Mini-entretien avec Antoine Gallardo, éditeur de la Boucherie littéraire par Roselyne Sibille
Comment est née votre maison d’édition ?
J’ai créé la maison d’édition la Boucherie littéraire au sein d’une association éponyme. Si je la porte, elle n’en est pas pour autant mienne puisqu’elle est associative.
Le désir d’éditer relève de celui du partage avec les auteurs, les lecteurs. Pour ma part éditer c’est créer. Un acte de création à part entière comme le travail d’écriture d’un auteur. Et je reste persuadé qu’un texte n’aura pas la même couleur s’il est publié chez tel ou tel éditeur.
Certaines naissances, parait-il, se font dans des choux ou dans des roses. Et bien la Boucherie littéraire est née dans des patates !
Dans le courant de l’année 2014, une rencontre avec le Suisse René Lovy, que l’on connaît pour son travail d’artiste plasticien, a été décisive. Ce dernier, en résidence d’artiste en France, s’avérait être par ailleurs typographe de formation et graphiste en éditions. En éditions poétiques, en particulier, en faisant, pendant vingt ans, toutes les mises en page des éditions D’autre part (éditions suisses fondées par Pascal Rebetez).
N’ayant pas les compétences techniques de mes désirs, l’amitié de René et son savoir-faire d’un côté, et le courage et ma pugnacité de l’autre ont lancé les éditions la Boucherie littéraire avec une première publication en février 2015 : p(H)ommes de terre, pommes de terre sculptées de René Lovy et poèmes de Thomas Vinau.
Je dois énormément à René et le remercie de l’aide précieuse qu’il m’a offerte. C’est à lui que l’on doit la ligne graphique des couvertures et encore la découverte de la police d’écriture Minion qui est devenue celle de référence pour tous les livres publiés depuis, tout comme en clin d’œil l’utilisation parfois de l’Helvetica en para texte.
Quelles sont ses particularités ?
Humanité, respect & dignité. Chaque livre est d’abord une rencontre humaine.
Respect de la chaîne des métiers du livre. Respect de chaque maillon et de ses particularités au-delà de la raison économique en vigueur. Cela se traduit par une exigence textuelle et un travail étroit avec l’auteur. La rémunération des poètes à la signature du contrat. Un travail de diffusion personnalisé. Un partenariat humain avec Serendip Livres, le distributeur. Présence autant que possible de tous les livres en librairie. Impressions en France en favorisant le dialogue et la proximité. Promotion des écrits et des auteurs.
Maintenir les titres au catalogue en les réimprimant autant que nécessaire. Ainsi en 2016, trois titres ont été épuisés et réimprimés pour assurer leurs disponibilités.
Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?
Une écriture en équilibre sur le fil de l’exigence et de la simplicité avec, pour balancier, la respiration et le sensible.
Des textes capables de bruissement ou d’explosion aux lectures silencieuses de chacun. Des poèmes à vivre autrement à l’occasion de leurs lectures publiques.
Avez-vous plusieurs collections ?
Oui, mais peu. Je ne souhaite pas en avoir plus que les doigts d’une main. Aujourd’hui il en existe trois (dont deux actives et une que je ne souhaite pas développer).
Sur le billot
Dans une boucherie, le billot est l’une des pièces maîtresses comme la feuille qui l’accompagne. Il allie fermeté, esthétique et caractère.
Si les éditions la Boucherie littéraire ne devaient avoir qu’une seule collection, ce serait Sur le billot.
Car, c’est le lieu où je me dois de mettre en valeur les écrits des auteurs. Là, où je pense que l’œuvre publiée s’inscrit dans un sillon inexploré ou peu visité de la poésie.
Sur le billot, on ne peut pas se défiler. J’y mets mes tripes et mon amour de la poésie pour la poésie.
En 2015 :
Écrits sans papiers. Pour la route entre Marrakech et Marseille, Mireille Disdero
Maison. Poésies domestiques, Emanuel Campo
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive, Hélène Dassavray
En 2016 :
Lame de fond, Marlène Tissot
Le ciel du dessous, Jean Azarel
Maison. Poésies domestiques, édition revue et augmentée, Emanuel Campo
En 2017 :
Nuit grave, Frédérick Houdaer.
