De quand date la revue ? Comment Dissonances est-elle née ?
Dissonances est née en mai 2002 à l’initiative de quelques amis proches tous également accros à la littérature avec pour objectif d’être une vitrine nouvelle (et belle à sa façon) où faire la lumière sur les auteurs de demain et sur les éditeurs qui en sont les vecteurs.
En quoi Dissonances est-elle différente des autres revues littéraires ?
Difficile de répondre sans froisser les consoeurs ! Disons au moins que Dissonances se voulant ouverte à la production littéraire actuelle dans toute sa diversité (nouvelle, poésie, théâtre, essai, etc), elle n’est pas spécialisée (le mélange des genres y étant d’ailleurs une première source de dissonance) ; que le fonctionnement de son comité de lecture se veut (et est) parfaitement éthique (tous les textes publiés ont été anonymisés avant de lui être confiés et la liste des auteurs ne lui est révélée qu’une fois tous ses choix faits) ; qu’elle s’emploie activement à faire connaître (dans sa partie critique) les nombreux éditeurs (en général petits ou moyens) qui se battent sur le même front qu’elle ; que son souci d’indépendance fait qu’elle ne vit que de ses ventes (pas de pub ni de subventions) ; qu’elle associe intimement texte et image...
(Photo : Alban Lécuyer)
Pourquoi y associer le texte et l’image ?
Comme une évidence : tout art étant tremplin pour aller voir ailleurs, plusieurs arts associés (ainsi de l’opéra comme des concerts de rock, de tout ce qui est performance, du cinéma bien sûr...) envoient encore plus loin - ou vers un autre ailleurs : cette extase maximale étant ce que nous souhaitons à notre lectorat, nous nous y employons (à ce niveau au moins) en faisant fusionner sur notre support papier ce qui peut s’y poser : texte et image donc.
En quoi consiste la ligne éditoriale de Dissonances ? Comment se font les choix du thème et des textes ? Les textes reçus sont-ils encore anonymisés comme dans le passé ?
« Revue pluridisciplinaire à but non-objectif », Dissonances s’emploie à un mélange des genres dont elle revendique la subjectivité : ce que nous publions c’est ce qui nous surprend, nous secoue, nous embarque (sachant que notre comité est composé de gens qui tous lisent beaucoup et à qui il en faut pour être impressionnés), dans l’idée de composer un dossier « création » à la fois cohérent (par le thème imposé) et vraiment dissonant (c’est à dire où se rencontrent le beau, le délirant, le bouffon, le tragique, le tout doux, le violent, le sensible, l’abscons...), tout cela habité par les voix singulières d’auteurs qui comme nous se font une haute idée de la Littérature et s’y engagent à fond.
Pour ce qui est des textes : tous (absolument tous) sont anonymisés par notre secrétaire avant d’être transmis au comité de lecture (qui n’a pas le code d’accès de la boîte de réception pour les propositions) ; tous sont lus-relus-notés par chaque membre du comlec qui deux week-end par an se réunit et choisit : en premier lieu les textes qui ont embarqué tout le monde (mais il y en a très peu) puis les très remarqués par une majorité, enfin ceux qui se discutent parce que tel aime beaucoup mais un autre pas du tout et que nous relisons (à haute voix toujours) et discutons encore (et parfois c’est très long) jusqu’à tous les choix faits : ensuite seulement nous décachetons la liste et découvrons qui sera (ou pas) publié cette fois ; puis nous passons à table (il est tard : il fait faim) et la soirée se lance où le thème suivant va être décidé à l’unanimité au bout de discussions nous amenant souvent jusqu’au bout de la nuit pour qu’apparaisse soudain - comme une révélation - le mot que nous cherchions.
Comment se fait le choix des artistes pour chaque numéro ? C’est toujours du noir et blanc ? Comment définirais-tu le style graphique de Dissonances ?
Le choix de l’artiste d’après se fait le deuxième jour du week-end comité ou dans les jours suivants : l’équipe dans son entier (comlec et secrétaire) consulte les dossiers que nous ont envoyés les artistes possibles qui savent à l’avance comment ça se passe chez nous (en ce qui les concerne), dont ce qu’ils font nous touche et qui ont accepté d’attendre (parfois longtemps) qu’on les contacte un jour, notre choix de l’artiste (un seul par numéro) étant déterminé par le thème à venir avec lequel il faut que le traitement visuel ait des affinités car l’artiste (s’il accepte) aura à travailler en totale carte blanche mais sans connaître les textes (à ce moment en effet ils ne sont pas écrits) - charge à nous au final (lors de la mise en pages) de faire se rencontrer tel texte et tel visuel (ce qui d’ailleurs - c’est drôle - va très souvent de soi).
Sinon oui : noir et blanc (le motif de ce choix étant d’ordre esthétique autant que financier).
Quant au style graphique : tout se faisant chez nous - on l’aura bien compris - avant tout au feeling, on n’y a pas réfléchi : peut-être quelque chose qui mêlerait élégance (fut-elle très décalée), style personnel (marqué), noir et blanc (forcément) et suggestivité ? Pour le dire autrement (peut-être pas plus clairement) : une sorte d’expressionnisme dandy et d’aujourd’hui (ce qui vaut également pour le versant textuel).
Peux-tu nous dire comment chaque numéro se présente ?
Pour ce qui est de l’objet : 48 pages A4 sur Couché demi-mat 130 g, nulle pub, tout noir et blanc.
