Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Editions Alcyone

dimanche 8 avril 2018, par Cécile Guivarch

Entretien avec Silvaine Arabo, par Florence Saint-Roch

Pouvez-vous retracer brièvement la genèse des éditions Alcyone ?

Désolés d’avoir dû fermer les Éditions de l’Atlantique pour diverses raisons, nous avons eu par la suite l’opportunité de créer de nouvelles éditions, les Editions Alcyone donc, les obstacles concernant les Éditions de l’Atlantique ayant été surmontés. Nous avons repris le concept des Éditions de l’Atlantique, en changeant toutefois la présentation de nos premières de couvertures (quatre Collections).

Pourquoi avoir choisi « la fille du vent » comme emblème ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ? À quoi cela vous engage-t-il ?

Alcyone représente plusieurs choses dans la mythologie. En Grèce antique il y a quatre Alcyone : l’une des sept Pléiades (étoiles), la fille d’Eole (fille du vent), la fille de Pélops (ancêtre des Atrides à Mycènes, qui a donné son nom au Péloponnèse) et la sœur d’Eurysthée (commanditaire des douze travaux d’Hercule, dont il est par ailleurs l’adversaire). Cette pluralité nous plaît : elle reflète bien cette diversité que nous attendons en poésie. Celle-ci est par excellence le domaine de l’Ouvert et doit rester plurielle, même si nous publions beaucoup de poésie, c’est vrai, sur la thématique de la nature. Mais il y a, là aussi, mille manières d’exprimer son rapport à cette dernière.

Le site des éditions Alcyone, de façon très symptomatique, s’ouvre par un « moment musical » (extrait de L’après-midi d’un faune, de Debussy), et la photo d’un arbuste en fleurs : qu’est-ce que cela révèle de votre approche de la poésie ?

Nous publions souvent une poésie reliée à la nature avec des poètes comme Marcel Migozzi (Ruralités), Sébastien Minaux (Le fruit des saisons), Françoise Vignet (Journal de mon talus) ou encore Laurent Bayart (Terra incognita) et d’autres bien sûr (on ne peut citer tout le monde, que les poètes me pardonnent...). Nous ne publions pas uniquement sur cette thématique, bien entendu ! Quant au moment musical, il reflète ce que nous aimons en poésie : à savoir une suggestion subtile plutôt qu’une narration.

Immédiatement après, on trouve une page consacrée à l’envoi des manuscrits : pouvez-vous dire quels sont les maîtres-mots dirigeant vos choix éditoriaux ?

Avant tout la qualité de l’écriture, bien évidemment, mais aussi une sensibilité particulière de l’auteur(e). Il faut que cette poésie soit “habitée” et nous convie aussi à plonger dans des atmosphères fortes. Un style maîtrisé, avec du “métier”, ne suffit pas... Pour le reste tout est ouvert. D’ailleurs la poésie n’est-elle pas l’art de l’Ouvert ?

Quel est votre plus grand souhait concernant l’avenir des éditions Alcyone ?

Être des “passeurs”, faire en sorte de donner à nos auteur(e)s la “vitrine” publique qu’ils méritent, mais aussi contribuer à perpétrer le flux poétique d’aujourd’hui et à l’infuser dans la société, en la convainquant que la poésie, par le sang neuf et “l’oxygène” indispensable qu’elle procure, est absolument essentielle et fait partie intégrante de la structure de la conscience humaine. Convaincre qu’on ne peut vivre sans la poésie qui est, en quelque sorte, la “respiration” de l’âme !

C’était une colline avec des pierres blanches Pour marquer tous les jours d’un signe de bonheur
Puis la pierre est devenue grise La colline est si vieille que tous ses os se brisent
Et le vent souffle la poussière de nouvelles enfances.

Jean-Pierre Farines
Extrait de Petits poèmes du jour et de la nuit

Depuis la nuit des temps nous n’avons cessé d’écrire avec des pierres.
Dressés ou couchés, de granit ou de calcaire, nos mots sont restés les mêmes, garants de nos actes et de nos pensées.
Eux prenant le parti de l’éternité, nous de l’éphémère.
Eux prenant appui sur notre passé pour servir au mieux notre avenir ; nous tenus de réinventer chaque jour le verbe, d’élever quelque nouvel édifice, quitte à puiser nos matériaux dans le livre ouvert de nos ruines.

Jacquy Gil
Extrait de L’envers du monde

Novembre en pots ne reste pas
Planté devant les chrysanthèmes morts

Pour qui ?

Novembre au sang et le cœur gros c’est déjà
plein
Pas de place pour le dernier vivant

Déjà ?

Marcel Migozzi
Extrait de Ruralités

à moi les improbables cimaises
des premiers beaux jours
tumultes superbes de verdures
voici le temps où plus rien ne doute
que ces luminescences
ces au-delà des pourritures nacrées

l’araignée tisse encore sa rosée
et les parfums d’humus
tout m’ensevelit comme un crin audacieux
tendu sous la bise maîtresse
sous le chêne le monde se tait encore
et les crocus

Dominique Hébert
Extrait de Les roses cardinales

On reparlera encore de ces sillons qui lissent la terre, de ces colombes qui colportent dans leurs jabots beaucoup plus que de l’amour, de cette terre qui s’arrondit et devient chatte sous le vent, de ces chemins du regard qui sont les seuls possibles dans la probable tourmente, de ces horizons mouvants qui font penser au grand départ où l’on se trouve bien dans les maisons de terre, où l’on peut bâtir l’avenir grâce à une fleur. (Lauragais, Haute-Garonne)

Michel Cosem
Extrait de L’encre des jours

Surprenante et perceptible la matière même du silence que le froid pénètre de ses aiguilles. Lent le chemin des yeux pour enjamber le réel et le rendre convertible jusqu’au prochain sommeil. Heureux les tons clairs qui bordent les contours. Et nous derrière la vitre à murmurer nos gestes plutôt que de les dire.

