Comment est née et pourquoi as-tu décidé de créer la maison d’édition Le Citron gare ?
J’ai décidé de créer le Citron Gare, mu par un sentiment d’injustice, ayant constaté que plusieurs auteurs que je publiais dans Traction-brabant n’étaient pas édités, alors que la plupart des éditeurs éditent toujours les mêmes auteurs, comme par mimétisme...
Comment s’est effectué le choix du nom de la maison, le choix du format des livres, du rythme des publications ?
Le choix du nom des éditions s’est fait progressivement. Au début, je les ai appelées Le Citron noir, pour l’acidité et la noirceur des poèmes que je voulais éditer. Puis, ayant constaté qu’un éditeur avait déjà choisi un nom assez voisin, j’ai changé le nom des éditions pour Le Citron gare, trouvé par hasard, qui évoque toujours l’acidité, mais également le mouvement (je n’aime pas beaucoup la poésie statique), mais aussi un parcours d’édition souhaité pour ces auteurs à partir de cette gare, pourquoi pas ?
Pour le choix du format des livres, ma préférence est allée d’emblée à ces petits formats (12 cm X 15 cm) qui sont faciles à mettre dans la poche.
Le rythme des publications, très lent, de deux recueils par an, est dicté par le temps dont je dispose, par rapport à mes autres activités (professionnelles, personnelles, littéraires : animation du fanzine poétique « Traction-brabant », écriture personnelle, chroniques de recueils et mise à jour des blogs). Je préfère éditer moins mais faire mon maximum pour chacun des livres que je publie.
Quelle type de poésie souhaites-tu défendre ?
Je ne souhaite pas avantager un style en particulier (contrairement à pas mal d’éditeurs, ce qui me surprend toujours d’ailleurs). Bien sûr, j’ai mes préférences (elles peuvent être diverses) : par exemple, la poésie à images et si possible, avec un lyrisme qui soit véhément ;
Comment choisi-tu les textes que tu publies ? Fais-tu appel aux auteurs ?
Je choisis les textes à travers ceux qui sont déjà publiés dans « Traction-brabant » et que j’apprécie particulièrement, préférant faire appel à des auteurs que je connais déjà, qui manifestent de l’intérêt pour ce que je fais, et avec qui j’entretiens des rapports loyaux.
Peux-tu aussi parler des illustrateurs ?
A chaque fois que c’est possible, je demande aux auteurs de choisir leurs illustrations, ce qui me permet encore d’élargir le champ des collaborations.
Quels sont les publications et les projets à venir ?
J’évite d’avoir plus d’un projet à la fois : actuellement c’est avec Fabrice Farre, pour une édition en mai-juin prochain. Les autres projets ne sont que des rêves pour l’instant..
Quelques mots sur la revue Traction-Brabant que tu animes ?
Ta question sur T-B tombe à pic. Ce mois-ci, le poézine, qui ressemble de plus en plus à une revue, fête ses 10 ans d’existence. Je n’aurais pas cru à une telle longévité et souhaite juste continuer à travailler avec le même état d’esprit de franchise et de simplicité, cette qualité, essentielle à mes yeux, étant attendue des auteurs participant à Traction-brabant.
(Entretien Patrice Maltaverne | Cécile Guivarch)
http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/
Extraits de sous les fleurs de la tapisserie, Marlène Tissot
Aucune crêpe ne sera servie entre minuit et quatre heures du matin [1]
La fissure dans le mur
me regarde et se fend d’un sourire
il est deux heures trente du matin
j’ai échoué, je ne sais comment
au sous-sol de mes rêves
il y fait sombre et
des racines pendent du plafond
comme si mes songes se prenaient
pour des pissenlits
narguant mon appétit
mais moi c’est de crêpes dont j’ai envie*
Illusions
Dans le train
elle regarde défiler le paysage
et rien ne prouve
que ce ne sont pas les immeubles
les arbres
les pylônes électriques
qui cavalent à perdre haleine
tandis qu’elle est assise là
immobile
Extrait de En perte impure, Thibault Marthouret
cardia 2
J’entends des voix.
Pas celles qui tombent du cerveau à la bouche,
____des voix qui naissent en bas et grimpent,
____des voix louches qui parlent sans moi,
_____poussent en vibrations le long de mes parois,
______jouent en et jouent de moi, de mes organes,
____des cordes vocales vivaces,
invasives,
enracinées dans mes abysses,
une vigne vierge qui croît, rouge ;______une pousse éclot, écho, dans le cardia,
fait courir ses rameaux,
____caresse mon cœur,
________racle ma gorge,
____________résonne, automne,
________________à mes oreilles.J’entends des voix que je ne comprends pas
mais sur la langue, la sève exsangue
________________pénètre, acerbe, comme le passé.
Extrait de Poésies incomplètes, Régis Belloeil
1993
Cette année-là
Jean-Pierre Martinet
Retournait chez sa mère
Pour tenter de vivre
Encore un peuCette année-là
Jean d’Ormesson
Expliquait sur TF1 pourquoi
Il est un grand écrivainPendant ce temps
Jean-Pierre Martinet
Débouchait une nouvelle
Bouteille de vin
Extrait de La partie riante des affreux, Fabrice Marzuolo et Patrice Maltaverne
Une naissance
Ça y est
Mon amie va avoir un enfant
Jour de soleil devant un verre translucide
J’en suis le papaPar une autre nuit d’été
Mais dans les profondeurs
J’ai vu une étoile qui ne brillait pas pour moiComme les asperges poussent au printemps
Je ne resterai pas l’ami de cette femmeDéjà l’été indien
S’enfonce dans la nostalgie de notre sexe
A macérer jusqu’à la tombeJe me réveille et décide
Qu’il faut tuer l’enfant dans l’œuf
Ventre blanc de sa mère
Quitter cette maison toute ronde
Etre l’ombre en billets de banque
Qui glisse comme le vent d’été dans les vérandasIl faut partir
Au risque de créer du sang de l’aigreur au dedans
Et d’être le zéro de l’horizonLa liberté est pendue là devant
Dans les branches de l’arbre qui veut me dire
De patienter jusqu’à la scieIl faut partir
Ne jamais rien voir que cette apparence
Commune à la terrasse des cafés
Garder l’été des autres pour soi
Se méfier des zones sombres
De nos pauvres langues qui couvrent leurs ailes
Zébrer les accidents de la vie
Dans la voie du soleil permanent
Enfin l’oubli coule dans mon verre buJe digère la nuit prochaine
Lentement
Un enfant est né
Prêt pour mon départ.____________Patrice Maltaverne
La toile
nous marchions seuls au monde
la ville nous faisait face
pas en amie
elle secouait les fils de sa toile
et les rues vibraient telles une menacenous ne sommes pas éternels
plus fragiles même que la neige au soleil
comme Orphée je me suis retourné
nos pas laissaient des larmes
dans l’œil qui nous voyait disparaître
nous ne serions jamais de ces couples
qui enterrent les enfants vivants
le temps que dure une paix____________Fabrice Marzuolo