Mini entretien avec l’éditeur Yves Artufel par Roselyne Sibille
Comment est née votre maison d’édition ?
Elle est née d’une revue qui portait le même nom et a existé de 1992 à 2004.
Quelles sont ses particularités ?
Les livres sont fabriqués à la maison avec les moyens du bord.
Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?
Des textes à dire (les environs de la poésie sonore), l’humour et la poésie du quotidien (quelque part entre Brautigan et l’école de Rochefort).
Avez-vous plusieurs collections ?
Non.
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
Je reçois autour de 500 manuscrits par an. Je fais une pré-sélection d’une cinquantaine et en fin d’année j’en retiens une dizaine qui vont rentrer de façon à peu près équilibrée dans les types de textes (sonore – humour – quotidien) évoqués plus haut.
Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?
Décembre 1991, le premier numéro de la revue Gros Textes qu’on avait fabriqué avec quelques copains. J’étais loin d’imaginer que 25 ans plus tard, j’écrirai pour Terre à ciel.
Et le pire ?
Un manuscrit que j’ai accepté pour faire plaisir à un auteur et avec lequel j’étais en profond désaccord sur le fond.
Des projets, des publications à venir ?
Pas mal…
Extraits de différents recueils
La cruche d’eau la demi-boule - Robert MOMEUX
Le petit instituteur de village
Qui a si mauvaise vue
Se dit qu’il aurait bien aimé
Faire de longs voyages
Suivre les Congo et les Orénoque
Qu’il connaît par des livres
Richement illustrés de gravures à l’ancienne
Ici il a beaucoup à faire
Et le temps passe plus qu’on croit
A rester songeur
A regarder tout au long des vacances
Les troupeaux rentrer paisiblement
Les oiseaux tisser le ciel mouvant
Les chiens les chats qui vont et viennent
Ou bien la pluie qui va tomber
Pendant des heures
Interminablement
Nature morte - Robert MOMEUX
Quand il pleut on pense à des choses
Qui sont sans rime ni raison
On revoit des allées lointaines
Qui se perdaient au fond du bois
On pense à des après-midi
Qui furent sans fin qui passèrent
A des ruisseaux qu’il faisait bon
Poursuivre où ils allaient
On revoit le visage triste
Du vieux voisin qui veillait tard
On pense aux arbres du jardin
Et à leurs fruits à leur feuillage
On revoit
Des murs effondrés au soleil
Ou bien la cage et tant d’oiseaux
Ou bien cette chienne si douce
Qui a tant aimé les enfants
Et qui est morte regardant
La porte
Qu’on n’a pas ouverte à temps
Le plateau des Claparèdes - Robert MOMEUX
Je te donnerai
Un chapeau de paille
Et un paon du jour
Et un paon de nuit
Avec ton pinceau
Tu feras la terre
Plus belle qu’avant
Et tu signeras
Sur la pierre grise
Je te donnerai
Un chapeau de paille
Un verre de vin
Un verre d’eau - Alfonso JIMENEZ
Une simple mouche peut très facilement
se noyer dans un verre d’eau
Elle peut aussi
y pratiquer la brasse
pour rester en vie
Tout est possible avec une fenêtre ouverte
en plein courant d’air ou à minuit
Les mouches sont des bestioles
dont on parle peu
on préfère les massacrer
Parfois elles vont sur la merde
ce sont des mouches à merde
Les pauvres !
Elles ont quand même une drôle d’existence !
Naturellement vous n’êtes pas heureux
Etre heureux est très difficile
Mais vous l’êtes certainement plus qu’une mouche !
Ne l’oubliez pas !
Ser(re)ment - Bruno BERCHOUD
Les vieux qu’on additionne - à eux deux cent soixante ans pas loin mais toujours main dans l’autre et sourires mêlés, lui calembourre et bourre sa pipe avec les mots, son rire a même des éclats,
elle plutôt pastel à vrai dire moins haute en couleurs, et en effet où passe-t-elle, si tendre à l’oreille qu’il faut tendre, parle juste ce qu’il faut, mais juste.
Sur la terrasse de l’hôtel un soir on les y prend, en douce ils se partagent la grosse orange du soleil couchant, yeux et yeux qui font quatre baignés dans l’horizon. On se pointe des pieds, on voudrait pas crever
leur poche de silence (allons c’est ridicule, voilà qu’on s’attendrit), on salue du menton vite fait, d’un sourire on ravale en secret la prière :
ces deux-là faut qu’ils meurent
même jour même heure.
