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Editions Henry

dimanche 15 janvier 2017, par Roselyne Sibille

Mini-entretien avec Jean Le Boël, éditeur des éditions Henry, par Roselyne Sibille

Comment est née votre maison d’édition ?

La SARL Éditions Henry, du nom de Catherine Henry, gérante et actionnaire principal, est née en juin 2005 de la rencontre de la SA Henry, héritière d’une tradition d’imprimeurs et éditeurs depuis la première moitié du dix-neuvième siècle, et d’Écrit(s) du Nord, revue, puis association, que j’ai créée en 1994, dans le giron des éditions PPP, dirigées par Marguerite Audebert. Ces dernières avaient été rachetées, en même temps que le groupe de presse auxquelles elles étaient attachées, par un concurrent que la poésie contemporaine n’intéressait pas. On voulait bien me garder comme chroniqueur – je donnais des billets sur la langue qui rencontraient un certain écho –, mais on n’envisageait rien d’autre sur le plan éditorial que du régionalisme. J’ai préféré m’en aller. Nous avons d’abord fonctionné en éditeur associatif, puis j’ai proposé à Catherine Henry à qui nous confiions le soin d’imprimer nos publications, de lancer une petite maison d’édition littéraire. C’est une femme qui a un immense respect de la littérature ; elle se souvenait que son grand-père avait été le premier éditeur de Pierre Jean Jouve ; elle songeait à transmettre la direction de son entreprise, mais elle redoutait sans doute l’oisiveté : elle a accepté. Nous avons d’abord fonctionné dans le cadre de la société Imprimerie et éditions Henry, puis nous avons fondé une SARL.

Quelles sont ses particularités ?

Je suis d’abord sensible à ce qui nous rapproche des autres maisons de notre taille : toutes rencontrent les mêmes problèmes et les auteurs n’imaginent pas toujours leur fragilité : il y a un côté funambule chez le responsable d’édition qui est souvent une espèce de Maître Jacques : magasinier, commercial, forain, maquettiste, correcteur, animateur, etc. ; de fait, toutes sont portées par l’amour de la littérature et un certain esprit d’indépendance. Sur le plan pratique, des choix se dessinent pourtant. Nous avons vite renoncé à solliciter des subventions : je n’aime guère qu’on nous suggère des choix et je préfère ne devoir qu’à nos lecteurs (l’inconvénient est que l’organisme qui subventionne a intérêt à la réussite de qu’il soutient, qu’il s’investit après avoir investi et que nous perdons cela) ; nous essayons de proposer des livres bon marché : le prix ne doit pas être un obstacle (évidemment, nous margeons moins et il faut toucher un public plus large, mais n’est-ce pas mieux ainsi ?) ; j’ajouterai qu’après avoir rendu hommage à de grandes voix qui me restent chères (Marie-Claire Bancquart, Pierre Dhainaut, Lionel Ray, pour prendre l’exemple de nos débuts), j’ai cru plus utile d’être attentif au grand foisonnement du verbe poétique, de servir de marchepied, d’être en posture d’accueil et d’encouragement.

Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?

Nous nous inscrivons résolument dans une perspective contemporaine. Il me semble qu’il y a une histoire des formes et que les meilleurs lecteurs des classiques que je vénère sont ceux qui s’en nourrissent, mais ne les copient pas. Je milite pour un lyrisme sans obscénité, je recherche de l’humain, de l’invention et de la musique. Mais je me refuse à tout dogmatisme. Je n’applique pas aux autres les injonctions auxquelles je me soumets en tant qu’écrivain. Nous publions des textes divers, pourvu que le projet soit cohérent et que notre langue en soit magnifiée.

Avez-vous plusieurs collections ?

Nous avons deux collections : Les Écrits du Nord et La Main aux Poètes.
Cette dernière est très identifiable : petit format (le livre loge dans la poche ou le sac), petit prix (le même, qu’on ait 32 pages ou 144), charte graphique élégante, me semble-t-il ; si on la considère d’un peu plus près, on remarquera l’absence de préface et de toute rubrique du genre « du même auteur ». L’idée est de préserver la liberté du choix : pas d’argument d’autorité, pas de « prescripteur » ; on feuillette plusieurs ouvrages, on est touché par un passage, on se dit « Tiens, j’en ferais bien le compagnon du trajet en train ou de la pause-déjeuner, au fait, de qui est-ce ? » et on revient vers la première de couverture. Le texte d’abord.

L’autre accueille des œuvres de manière plus classique : on y trouve ce que La Main aux Poètes ne donne pas (mais la Toile n’est-elle pas là pour les informations qui, imprimées, deviennent vite obsolètes ? Seule la poésie mérite le papier) et, le plus souvent, un éclairage critique. On y rencontre en particulier les ouvrages primés dans le cadre du Prix des Trouvères que nous animons avec ses deux lauréats, l’un choisi par un jury d’adultes, l’autre par des lycéens.

Ces deux collections ont visuellement en commun le travail d’Isabelle Clement qui réalise la plupart de nos vignettes de couverture. Je crois que cette unité dans la diversité a grandement contribué à rendre nos livres identifiables. Que la plasticienne en soit remerciée !

Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?

Il me semble avoir partiellement répondu quant aux critères. Pour les modalités, nous touchons à l’aspect le plus délicat et assurément le plus douloureux de notre pratique. Nous recevons plus de cinq cents propositions par an. Beaucoup ne sont pas pertinentes, pour différentes raisons, encore qu’on ne puisse rester indifférent à la voix d’autrui. Mais il en reste une centaine, alors que nous ne publions qu’une petite vingtaine de livres de poésie. Il y a les auteurs que nous avons déjà produits et que nous voulons accompagner. Les choix sont toujours difficiles et je ne puis décider sans l’aval d’un comité. Merci à ces fidèles ! Je ne les nommerai pas : qu’on ne trouble pas leur paix ! J’essaie souvent d’adresser un signe à ceux qui n’ont pas été retenus et qui, pourtant, ne nous ont pas laissés indifférents. Écrit(s) du Nord nous permet d’accueillir, à côté de ce que nous programmons pour notre collectif, des extraits de ces manuscrits, de dire « Vous avez été lus et appréciés ; vous le serez encore et peut-être votre texte trouvera l’éditeur que nous n’avons pu être… »

Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?

On ne travaille pas pour soi, mais pour l’autre et c’est de cela que je suis heureux presque à chaque fois.

Et le pire ?

Je n’en vois pas. Même les erreurs et les catastrophes finissent par devenir des leçons ou des objets d’amusement. Je me dis que dans une trentaine d’années, je commencerai à connaître le métier !

Des projets, des publications à venir ?

Continuer à servir l’homme et la poésie, là où je suis, bien que j’aie atteint depuis longtemps mon seuil d’incompétence.


Extraits du catalogue de l’automne 2016

Extraits de Je murmure au lilas (que j’aime)Valérie Canat de Chizy

Le silence, c’est voir les pupilles du chat se dilater, et comprendre ce qu’il dit sans avoir besoin de parler.

*

Etre ici maintenant dans le silence. Juste voir défiler les instants, être un regard sans buée posé sur les choses. Le cerveau se déconnecte des pensées tumultueuses pourtant ce n’est pas le vide. On pourrait dire une plaine en hiver et les moutons de l’océan au loin.

*

C’est un chemin tracé, poudré de blanc. Un filet très mince dans les interstices du temps. Ce sont de fines tranches découpées dans la clarté des jours. Elle vit dans le froid à l’intérieur, le désert des paroles. Une personne lui parle, une seule. Puis une autre. Tranches de vie. Le temps est découpé.

Extraits de L’entaille et la couture - Estelle Fenzy

Je n’ai que ma nudité sur les épaules
une étole de peu
Elle suffira bien
Quoi d’autre pour réchauffer la nuit

*

N’éteins pas
ferme les yeux
caresse en braille
Il n’y a rien à démasquer
sauf
la chose sauvage qui
érafle l’air découpe le feu
Je la prends à revers
On dirait l’ombre ploie
muselée sous la peau

*

Serre-moi
Que pas un centimètre
ne nous écarte
C’est vide cet espace froid
quand debout face à face

Serre-moi
Qu’il n’y ait pas de place
entre nos peaux
ni pour les regrets
ni pour la petite âme
d’un oiseau

*
Ecrire dit-elle
Jouir dit-il
Mon amour c’est un peu
la même chose

Extraits de Lune douleur - CarluxPhilippe Fumery

Etang entre les saules,
les poussées du vent
tirent des rideaux
frémissants.

*

Sac à main léger,
porte-monnaie vide,
un bouton
deux trois pièces
d’anciens francs,
elle griffonne une liste
de provisions,
café, margarine ;
sort dans le couloir
du pavillon.

