Mini-entretien avec l’éditrice Caroline Gérard par Roselyne Sibille
Comment est née votre maison d’édition ?
À l’intersection entre le monde de l’art et de la poésie, l’idée d’allier ces deux univers en organisant une rencontre autour d’un livre s’est imposée à moi. Nous étions alors en 2005. Plutôt que de faire des livres d’artistes, j’ai choisi plus modestement de faire des livres d’artisans (comme je dis), en plusieurs centaines d’exemplaires. Le premier était Les Nuits de Vollezele écrit par Sylvie Durbec lors d’une résidence en Flandre. Le texte était accompagné par les dessins de Brigitte Conessa réalisés lors d’une résidence sur le Plateau des Mille Vaches. Je les avais mis en résonance sur une bande de papier, pliée en accordéon et liée par un ruban gris.
Quelles sont ses particularités ?
J’ai continué ainsi, choisissant d’abord un texte et un auteur, puis lui trouvant un partenaire plasticien. La forme des livres change au gré des rencontres. Pour la plupart, l’aspect artisanal persiste, car même si je fais imprimer chez un professionnel, il reste souvent quelques finitions à opérer afin que le livre acquière sa forme définitive, comme des collages ou des pliages par exemple.
Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?
J’ai du mal à répondre. Je fonctionne par coups de cœurs plutôt que par écoles. En effet, on classe souvent la poésie dans des courants, des écoles alors que pour moi, il s’agit d’un espace de liberté dont on ne peut définir les frontières. C’est une conversation qui revient souvent. Il y a quelques jours j’ai été un peu décontenancée quand on affirmait autour de la table, sur un ton péremptoire, « que ça c’était de la poésie et que ça n’en était pas ». En ce qui me concerne, je cherche des textes qui me touchent, tout simplement. C’est vaste, libre, sans préceptes.
Pour la sortie de Pompidou est mort, un ami a organisé chez lui une soirée-poésie en invitant des personnes qui ne connaissent rien à la poésie. C’était le challenge. J’ai trouvé que l’idée était très bonne. Pas de longs discours préalables, juste le texte lu par son auteur. Le public a été conquis, a découvert un espace qu’il ignorait. C’est cette simplicité là que je défends.
Avez-vous plusieurs collections ?
Officiellement non. Cependant, quand on regarde les livres Cousu Main, on s’aperçoit que suivant les plasticiens choisis, leur identité visuelle est différente et crée des sortes de groupes que j’appelle familles plutôt que collections.
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
D’abord, je publie très peu. Deux livres par an. Je dirais que je choisis les textes au hasard. Je m’explique : parfois j’’entends ou lis l’ébauche d’un travail en cours et je pose une sorte d’option dessus. Il m’est arrivé aussi de rencontrer un texte sur internet qui me plaît tant que je remonte jusqu’à sa source pour le publier. Ce fut notamment le cas pour Le lion des Abruzzes d’Angèle Paoli.
Au rythme de deux publications par an, j’ai des projets déjà définis pour les années qui viennent. Quant aux manuscrits envoyés par la poste ou par mail, même s’il me plaisent, ils ne pourront être publié avant 2020 !
Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?
Très difficile de répondre à cette question. Je dirais que c’est à chaque fois que, à la sortie de l’imprimerie, le livre répond à mes attentes. Et puis, la joie des auteurs et les plasticiens aussi, quand ils découvrent la concrétisation de leur projet. J’aime leur faire ce cadeau.
Et le pire ?
Le pire, il est humain, un désappointement tel avec un auteur que Cousu Main est resté muet pendant deux ans. Je voulais tout arrêter.
Mais, pour éviter d’en parler car la blessure est encore vive, je préfère raconter comment une sortie d’imprimerie a été un véritable cauchemar. C’était pour Mon chien de Michaël Glück. Susanna Lehtinen avait fait les dessins. Comme chaque livre a des formes un peu particulières, j’avais choisi une imprimerie très proche de chez moi, afin qu’à tout moment je puisse surveiller le travail. À cause de retards accumulés, il n’en a rien été. La veille d’une manifestation prévue de longue date avec Michaël Glück, un vendredi soir à la fermeture de l’entreprise, dans l’obscurité, j’ai embarqué les cartons. Quand je les ai ouverts, j’ai vu que les 300 exemplaires avaient été pliés en dépit du bon sens, les plis se trouvant au milieu des textes et des dessins. La semaine suivante, après d’âpres négociations, l’imprimeur s’est résolu à tout refaire.
En fait, la joie que je ressens à la sortie de l’imprimerie est proportionnelle à l’angoisse que cette épreuve suscite.
Des projets, des publications à venir ?
La prochaine publication sera un texte de Thomas Vinau, Notes de bois, illustré et mis en page par Valentine Leboucq, comme pour Pompidou est mort. Ces deux livres formeront une famille comme je le disais plus tôt.
