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Editions Lurlure

mercredi 13 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Entretien avec Emmanuel Caroux par Cécile Guivarch

Bonjour Emmanuel Caroux, j’aime beaucoup votre maison d’édition. La poésie ancrée dans le monde, présent ou passé, engagée parfois. Elle a été créée en 2015, elle est donc encore une jeune maison de poésie. De quel(s) désir(s) est-elle née cette maison ? Et de quelle(s) nécessité (s) ?

Bonjour et tout d’abord merci beaucoup pour cette proposition d’entretien. La maison d’édition a effectivement été créée en 2015, suite à mon licenciement économique des éditions Sens & Tonka pour lesquelles je travaillais depuis dix ans. Cette année-là, j’avais le projet de créer, au sein de cette maison, une collection dédiée à la poésie contemporaine, projet que je mûrissais depuis longtemps. J’ai donc créé les éditions Lurlure dans la foulée de ce licenciement, un peu sur un coup de tête, parce que j’étais déjà engagé sur un premier titre, Cadavre grand m’a raconté, d’Ivar Ch’Vavar – en coédition avec Le Corridor bleu –, et que je tenais absolument à publier ce livre majeur. Presque aussitôt j’ai reçu d’autres propositions de manuscrits, rencontré des auteurs... et je me suis lancé dans cette aventure.

Vous publiez des auteurs très contemporains, mais aussi moins – je pense à Rimbaud. Comment choisissez-vous vos auteurs ? Quelle poésie avez-vous envie de défendre ?

Effectivement, je publie surtout des auteurs contemporains, à quelques exceptions près, car ce qui m’intéresse d’abord c’est la poésie en train de s’écrire. Et nous avons la chance, de ce point de vue, de vivre une époque extrêmement riche, comme vous en rendez compte avec Terre à ciel. Les manuscrits que je reçois témoignent d’écritures et de champs de recherches très variés. Je ne suis pas attaché à une idée particulière de la poésie. Pour qu’un manuscrit m’intéresse, il faut bien sûr que je ressente la nécessité du texte, que j’y sente une préoccupation formelle en même temps qu’un regard intime, personnel sur le monde et les choses, il faut aussi que l’écriture me touche, me bouscule... Mais de cette alchimie complexe peuvent naître des textes aux contours très différents.
Ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est de faire découvrir de nouvelles voix, publier des jeunes auteurs, comme Typhaine Garnier ou Milène Tournier par exemple.

À propos, pourquoi avoir choisi de publier Rimbaud ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Ou plutôt pour Ivar Ch’Vavar qui en est à l’origine me semble-t-il ? Je suppose que c’est une aventure ce livre.

Lorsque Ivar Ch’Vavar m’a envoyé, ainsi qu’à quelques-uns de ses amis, le manuscrit de son édition des Vers nouveaux, je lui ai tout de suite proposé de la publier. Mais il avait déjà promis ce texte à un autre éditeur, projet qui n’a finalement pas abouti, et j’ai donc eu le plaisir de l’éditer. À vrai dire, avant de recevoir son manuscrit, je ne m’étais jamais posé la question de publier des poèmes de Rimbaud... L’édition d’Ivar Ch’Vavar est précieuse. Elle témoigne à la fois d’une longue pratique de lecture de Rimbaud et de la propre expérience de poète de Ch’Vavar, apporte un éclairage neuf sur ces poèmes qui sont parmi les plus stupéfiants de Rimbaud, ceux où il fait éclater toutes les digues, ceux dans lesquels il va formellement le plus loin.

Ivar Ch’Vavar, Pierre Vinclair, Yannick Torlini, Laurent Albarracin. Des auteurs que j’aime suivre en poésie. Des auteurs différents mais qui peut-être sont reliés, car vous les reliez-vous au sein de votre maison d’édition. Pourquoi vous les publiez et pourquoi vous auriez envie de les suivre ?

Je ne crois pas que j’irais jusqu’à dire que les œuvres de ces auteurs sont reliées ; il y a sans doute, entre certaines d’entres elles, des proximités, des affinités, mais chacune creuse son propre sillon. Ce qui est vrai, c’est qu’avant que le livre existe en tant que tel, il y a d’abord une rencontre, unique, toujours, avec un texte et son auteur. Cette rencontre est d’autant plus importante pour moi que je ne m’engage jamais avec un auteur sur la publication d’un seul livre. Il est effectivement primordial pour moi de suivre les auteurs que je publie et de penser plutôt en termes d’œuvre que de livre(s) – une œuvre ne se juge pas sur un ou deux livres. Ainsi, je fais le choix de publier moins de nouveaux auteurs mais d’accompagner, selon mes possibilités, ceux que je publie.

Une autre grande voix de votre catalogue, il s’agit de Petr Král. Il nous a quittés il n’y a pas très longtemps... Quelques mots ?