Poème pas sioux - Roger LAHU
entre capucines et pois de senteur
pieds nus sur la terre
de mon petit jardin
je me souviens d’un coup
de ce titre :
« Pieds nus sur la Terre Sacrée »
je remue les orteils
et presse plus fort
pour sentir « quelque chose »
qui me remonterait le long des guiboles
jusqu’au sommet du crâne
une sorte de Force quoi !
et rien
rien du tout
me sens tout con pieds nus
sur la terre
de mon petit jardin
entre capucines et pois de senteur
pas sioux pour un brin
souriant
j’allume une Winfield
faute de calumet
Fougax et Barrineuf - Sébastien LESPINASSE
Fougax a envie de faire quelque chose, il veut agir ou du moins il sent qu’il voudrait agir, qu’il faudrait se décider maintenant, il a une véritable envie de vouloir sortir de son immobilisme, c’est comme si c’était fait, c’est en train de se décider, il va d’un moment à l’autre se lever et faire quelque chose, commencer une action, se préparer à ce processus de transformation de soi, il commence à entrevoir les conditions qui vont lui permettre de se décider à agir, résolument, sans perdre de temps, sans se compromettre, de manière à ce que les choses changent radicalement parce que ça suffit comme ça, il va se jeter à l’eau, il va devenir maître de son destin, il va reprendre les commandes du cours de sa vie, c’est sûr, c’est décidé, quelque chose de neuf, de beau et de nécessaire va bientôt démarrer, une nouvelle vie, il sent cette nécessité l’appeler intimement, il sent en profondeur cette envie nécessaire de se mettre en mouvement, d’échapper à ses habitudes, de se jeter dans le cours tumultueux de l’existence, il imagine tout ce que cette décision va lui ouvrir comme possibilités, comme champ d’action, il se voit en pleine reconquête de lui-même, sûr de ce qu’il fait, il caresse l’idée de cette vie meilleure, de toutes ces bonnes résolutions par lesquelles il va sculpter son existence, il se sent se fondre peu à peu dans cette discipline de vie, rigoureuse mais juste et nécessaire, il sent combien il est dans le vrai, il se sent tellement bien dans ses idées, vraiment porté par son envie de s’en sortir, il se sent tellement, tellement dedans, dans tout cet avenir qui s’offre, qui se découvre, il se concentre en soi, il se prépare intérieurement, il va décider, choisir, entreprendre, il va se lancer dans l’action, il cherche en lui ses forces, il se concentre, il retient son souffle, ferme les yeux, il s’endort.
il est bien plus facile à un ver de la pomme (carpocapse) de rentrer dans mes pommes qu’à l’amour dans certains de mes poèmes - Yves ARTUFEL
Les vers de la pomme (carpocapses)
sont en train de bouffer
toutes mes pommes
Je leur ai balancé un produit
censé tuer ces vers-là
mais je crains qu’il ne soit déjà
trop tard pour cette année
J’ai lavé le pulvérisateur
soigneusement
à la fontaine
et maintenant
je cherche
par où l’amour
pourra bien rentrer dans ce poème.
Alain JEGOU
A chaque partance sa part d’insouciance
comme une évidence pour s’extraire
sans flottements ni remords
se libérer de la routine et du confort
se débarrasser du fard et de l’apparence
pour s’accomplir en toute nudité
inspiré par l’impérieux besoin
d’errances, de quêtes et découvertes
la passion dévorante qui fait pousser les ailes
sourire l’univers et reculer la mort
Karin HUET
il est temps
il est temps
corne d’élan
il est temps
cornegidouille
le temps
c’est tant
il est tentant
corne d’élan
il est tentant
de prendre
son temps
le temps s’étend
cornegidouille
le temps se rouille
le temps étang
corne d’élan
le temps se tend
prend son élan
il est temps
pour le temps lent
il est temps
de prendre le vent
il est temps
que le temps bouille
il est temps
corne d’élan
il est temps
que le temps pète
il est temps
cornegidouille
il est temps
de prendre le vent
Pour lire un article de Matthieu Gosztola sur la poésie d’Yves Artufel :http://terreaciel.free.fr/arbre/art...
(Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille)