités inconscientes.



Pourquoi neuf femmes ?

Je n’ai pas demandé à Jean-Yves Cousseau pourquoi il avait choisi neuf femmes, la gestation induite par le neuf semblait de toute façon féconde et sans doute que le féminin l’emportant sur le masculin suffisait à répondre à mes questions non posées. Etant la neuvième, j’ai reçu la dernière série de photographies avec un titre : proximité. Les autres huit autrices avaient déjà œuvré : Claude Ber avec matérialité, Claudine Bohi avec luminosités, Sarah Clément avec nébulés, Hania Daoud avec affinités, Carole Darricarrère avec traversée, Catherine Jullien avec picturalité, Claire Le Cam avec urbanités et Anne Talvaz avec brièvetés. A chacune, Jean-Yves Cousseau donnait l’ordre des images, son fil narratif visuel mais n’imposait ni contrainte de forme, ni même calibrage de texte.

Le lieu, la date, les faits
Est-ce cela qui s’écrit ?
Avant le début ou bien après
Ni commencement ni fin
Quand tout est là malgré nous.
S’exposer à l’autre sans polir les mots usés
Qui ne révèlent d’éclat que dans l’intime.


Peu importe la date, les faits
Tes paroles, les miennes approchent
Quand certaines autres menacent encore.
Ne pas tenter le deux trop vite
Dire les pères, les mères, les frères, les sœurs,
les absents.
Le deux en pointillé
Attaqué par les souffrances provoquées
Le vide nécessaire
Dans l’imaginaire de toutes les ruptures possibles
Dès l’instant où nos mains se touchent.

Comment as-tu écrit à partir de cette narration visuelle ?

J’ai mis son film muet dans ma valise puis étalé dans l’ordre les photographies dans la chambre de La Villa La Brugère. J’étais alors en résidence d’écriture à Arromanches. J’ai laissé les marées monter et descendre. J’ai eu très vite l’impression d’entendre ce que chuchote une rencontre, la possibilité ou pas de faire deux, ce deux dessiné en tension dans Dualités. Comment s’approcher d’un autre, partir revenir comme la mer, jouer la proximité sans se fondre, se perdre ? Les images m’ont dévoilé leurs matières et ces matières ont suscité des images avec mes mots. J’ai laissé émerger certaines couleurs, sensations suggérées par les photographies pour bousculer mon rythme, mes habitudes, mes réflexes. Elles ont parfois décapé mes tournures, parfois accordé un peu de douceur, ou provoqué une odeur, une comparaison saugrenue. J’ai senti des coupures de texte nécessaires pour laisser respirer une photographie ou l’inverse. C’était stimulant de ne jamais chercher à illustrer mais de jouer avec les possibles, me raconter en m’accrochant à un détail, une lumière, repartir avec le texte et revenir pour installer le dialogue, m’assurer que je ne m’étais pas trop éloignée en suivant la cohérence de l’écriture. Oser la tension texte image, ne jamais croire que l’un l’emporterait sur l’autre. J’ai aimé ne pas écrire sur mais avec, en compagnie des biffures, griffures, des flaques, de la rouille, des ronds dans l’eau. Je résistais à leur force pour glisser mes bouts de textes, voir si cela tenait à côté, avec, avant et après. Il faut dire que dès que l’image est là, elle « rapte ». Il fallait donc être en proximité sans perdre les miettes qui venaient nourrir le poème.



Et après ?

A la sortie de Dualités, une exposition des quatre-vingt-dix photographies originales s’est tenue dans la galerie Depardieu de Nice. Puis au salon de l’Autre livre du printemps, j’ai rencontré pour la première fois certaines des autrices. Peut-être qu’un jour nos neuf voix feront entendre lors d’une lecture collective ce métissage visuel poétique. Cela me plairait beaucoup. En attendant, le livre est plein de résonances. Je suis étonnée à chaque fois que je l’ouvre, de m’apercevoir à quel point le fil des images relie des écritures pourtant si différentes. Chacune dans sa singularité a été accrochée par un univers photographique cohérent qui a créé une basse continue permettant un livre aux échos multiples. Il y a eu en plus de l’édition courante chez Art3, une édition luxueuse en série limitée et numérotée aux Cahiers d’estampes chatoyantes. Chaque série d’images et son texte dans un grand format constitue presqu’une exposition, un dernier cadeau complètement inattendu.



Sur le site http://www.plessis-art3.com : on peut lire une trentaine de pages de cet ouvrage, on peut aussi le commander ainsi que bien d’autres…
N’hésitez pas bien sûr à consulter, aussi, le site de Jean-Yves Cousseau : www.jycousseau.com !
Et une exposition à la galerie Orbis Pictus au mois de juin, vernissage le 1er juin !
Diverses autres œuvres de Jean-Yves Cousseau seront exposées. En particulier, celles d’un nouveau livre qui sera alors également publié aux éditions Art3 : Quoi qu’il en soit... (avec les poèmes de Alain Madeleine-Perdrillat)
Mais revenons à Dualités, Sitor Senghor, le directeur de la galerie, souhaitant que l’exposition soit en lien avec le Marché de la Poésie de saint Sulpice, une soirée signatures/dédicaces du photographe et de nombreux auteurs est programmée le 8 juin en présence des éditeurs (Art3 et Isabelle Sauvage). Soirée durant laquelle une lecture de l’ensemble des textes de Dualités sera faite par Frédérique Wolf-Michaux accompagnée de Didier Petit au violoncelle.


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