*

Un homme
en âge avancé,
se retourne au passage
d’une femme
à la longue chevelure
flottante, sombre,
désormais
parmi ses songes,
rentre à pas comptés
en sa demeure.

*

L’enfant gardera ce geste
en mémoire,
nettoyer entre ses mains
l’oignon récolté
jeu de balle tournée
pour ôter la terre, les peaux sèches,
lancée dans le panier,
montré, répété
par son grand-père
genoux en terre à l’ombre des noisetiers

Extraits de Dans le ventre de l’ange et autres cachettes Marie Ginet

Un corbeau bec dur dépèce un poisson crevé. Les flasques pupilles avant tout le reste.

On croise des péniches poubelles : plastiques compressés, terres contaminées de plomb, de cyanure, de césium 137. Tout cela qu’on repousse vers l’Est. Les éboueurs vivent sur leur bateau. Certains sont contrôlés par des prises de sang : les nantis belges et français qu’on prime de risque. Les autres voguent la galère.

Aussi loin qu’il m’en souvienne, les charognards font peur à l’homme. C’est justement les yeux qui nous manquent.

*

Par le hublot passe le monde : wagon de bois dans la dérive des mousses grasses, fougères humides semblables aux jungles, feux de Bengale qu’un jardinier allume et plie.

*

Un couple de péniches blanches et bleues – comme si manteau de vierge peinture neuve – pointe à l’horizon. Elles avancent de front dans le grand gabarit de l’Escaut et nous croisent glorieuses adressant des tuts tuts à la tête de l’ange. Nos bras pour leur répondre.

*

Descendre en ascenseur géant la colline verte. laisser coulisser le canal et tous ses bateaux dans des filins d’acier.

Des badauds bouche bée lorgnent le phénomène : des contrepoids fabuleux, des mètres cubes par milliers, ciel et eau. Nous dedans.

Extraits de Passage au bleu - Brigitte Giraud

On paraît, on apparaît.

On voudrait que la nuit pétille de toutes nos mains.
Et puis.
On sursaute au moindre bruit.
Le corps glisse dans une fissure.

Par instants, on voudrait éteindre le ciel,
ne garder qu’une lanterne,
en tamis de quelques mots.

*

Tu dis que tu as une poussière dans l’œil et
ce n’est pas vrai.
La noirceur naufrage le rimmel.
Je voudrais ramasser des hérons,
des cailloux avec des bouches,
un morceau de bois au bout d’une phrase,
des trucs qui auraient de la gueule.

*

Tu passes ta main dans tes cheveux.
Je te regarde.
Et puis je regarde ta main.
Et puis je regarde ton geste,
un dessin de l’air au-dessus de ta tête.
J’essaie de m’en souvenir tout le temps,
de ces quelques minutes de caresse.

*

On a laissé faire,
un temps sans rien,
sans vide, sur les perrons, dans les rues,
sous les lampes, on a laissé
les mots à leur phonétique,
on n’a rien creusé, rien forcé,
laissé la lumière grimper les marches,
puis entrer dans la chambre,
détendre le creux des oreillers,
les paupières tièdes,
on a laissé le ciel
ouvrir son parachute.

Extraits de Le chien de Zola - Laurent Grison

[…] c’est en levant les yeux
que tu crois trouver
un sens
dans le long
dans le très long
drapé des nuages
aplat bleu
d’un lac bleu
dans le ciel bleu
extravagant
oblique
même
tu dessineras alors
noir sur blanc
le tourbillon des mots
nouement abyssinien
de voyelles
muettes
en oubliant que
déjouer le manque
est le destin de l’homme […]

*

[…] les hommes sont
des noms gravés
dans la pierre encore chaude
la folie est ensevelie
de force
sous le grès
le coq qui parade
en haut du monument
ne chante jamais
il observe les enfants
qui marmonnent la Marseillaise
sous la pluie
devant un maître d’école
qui bat trop vite
la mesure […]

[…] tu reviens
enfin
vers le présent
crois l’apprivoiser
avec des mots
et des recettes
une livre de souvenirs
une pincée
d’au-delà madeleinesque
mélanger le tout
jusqu’à émulsion
complète
la pâte-à-temps
doit être fluide
la laisser reposer
dans la fraîcheur
de l’hiver borgne
et défeuillée […]

Extraits de Racines - Valérie Harkness

Dedans et dehors

Il y a le temps d’avant
La douceur des teintes
La caresse légère des voiles
Des odeurs obscures
Des luttes secrètes

