peintures de Sylvie Salmon, éditions Outrebleu, novembre 2018, 25 euros.
Adeline Baldacchino aime les nombres à fort pouvoir symbolique. Rappelons ses 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière), suivis de ses 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver), parus aux Éditions Rhubarbe en 2015 et 2017. Peut-être une façon pour la poète de baliser son espace, de donner une structure, un rythme à l’informe, de penser l’impensable aussi et de pouvoir l’exprimer.
Son nouveau recueil, un livre d’artiste, dont « Une seule année sépare l’écriture des deux séries comme un seul amour », s’articule autour du nombre 7 : deux ensembles de sept poèmes, sept peintures différentes, sept lettres dans le titre. De tous les nombres, le 7 est l’un des plus symboliques. Signe de dynamisme, de renouvellement positif après un cycle accompli, il représente la totalité de l’univers en mouvement. Et c’est bien d’un mouvement, d’un changement dont il est question dans ce recueil, d’une traversée de la nuit vers une nouvelle aube. Que faire du « désir qui fermente dans le corps / peuplé de mots qui le débordent » ? Il faut bien « retranscrire le paradis / sur parchemin / pour le réinventer ». Et comment vivre « paume plus ouverte / plus oublieuse » lorsque le corps craque et qu’on ne sait plus écrire ? La poésie, ici, est vécue comme une avancée sur des « pages blanches / plus nues que la peau », une « grève contre la mort » jusqu’à la rencontre amoureuse qui fait tout « re-commencer ». On notera dans cette graphie particulière du verbe l’idée de naissance, de re-naissance, présente déjà dans la symbolique du 7, D’écrire se voulant un double voyage de renaissance, spirituel et charnel, écriture et amour pris dans un même mouvement : « Il était dit / que nous nous attendions ».
Le « tu » du début a maintenant changé de visage : il ne s’adresse plus à soi-même mais à l’être aimé par qui le renouveau est arrivé. Une autre moitié d’année s’est ouverte comme à l’hémistiche d’un poème. On notera plusieurs adresses de deuxième personne dans les textes de cette seconde partie jusqu’au chiasme final qui croise les deux vies : « du tien et du mien / du mien et du tien. », en les maintenant fortement liées l’une à l’autre : « tout ensemble / plus qu’un / carré. » Chez Adeline Baldacchino la parole poétique, empreinte d’authenticité, s’ancre dans une réalité vécue, l’écriture, la poésie étant indissociables de la vie : « Ce qui se raconte / existe mieux / créer serait cela ».
Outre la présence du 7, on remarquera celle du 9, les poèmes comportant tous 9 vers, nombre de la patience et de la méditation, de l’harmonie, de la matière qui ne peut être détruite. Le 9 ne se reproduit-il pas toujours lui-même lorsqu’on le multiplie par tout autre nombre (2 x 9 = 18, soit 1+ 8 = 9) ?
Le texte, sobre, dense, progresse autour de trois infinitifs qui constituent, à partir d’une même structure, la trame de l’ensemble : « créer / toucher / aimer ». Autant d’étapes de la solitude à la rencontre, autant de balises sur la mer qui « nous appelle / nous rattrape » même si on sait qu’« on navigue / à vue ».
Les poèmes respirent sur la page de façon très aérée, le livre étant imprimé sur un large format de 19/25. L’absence de majuscules et de ponctuation renforce la fluidité de l’ensemble, chaque lettre pouvant s’apparenter à une note sur une portée musicale. On gardera dans l’oreille, en ligne harmonique, le célèbre vers de l’orphique Apollinaire dans Chantre : « Et l’unique cordeau des trompettes marines. » Le monostique résonne, ouverture et clôture, comme une mise en abyme du recueil. Forte césure, passage de l’unicité à la pluralité, certitude d’une corde, d’un fil à faire vibrer pour que chantent tous les possibles…
Les peintures de Sylvie Salmon, une artiste adepte du noir et blanc, s’accordent parfaitement aux poèmes : ses œuvres, qui épousent le mouvement du texte, ombre et clarté, rappellent les créations textiles contemporaines tout autant que les antiques palimpsestes. Écrire, réécrire, « re-commencer »… elles disent la trame des jours où se tissent et retissent les fils de la vie ouverte.
Marilyse Leroux