Ensuite, je voudrais faire deux livres avec des poètes voyageurs et photographes. Une autre famille.
http://editionscousumain.blogspot.com
Extraits de différents recueils
Au bout des machines à écrire (Dominique Fabre)
Au bout des machines à écrire
dont il ne reste rien
dont on ne fait pas le hasard
ni la pluie ni le beau temps
à travers les années
espérer quelqu’un
une apparition
une réconciliation
retrouver les mots anciens
les chants les paroles
retrouver les Indiens
de ces vieux continents
qu’on entend
encore
parfois
Pompidou est mort (Nathalie Guen)
Le premier mort de ma vie
c’est Georges Pompidou
Je l’ai pleuré à la télé avant de savoir lire
Si même lui mourait alors c’était foutu
J’ai remis des petites roues à mon vélo
Il me manquait des dents devant
et elles ont repoussé de travers
C’est à cause de Pompidou
il a dit le dentiste
y’a pas d’appareil pour ça
faut la laisser
ça lui passera
Mon chien (Michaël Glück)
Mon chien a commencé à parler tardivement. Sept mots, du lundi au dimanche, sept mots suffisent à la phrase qui ouvre le livre vers les pages qui tourneront jusqu’à ce point - mais est-ce vraiment un point - final, au bout de. Au bout de rien, lorsque tous les points contenus dans le chargeur de la première phrase égrèneront leur long chapelet - balancier de la main tremblante qui aura donné le jour à quelque chose d’un récit - alors il faudra bien qu’un dernier s’enfonce, à son tour, dans la solitude du papier. À moins d’un renoncement coupable au moindre usage de la ponctuation.
Il faudra bien que ce dernier point raconte, lui aussi, son histoire. Ah, cet irrépressible besoin d’histoire qui, toujours, taraude les encriers, rumine dans le moindre crayon, ressasse, ressasse, dans la moindre circonvolution frontale..
Le lion des Abruzzes (Angèle Paoli)
Elle
avait tout oublié
de ce jour
tout ou presque
Et c’était février
le temps des fièvres
froides
des lumières
filandreuses
filtrant d’entre les doigts nus
des platanes
c’était le temps du Tibre
roulant des eaux
brumeuses
sur les berges
c’était le temps
des journées brèves
où courir les rues
de la ville
se heurte aux limites
de la nuit
tôt tombée
Moi, je suis quand même passé Eric Pessan
(Extrait et fin du texte, écrit entre octobre 2009 et février 2010, mis en ligne sur Twitter, avec la double contrainte de cent quarante caractères maximum par tweet et l’utilisation de la troisième personne, le nom de l’utilisateur devenant le sujet de chaque phrase. La mise en page de ce livre respecte cette contrainte et comme sur l’écran de l’ordinateur, procède du même déroulé chronologique, le début du texte étant en bas, et le sens de lecture se faisant en remontant le fil du papier)
voilà, c’est provisoirement fini, comme suspendu dans l’attente du prochain voyage. L’envie demeure vive, cela arrivera.
et se rassure immédiatement en rajoutant « provisoirement ».
se dit que c’est fini.
_
se dit que les mots sont des mots, que les auteurs ont tort de les croire si simples à utiliser.
s’énerve que les choses ne soient pas si simples : il ne suffit pas d’écrire douceur dans un texte pour que le lecteur la sente.
s’enroule pour la nuit dans une page. Aperçoit le mot « douceur » qui se détache du texte. Se dit que cela tombe bien. Ferme les yeux.
Le noir dedans Thomas Vinau
Notre peau est fine. Mordue par le noir du dedans. Attaquée par le noir du dehors. Mais impossible d’en venir à bout. On voudrait percer sa peau ou percer ses yeux. Ouvrir le noir du dedans et faire entrer l’autre. La lumière de l’autre. La chaleur de l’autre. Se remplir avec. Remplir son noir dedans de la lumière de l’autre pour être plus fort. Pour lutter contre le noir dehors. Mais c’est impossible. Le noir dedans ne se partage pas. Et le noir dehors est toujours là. Même serré contre l’autre.
Le noir dedans
________et le noir dehors
__________________ne se partagent pas
____et puis qui en voudrait
_____________du noir dedans de l’autre
___il y a assez à faire
______________avec le noir dehors
____________________et le noir dedans de soi
Le noir dehors
est pour tout le monde
Le noir dedans
n’est que pour soi
Il est intime
le noir dedans
Il n’appartient
qu’à soi
Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre Claude Favre / Eric Pessan
Les filles c’est comme ça, comme ça
qu’elles à caresses, trop.
Les filles ça tombe, plutôt au
mauvais moment.
Tombent, un peu qu’elles tombent,
beaucoup, avec des idées, quelques
unes, derrière la tête, sans grâce.
Tombent, pour tomber, effrontément,
elles tombent.
Tombent.
Quelle histoire.
Tombent à galipettes, nez plein
l’herbe, parfois sans s’appesantir,
elles tombent.
Elles tombent, un peu. L’air de
rien, the sky is. Et les petites
bêtes l’herbe love.
Histoire de. Des fois framboises
aux meilleurs jours.
Des fois, préférerait pas.