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Editions Les Venterniers

dimanche 6 janvier 2019, par Cécile Guivarch

Les Venterniers, entretien avec Élise Bétremieux, par Florence Saint-Roch.

En guise de préalable, Élise, éclairez nos lanternes : que signifie ce nom, les venterniers ?

La venterne est une lucarne, autant dire l’un des accès privilégiés des cambrioleurs qui, à s’y introduire, prennent le nom de venterniers (comme étaient jadis nommés imposteurs ceux qui passaient par l’imposte). Ces termes nous viennent du XIXe siècle – une époque à laquelle on ne séparait pas la profession d’éditeur de celle d’imprimeur ou de libraire : quand j’ai créé la maison en 2012, je me suis naturellement ancrée dans cette tradition. Et de façon symbolique, la venterne, c’est aussi l’interface entre le dedans et le dehors, entre les élans intimes et la façon dont ils se projettent à l’extérieur, entre impression et expression… Dans l’alchimique relation qui s’établit entre un texte et ses lecteurs, on est sans cesse dans le passage : le livre (pour filer la métaphore) est un ouvrant…

La plupart des livres qui paraissent aux Venterniers sont faits-main : pouvez-vous expliquer ce choix ?

Le cœur de la démarche éditoriale, c’est l’artisanat. J’aime cette pratique qui, par nature, requiert un rapport particulier au temps ; pour fabriquer chaque exemplaire, il faut sensiblement s’impliquer. Et le fait-main laisse une belle marge de manœuvre : je ne m’interdis pas de faire évoluer l’aspect d’un livre publié. L’atelier des Venterniers est un lieu d’expérimentation, permettant une grande souplesse dans la création éditoriale (dans la conception de l’objet-livre, je cherche à créer un support qui reflète mon propre rapport au texte : car l’éditeur est d’abord un lecteur). Et puis mettre le corps en mouvement autour du texte fait sens. Comme le livre, il constitue une interface, cela se retrouve dans le catalogue (Marquage manquant cherche à dire la peau ; L’Obscurité du vide, les yeux et le toucher). Ceci dit, la pratique artisanale n’est pas restrictive : je travaille parfois avec des imprimeurs. C’est notamment le cas pour des co-éditions, une autre forme de partenariat stimulante.

Comment choisissez-vous vos auteurs, quelle idée de l’écriture défendez-vous ?

Ce sont aussi, et sans doute d’abord, les auteurs qui choisissent cette maison. Pour ma part, l’acte éditorial est plutôt intuitif : on fait et ensuite on peut éventuellement essayer de commenter ce qui est là. Il n’y a pas de ligne de conduite, mais des pans d’imaginaire qui s’ouvrent (ce qui tient à la capacité de séduction d’un texte). Je sais que certaines transversales se dégagent : le nomadisme, le déplacement (Gypsy Blues, Time is motion), la manière d’habiter un espace (ederlezi, Aurélien Paris/Poésie), de décrypter ses secrets (les cabinets de curiosités, les enquêtes, Que le mystère des livres) et la transformation de soi (Terrains vagues, Embarque, Épreuves). Dans la relation avec le tout autour, je suis happée par des textes qui réécrivent notre dimension sociale (du Vivant des Gueux, Mais qu’est-ce qu’ils sont branlé avec les nuages ?, Les Ailes grises). Les auteurs (j’aurais aimé vous parler de chacun d’entre eux, mais il faudrait tout un livre) amènent aussi des ailleurs – c’est leur maison : ils sont susceptibles de la déplacer. Éric Sarner est arrivé avec un récit initiatique du Tarot de Marseille et il a apporté le chant d’amour pour un torero de Garcia Lorca – je n’y serai pas allée sans lui. Enfin, je crois que la magie se rencontre là où elle n’est pas supposée être. Dans J’étais presque un ouvrier, Jean Marc Flahaut réunit la parole fragmentée de 221 jeunes sur le travail, ceux auxquels on ne s’attend pas en poésie.

Quels sont vos supports de diffusion ?

En langage entreprenarial, on parle de canaux et de circuit de distribution : appliqué au livre ce vocabulaire aqueux (qui me fait penser à nos collections « La Source et la Suite » et « Stylicide ») reflète joliment la nécessité de son itinérance (« les Vagabonds »), de son inscription dans un réseau. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des libraires curieux de ces créations, indépendants eux aussi, qui se font passeurs de nos textes (et portent « Le Chant des Artisans ») – merci à eux. Parallèlement, il y a des rendez-vous, les manifestations littéraires. Je prends souvent la route pour les salons – lieux d’exposition, de rencontre mais aussi d’attente, d’observation, ils sont le pendant de l’atelier (avec son côté « Chambre forte »). Par ailleurs, les Venterniers sont toujours libraires : l’atelier est prolongé d’un point de vente, comme le site internet. Cette petite boutique (où on trouve aussi les ouvrages de mes confrères-amis, un autre réseau d’affinités) me permet souvent de vérifier que de notre disponibilité dépendent les petits moments de grâce. Je pense à ce couple qui samedi avait choisi les étoiles filantes de Mélanie Leblanc, un recueil de 99 souhaits-poèmes, qui est revenu m’apporter un sachet de mandarines et prendre un deuxième exemplaire.

Qu’est-ce que vous plaît le plus, dans votre travail ?

Rien ne me fait plaisir comme de voir les auteurs venterniers se rencontrer, se retrouver : là est le signe qu’ils prennent part à la même maison – j’avoue avoir l’impression de fonder une tribu... Or ces moments, on les doit aussi aux organisateurs de salons, à tous ceux qui, souvent bénévoles, s’engagent et s’investissent pour le livre et la lecture. Ces manifestations sont cruciales, et très fragiles : d’où la nécessité de les soutenir. Se réunir constitue à la fois un objectif (et même la visée ultime – n’est-ce pas là que le livre trouve son accomplissement, dans la rencontre, la confusion des subjectivités ?) – et le moyen de l’atteindre. Par exemple, la bataille du moment porte sur l’énormité des frais d’expédition, qui ne cessent d’augmenter, de plomber nos marges et d’entraver la circulation des livres. Avec l’association des éditeurs des Hauts-de-France, nous militons pour l’instauration d’un tarif postal spécifique et nous voyons s’animer autour de cette campagne tout un réseau d’acteurs du livre a priori dispersé, mais bien actif.


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