Un mouvement d’amour sur la terre, Estelle Fenzy
Emovere, Nicolas Vargas
La feuille et le fusil
Un poème fraîchement offert par son auteur repose sur une planche en bois debout.
Dans le prolongement de la sensibilité et de la créativité de l’éditeur, on trouve la feuille dans une main et le fusil dans l’autre.
La feuille, aussi massive soit-elle, est capable de finesse si l’on sait ajuster la pression sur la longueur du fusil et la manier sans jamais émousser son tranchant.
L’une et l’autre participent à parer, avec délicatesse, la poésie confiée aux bons soins du boucher.
Dans un format à la mesure prédéfinie, c’est l’essence du texte qui façonnera le livre en imposant le choix du papier, sa couleur, sa texture, sa main, son bruit... Il en est de même pour les procédés d’impression ou encore celui d’une reliure adaptée selon la nature des écrits.
En 2016 :
13 poèmes taillés dans la pierre, Patrick Dubost
paysages intermittents, Brigitte Baumié
En 2017 :
Je t’écris fenêtres ouvertes, Isabelle Alentour
Les petits farcis
Collection favorisant l’interculturalité et les transversalités. Elle permet la rencontre et le partage entre un plasticien et un auteur. Ici l’image et le texte ne font qu’un, mais indépendamment l’un peut vivre sans l’autre. L’un et l’autre deviennent une œuvre à part entière. Les petits farcis ne sont pas un prétexte à accommoder un écrit ou des illustrations. Ils se dégustent comme un mets de choix.
Premier titre et dernier titre, pour le moment, p(H)ommes de terre est le livre fondateur des éditions, mais il est aussi celui qui pose des limites financières et des contraintes physiques et techniques dans sa conception bien avant d’en envisager l’impression.
En 2015 :
p(H)ommes de terre de René Lovy et Thomas Vinau.
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
À l’émotion. Les émotions qui me traversent au moment où je découvre le texte. La plupart du temps, c’est instantané. Un coup de foudre poétique. Parfois à retardement.
Les textes que je publie aujourd’hui sont avant tout des rencontres avec leurs auteurs. Il m’est inconcevable de publier le texte d’une personne que je ne connaitrais pas. De fait, je suis conscient que ça limite le champ des possibles, mais je tiens d’une part à rester à taille humaine dans ce que je fais au cœur de l’association. D’autre part, l’investissement personnel pour chaque titre est important et je ne peux le faire que pour les textes de personnes que j’estime et affectionne.
La plupart des auteurs publiés ou qui le seront prochainement, je ne les connaissais pas forcément au moment où je créais la maison d’édition. Éditer c’est aussi découvrir. Je ne suis pas adepte de l’attente de la belle surprise par voie postale, même si cela arrive. J’aime le vivant et j’ai besoin de le rencontrer. C’est pour ça que j’essaie d’assister le plus possible à des lectures lors de festivals ou d’événements ponctuels. Souvent à l’issue d’une lecture d’un auteur que je n’avais jamais entendu, je m’enquiers de l’existant ou du devenir du texte qui m’a chahuté.
Enfin, je recherche, entres autres, des textes forts émotionnellement, et je démarche donc certains poètes pour leur demander de me confier des textes, intimes, qui n’existent pas encore.
Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?
Le meilleur réside avec chaque moment partagé avec les poètes en dehors de la poésie.
Mais on dira de manière chronologique, que ce sont les sensations euphoriques, à refouler, au début de la journée pour valider le bon-à-tirer chez l’imprimeur des p(H)ommes de terre.
Et le pire ?
Les sensations asthéniques de la fin de la journée pour valider le bon-à-tirer chez l’imprimeur des p(H)ommes de terre. Qui ne sera pas validé pour des problèmes techniques impossibles à anticiper. Repoussant de deux mois la sortie du livre...
Des projets, des publications à venir ?
Des projets toujours. Ça ne manque pas.
Le désir de m’investir davantage dans la mise en page des livres.
Organiser de grandes tournées de diffusion en France et à l’étranger.
Parcourir, en qualité d’éditeur-auditeur les festivals de poésie.
Le souhait de publier d’autres textes d’auteurs déjà présents à la Boucherie littéraire.
Et à venir encore pour 2017 et 2018 : Khadem Kanjar, Estelle Dumortier, Felip Costaglioli, Catherine Serre...