Pour ce qui est du sommaire : au-delà de la couv et de deux pages édito, chaque numéro s’ouvre sur une partie « création » qui est une sorte de dossier consacré à un thème et composé de vingt pages de textes inédits (retenus et illustrés comme dit ci-dessus) puis de deux de citations (littéraires bien sûr) sur le thème du dossier puis d’une où les auteurs des textes publiés proposent des titres coups-de-cœur (un livre, un film, un disque) ; ensuite un « portfolio » consacre ses dix pages à l’œuvre et l’univers de l’artiste visuel qui a illustré le dossier ; enfin une partie que nous appelons « critique » clôt le tout en dix pages proposant quatre rubriques : « dissection » où un auteur connu (il y a eu jusqu’ici : Hubert Haddad, Lucien Suel, Mathieu Riboulet, Abdel Hafed Benotman, Valérie Rouzeau, Jude Stéfan, Albane Gellé, Claro, Edith Azam, Ivar Ch’Vavar, Antoine Emaz, Eric Pessan, Emmanuelle Pagano, Lambert Schlechter, Philippe Jaffeux, Denis Péan) répond à un questionnaire fixe, « disjonction » où quatre chroniqueurs rendent compte de leurs lectures (très souvent divergentes) d’un livre remarquable, « dissidences » promouvant huit ouvrages coups-de-cœur publiés par des éditeurs petits et moyens, « di(s)gression » consacrée à un domaine de création autre que la littérature et rédigée (en carte blanche) par un auteur qu’on aime (à chaque fois différent).
À cela devrait bientôt se rajouter huit pages (donc de nouvelles rubriques) mais chut c’est un secret.
Quels sont les numéros de Dissonances qui ont le mieux « marché » ?
Le premier épuisé fut Dissonances #5 dont le thème était « le Sexe » ; ont suivi le #7 et le #8 (« la Folie » / « la Laideur ») ; il ne nous reste plus guère de « la Peau » et d’« Ailleurs » (les #25 et #28) ni de « Nu » et de « Fuir » (#32 et #33) qui sont nos plus récents (au moment où j’écris).
Pourquoi plutôt ceux-ci ? Je n’en ai aucune idée.
Comment se passe la diffusion de la revue ?
À la main ! Nous déposons nous-mêmes dans les points de vente proches et confions à la Poste (qui au passage nous saigne assez honteusement) ceux à destination des points de vente plus lointains et de nos abonnés (le plus gros de nos ventes se faisant clairement par les abonnements et les commandes directes) et sinon les Salons (de la Revue à Paris ou de la Poésie à Rochefort-sur-Loire - ce dernier décédé il y a quelques semaines) contribuent également (et de façon notable) à notre diffusion.
En quoi la présence sur le Web compte-t-elle pour une revue comme Dissonances ? Y a-t-il du contenu publié en ligne et pas dans la revue imprimée ?
Le plus gros de notre com se passe sur internet : notre page Facebook et le site Dissonances relaient toutes nos actus ; c’est par nos boîtes mails que transitent la plupart de nos échanges directs (lecteurs, auteurs, collaborateurs, partenaires) ; notre arrivée sur les réseaux sociaux a tout de suite fait exploser le nombre de textes proposés (nous sommes passés de 37 textes pour « Ivresses » (Dissonances #14) à 117 pour « l’Autre » (Dissonances #15) par la magie de Myspace (qui peu de temps après a censuré « Entrailles »... et que nous avons quitté) et depuis cela progresse au point que pour notre prochain nous en avons reçu pas moins de 618 - ce qui par la Poste bien sûr eût été ingérable) ; puis nos lecteurs d’ailleurs (et les 2.0) peuvent se procurer les versions pdf de tous nos numéros sur le site Scopalto... Pour Dissonances donc (qui s’en était passé ses sept premières années) l’interface incroyable que constitue le Web a vraiment tout changé (à ces niveaux au moins, qui sont plus qu’importants).
Mais pour le reste non : fétichistes assumés du vieux support-papier, nous ne publions rien (sauf notre com bien sûr) de spécial sur le net (et même si nous voulions, nous n’en aurions pas le temps)
Est-ce que Dissonances publie aussi des traductions ?
C’est déjà arrivé et ça peut se reproduire (en partie « création » car pour l’instant encore notre partie « critique » ne traite que d’auteurs et d’œuvres francophones - cela dit, il est probable que nous consacrerons dans un avenir proche une rubrique nouvelle au « domaine étranger »).
Pour reprendre deux des questions que Dissonances soumet aux auteurs pour sa rubrique « Entretiens » : qu’est-ce qu’un bon... directeur de revue ? Et Dissonances est-elle pour ou contre, dans ou hors, malgré ou à propos de ?
Ce renvoi d’ascenseur est des plus mérités ! On n’esquivera pas :
Ce qu’est un bon directeur de revue ? Hormis un passionné (ce qui est un minimum), c’est sans doute avant tout un type polyvalent capable de maintenir au sein de son équipe un haut niveau de motivation, de répondre aux courriers les plus ahurissants en sachant rester zen, de gérer aux niveaux de la comptabilité autant que des egos des auteurs et artistes ou des impératifs techniques d’impression, de ne pas compter son temps... en bref de tout donner (même s’il est épuisé) sans perdre le feu sacré ni cesser d’être souriant.
Et la réponse est oui à tous les composants de la dernière question : pour la Littérature / contre tous les agents de la médiocrité ; dans le monde d’aujourd’hui / hors des chemins battus ; malgré la concurrence des média frelatés / à propos de l’Émotion.
Site de Dissonances : http://revuedissonances.com/
(Entretien réalisé avec la complicité de Sabine Huynh)