Cette belle rencontre, marquante pour moi qui suivait son œuvre depuis longtemps, a été possible grâce au poète et écrivain Alain Roussel, ami intime de Petr Král. Fin 2019, il a suggéré à Petr Král de m’envoyer son nouveau manuscrit, Déploiement. Je n’imaginais pas hélas que ce manuscrit deviendrait le dernier livre publié du vivant du poète... Petr Král est l’auteur de l’une des œuvres les plus singulières de notre époque. Son univers poétique s’attache au réel le plus prosaïque pour le “faire parler” à son corps défendant, à travers ses interstices, ses détails... Tout est nuances et élégance dans son écriture, de la scansion syncopée de son vers à la beauté tantôt fulgurante, tantôt burlesque ou contemplative de ses images...
Peu avant sa mort, nous avions évoqué avec Petr l’idée de republier certains de ses ouvrages actuellement indisponibles. C’est un travail auquel les éditions Lurlure vont s’attacher dans les années à venir, avec notamment la réédition d’un (ou peut-être plusieurs, je ne sais pas encore) volume de ses recueils de poésie épuisés, ainsi que de ses deux essais magistraux sur le burlesque au cinéma, dont le premier tome, Le Burlesque ou Morale de la tarte à la crème, paraîtra à l’automne 2021.

Parmi vos dernières parutions, un livre de Pierre Vinclair (dont j’avais adoré Sans adresse) : Le Confinement du monde. C’est tout de même audacieux cela, non, un livre sur le confinement ? La patate est encore chaude, je dirais... Alors pourquoi ?

Audacieux... je ne sais pas ; mais c’est un livre important en tout cas, autant par sa dimension poétique et esthétique que parce qu’il s’agit d’un témoignage sensible sur la période tumultueuse que nous traversons. Il est vrai que c’est un livre qui s’est fait à chaud, dans le feu de l’actualité : au début du premier confinement, mi-mars 2020, Pierre a commencé à poster quotidiennement un sonnet sur les réseaux sociaux, sonnets dans lesquels il évoquait son confinement à Londres, où il vivait alors. Dans Sans adresse, paru en 2018, il avait déjà expérimenté cette forme poétique, en se l’appropriant un peu à la manière de Du Bellay, sous forme de lettres adressées à des proches, pour raconter son quotidien à Shanghai, où il habitait.
Après avoir lu une dizaine de ses sonnets, je lui ai proposé d’en faire un livre. Ces “sonnets confinés” sont devenus les “Chansons covides”, la première partie du Confinement du monde, à laquelle Pierre a ajouté deux autres parties, l’une adressée aux morts du coronavirus, l’autre à un enfant à naître.
Quant à la question de la date de publication, nous l’avons décidée au printemps ; ce livre ayant été écrit dans l’urgence d’une période extraordinaire, il me paraissait important de ne pas trop attendre pour le publier. Il est sorti le 25 novembre 2020... Évidemment on ne pouvait pas se douter qu’il paraîtrait alors que serions à nouveau confinés...

Milène Tournier... L’autre jour... « La poésie alors se fait l’amie du mystère, qui s’allonge près de lui. Et ensemble, mystère et poésie, ils regardent le long ciel... » Je pique une phrase ici de la description du livre. Qu’est-ce que rencontrent alors le mystère et la poésie, une fois unis ainsi ? Une aventure peut-être ce livre ?

Milène Tournier m’a envoyé son manuscrit par mail un jour de l’été 2019 ; j’étais devant mon ordinateur et, comme je le fais en général quand je reçois un nouveau manuscrit, j’ai ouvert son fichier pour y jeter un premier coup d’œil... Et j’ai aussitôt été saisi par son écriture, qui marie les contrastes et les extrêmes, par sa puissance d’évocation et par sa manière bien à elle, aussi, de pousser la syntaxe dans ses retranchements, de presser la langue comme pour en extraire le suc – qui serait peut-être ce que rencontrent le mystère et la poésie...
J’ai lu son manuscrit le jour même et l’ai appelée dès le lendemain pour lui dire mon enthousiasme. Son recueil, paru en octobre dernier, reçoit un bel accueil critique et public, je suis vraiment heureux pour elle. Nous travaillons en ce moment sur son prochain livre, qui paraîtra normalement lui aussi à l’automne 2021...

Je suppose que des projets vous en avez encore plein ? Vous m’en parlez un peu ?

Oui, il y a de nombreux projets passionnants prévus pour les mois et même les années à venir, pour n’en citer que quelques-uns ! J’ai déjà évoqué les livres de Petr Král et de Milène Tournier ; les éditions Lurlure vont également publier en 2021 le deuxième recueil de Typhaine Garnier, un volume des essais critiques de Pierre Vinclair, des livres de Christophe Macquet et de Guillaume Condello... Paraîtra également, en 2022, une nouvelle traduction des magnifiques Cent ballades d’amant et de dame, de Christine de Pizan, par Bertrand Rouziès-Léonardi... Enfin, depuis cette année, j’ai le plaisir d’éditer la revue TXT, fondée par Christian Prigent et Jean-Luc Steinmetz et désormais co-dirigée par Typhaine Garnier, Bruno Fern et Yoann Thommerel. Publier une revue, c’est une nouvelle aventure...


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