Extraits du catalogue de la Boucherie littéraire
René Lovy - Thomas Vinau
p(H)ommes de terre
Mireille Disdero
Écrits sans papiers. Pour la route entre Marrakech et MarseilleLes bras immenses comme des fuse ?es
Cette nuit est courte
comme une robe qu’on porte sans y penser
nos bras e ?tire ?s vers le ciel
immenses comme des fuse ?es,
_____on glisse lentement vers l’e ?te ?._____________Sierra sauvage d’Alque ?zar (Huesca – Espagne)
Emanuel Campo
Maison. Poésies domestiquesJe sors d’un colloque sur l’e ?tat de la poe ?sie dans notre re ?gion. Lors de la table-ronde Comment construire un projet avec un poe ?te ? je pensais sans cesse a ? ma meuf. Notre projet de vie commune tient pluto ?t bien la route. J’aurais du ? lui demander une contribution e ?crite. Elle aurait su ?rement e ?claire ? l’assemble ?e.
Hélène Dassavray
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la riveUne femme voit couler son sang a ? chaque lune,
peut-e ?tre est-ce pour cela
qu’elle e ?prouve moins le besoin
de verser celui des autres.
Marlène Tissot
Lame de fondTe reconstruire un morceau d’image apre ?s l’autre, comme on fait un puzzle. Rassembler les pie ?ces, trier, ordonner, emboi ?ter. Pour quelle raison on joue a ? c ?a, au juste ? L’image, on la connai ?t de ?ja ? : elle est sur le couvercle de la boi ?te. Je te reconstruis en cinq mille pie ?ces, plus grand encore que le vide que tu laisses
Jean Azarel
Le ciel du dessousA ? porte ?e du moindre redoux,
bien qu’innocents
de l’oreille coupe ?e,
me ?me escorte ?s de violettes,
les faits e ?noncent la de ?route
de l’e ?ternel.
Patrick Dubost
13 poèmes taillés dans la pierre
Brigitte Baumié
paysages intermittentsEnfance
Elle dit qu’elle l’entend marcher sur les graviers, la nuit. Qu’il fait le tour de la maison.
La nuit.
Toutes les nuits.
Il fait crisser le gravier comme un fanto ?me fait tinter ses chai ?nes. Le soir, il faut faire attention a ? bien fermer les portes, les fene ?tres et mettre la barre aux volets
Parce qu’un jour, peut-e ?tre
Frédérick Houdaer
Nuit grave, collection Sur le billot, à paraître en 2017le jour ne veut pas finir
ce qu’a e ?bauche ? notre nuit
le jour ne veut rien avoir a ? faire
avec notre nuit
on peut le comprendre
me ?me si on aimerait plus de continuite ? entre les deux
on sait la cloison qui les se ?pare
fort mince
il faudrait peu de choses
pour e ?tablir un meilleur dialogue entre eux
cela ne ?cessiterait une volonte ?
d’un genre particulier
Estelle Fenzy
Un mouvement d’amour sur la terre, collection Sur le billot, à paraître en 2017Je suis première dans l’aube.
Enfants se lèvent la figure en désordre. Mon regard lisse les joues les traces d’oreiller.
Arc-boutée au petit chantier des jours, je prépare un ciment armé d’amour : j’ai creusé les fondations dans des bouquets de trèfles.
Je suis mère.
La journée peut commencer.
Isabelle Alentour
Je t’écris fenêtres ouvertes, collection La feuille et le fusil, à paraître en 2017Je n’imagine presque rien je ne rêve presque rien je ne dis presque rien
mais il paraît qu’un mot, un simple petit mot, parfois dans le lointain, peut toucher ou se faire désirer
comme si le monde entier – ou peut-être un visage s’y trouvait convoqué*
Le temps nul ne peut l’arrêter
et pourtantla pluie sur le carreau et la paix
doucementun feu de cheminée la chaleur en dedans
tes bras autour de moi
et l’amour
lentement
Nicolas Vargas
Emovere, collection Sur le billot, à paraître en 2017aller chercher une inspiration
coucher l’échelle
sortir, nettoyer le matériel
dépoussiérer les bouquinsavancer …
*
Une respiration
Un cycle
Descendre à sa cave de corps
Laisser la porte ouverteSentir sur sa peau cette odeur humide, familière …
S’enfoncer dans le couloir
sans traîner des pieds
(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)
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