Jacquy Joguet
Extrait de Nuages en bas de page

Jour de givre on attend
le dégel des gestes des visages
quelques craquelures de lumière
et l’herbe enfantine infatigable

Partout la terre serrée dans ses ruines
son futur de friches de routes désertées

Des calligraphies d’arbres secs
Défient le ciel blafard

Même le silence se referme

Jacqueline Saint-Jean
Extrait de Solstice du silence

Augures. Sentinelles. Présages pour l’oiseau mort sur la branche infinie. Il fut bien des oracles pétris de lèvres vierges, des signes annoncés par des astres violés au gré des transparences, entre les plis fugaces du courant sous le pont et l’ordre défaillant du fond vaseux…
Bien des enchantements sous l’hystérie des bêtes. Nous soumettions l’espace aux armoiries du rêve et nous rêvions la vie, à nulle autre pareille, dans l’accomplissement des dieux d’un autre temps.

Léon Bralda
Extrait de La voix levée

La voix s’enfonce dans le pays lointain
des démarcations d’oiseaux
atteignent les rivages de la neige
leurs pas laissent des traces
sur le givre encore indécis
C’est comme une langue étrangère
cet étonnement blanc
réappris

après tant de luttes sauvages
de lentes émergences
de continents tombés dans la mer

il y a cet isthme
cette embouchure
cette convergence des silences
cet embrasement des cerisiers
dans l’air vivant du matin.

Silvaine Arabo
Extrait de Triptyque

Du jour
La main coule au diapason de la rivière mêlant ses doigts aux herbes, heurtant quelque branchage flottant. L’oreille s’ouvre au tintement limpide des musiques aquatiques tandis que la mélodie du jour ne retient que la mémoire lointaine d’un temps aujourd’hui perdu. À la fenêtre ouverte des cités nouvelles, les pigeons et les moineaux se disputent l’épaisse rumeur des chantiers de vie.

Monique W. Labidoire
Extrait de Gardiens de lumière

Nous sortons pour planter le pêcher.

Au lieu du grand silence d’ici et de ses bruits de vent, une clameur, mi- articulée, miroucoulée, à voix si aigües que féminines, comme en une langue étrangère.

Les grues ! Les grues cendrées sont de retour.

Et le regard s’élève, scrute le bleu et les nuages blancs, s’égare, avant de contempler enfin, tout au fond du ciel, les très hauts vols mouvants - innombrables variantes de V non enchevêtrés, qui ne cessent de se recomposer savamment.

Et l’esprit se déroute, fasciné par ces rythmes millénaires des bêtes et des lunes, qui font de nous des humains si petits, soudain, parmi l’immensité des ciels.

Françoise Vignet
Extrait de Journal de mon talus

Ils ouvrent
le silence de leurs corps
à celui du monde

entre eux glisse
l’envers des signes
et les élytres incendiés des nuits
marbrées de vertiges

eaux brûlantes
noces noires
avec l’éclair

ils ont des gestes d’aromates
pour toucher
la tunique du manque

chercher
par quoi commence
l’oubli

Jean-Louis Bernard
Extrait de À l’ordre de l’oubli

Je tousse les miettes du froid
Les poissons du ciel perdent leurs lisses écailles

Bleus des truites de cannes à neige
Ce sont pourtant des jours sans arêtes
Mais j’ai la gorge mouillée au bar des étincelles
Et au collet le lasso de la bise
Qui serre son écharpe sur ma voix

Anna Jouy
Extrait de De l’amer citronnier de la lune

Et la neige, en son grammage léger, retisse sa page blanche, inouïe, sur les vallons et sur les prés. C’est un monde en sursis qui s’offre sans défense, un écran de pudeur qu’il nous dérange d’effleurer, même d’un frôlement de cils. Le sol adoucit sa respiration sous l’écorce extrudée couleur ventre-de-biche. Et dans l’apaisement nacré d’une aube grise, la récréation des souvenirs…

En notes ténues, régulières, quelques traces de pas sur ce poumon d’ivoire, presqu’immobile, et autour des taches de sang, éparpillées : le renard a chassé, comme une signature au pied d’un testament.

Sébastien Minaux
Extrait de Le fruit des saisons

Une marée d’arbres aux débords de la colline se disperse dans les premiers jours du village : sur les rives d’une mince rivière à l’arrière des crues, sables et branchages. Tes orages n’enseignent rien. Tu écoutes d’autres conversations et le lierre qu’on brûle – ces murs t’abriteront encore.

La chaleur fige les pierres mais quel rôle était le tien ?

Le travail restera inachevé.

Eric Barbier
Extrait de D’un silence inachevé

La lune est là
face au laurier blanc
de grands arbres cachés
platanes et peupliers
dansent aux sons des grillons

on ne voit pas la lune
ni ne touche les fleurs
le grillon reste seul
avec le silence des grands arbres
dont la parole luit

Eric Chassefière
Extrait de Déambulations du sable

Textes : © Editions Alcyone

http://www.editionsalcyone.fr/


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