Il y a le temps d’après
La douceur, la caresse, les odeurs, les secrets
D’avant

Mais il manque la forme qui se prend avec chaque poussée
De souffle
Avec chaque mouvement
Se forme dessous et dessus
Dedans et dehors

*

Il y a des fois
Où c’est comme si le bois se taillait
Les traits d’une figure
Et puis d’une autre
Et puis finalement dans l’âge

Laissait le temps
Le vent
Le passage des choses
Lui donner
Un parfait toucher
Une peau presque lisse

Tout y glisse

*

Il y a d’autres fois

Où le bois se sent tant chez lui
Qu’il se rend
A la somnolence qui le prend
Et
Assoupi
Enfin serein
Ou presque serein
Se rend

Se laisse aller
Surprendre
Ou pas
Par tout ce qui passe par là

Et s’endort
Comme en hibernation alors
intouchable

Extraits de La tristesse du monde - Christophe Jubien

JACK

Une vieille baraque
paumée dans la cambrousse
qu’il a rachetée pour une misère
à sa sortie de taule

Adieu bordées et bourlingues
Jack ne voit plus personne
il veut la paix, vivoter
braire comme un âne et cuire son pain

il y aura des poules, des lapins
une chaise longue pour les jours de soleil
une longue fine brune pour lui tenir la main
et un clébard pour gober
les mouches surnuméraires

Voilà, Jack a fini de parler
il règle nos bières
griffonne son adresse
sur un bout de papier
et prend congé de moi d’une tape sur l’épaule
« tu seras toujours le bienvenu ! »

A poor lonesome hobo
larges épaules, dos voûté, sourire bleu
la crème du système solaire
Kérouac en personne
qui passe en coup de vent
dans un bistrot de Champdeniers
à l’heure où les mouches s’endorment
à même les clients.

*

ELLE REVIENDRA

J’ai connu la beauté autrefois
rappelez-vous
le papillon sur l’épaule
la coccinelle sur le doigt
la lune qui sourit
le frêle brin d’herbe
qui pisse une goutte de lait
et le grillon dans sa cage d’osier
auquel on donne à manger
un pétale de rose
j’ai connu tout cela
et je me le remémore
à présent que j’arpente, aveugle
le désert de l’âge adulte
un jour, je le crois
la beauté reviendra
pas encore, pas de suite
il faut d’abord que je me voûte
m’affaiblisse, rapetisse
il faut du temps, des défaites
d’innombrables deuils
avant de redevenir enfant
et recouvrer tout l’univers
dans l’examen ébloui
d’une goutte de rosée
venue au monde
dans un chou
pas plus sot qu’un autre.

Extraits de Les ruelles montent vers la nuitPhilippe Leuckx

Il va falloir laisser les terrasses au chagrin des poussières.
Rameuter les dernières herbes dans un poème qui flambe
Revenir à l’intime des lieux au hasard des livres.
Et surtout ne rien céder d’essentiel.

*

Sans doute y a-t-il beaucoup de prévenance
à l’égard du ciel.
La lumière et le bleu et la courbe du jour.
Les mots éclairés et la présence.

*

Dans la tiédeur des dimanches calmes, dans une lumière qui commence à s’étioler, au sein des mots d’une lecture. Que tout semble aller de soi, comme une fête, comme une branche qui verse sa douceur.

*

J’ai laissé les murs et les jardins s’accomplir
Dans la lumière des matins.
On venait sans rien dire s’abreuver de beauté.
Les mains et leurs poèmes.
Le juste souci du peu qui s’ouvre.
L’enfance.

Extraits de Domaine du Levant - Jeanne Maillet

J’aimerais vous parler
de la part des poètes d’en-haut :
« Nous régnons dans l’amplitude des mondes
Nous avons des corbeilles
pleines de fleurs d’amandier pour vos hivers
et des manteaux si doux
qu’ils envelopperont votre corps
de sereines tendresses…
A l’heure du grand passage,
quand vous ferez des signes d’adieu à vos amis
nous veillerons, fermes et attentifs,
sur votre délicate accession ».

*

Que dites-vous, berger ?
Je ne devine que vos lèvres appelant le troupeau
mais d’un ton si doux
que seuls pourraient l’entendre
les humbles, les secrets,
les musiciens du cœur…

Une gloire sans hâte…
Un soleil sans merci
Une calme fontaine
Trottinant dans l’azur
Un geste de la main,
Vous, dans cette embrasure
Voici donc le chemin
du miel et de la mûre…

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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