Extraits de Lettres-Poèmes, Correspondance avec Gaudí
de Matthieu Gosztola
Éditions Abordo - 108 pages / 10,5 x 15 cm / 12 euros
ISBN 979 -10-92965-01-8
Avant-propos
J’appris la mort d’un oncle éloigné par son notaire qui m’informa que j’héritais d’une grande maison dans la province d’Almería. Grande, mais, et je déchantai vite, en ruine. Pour quelle raison étais-je l’ « héritier », alors que je n’avais pas écrit à mon oncle depuis plus d’une décennie, pas le moindre mot ? L’homme de droit ne me dit rien. Soit il l’ignorait, soit il avait été convenu avec mon oncle que je n’en devais rien savoir.
À la faveur de vacances, ayant décidé de mettre de l’ordre dans cette bâtisse délabrée mais non dénuée d’un certain charme, qui était le charme que les textes d’Edgar Allan Poe avaient sur moi, je me résolus à passer le plus clair de mon temps dans le grenier qui regorgeait d’objets en tous genres, de l’abat-jour à la boîte à musique en passant par des instruments de jardinage.
Parmi ces objets, je jetai surtout mon dévolu sur de vieux livres, soigneusement reliés pour la plupart, que je regroupai en petits tas dans le but de les descendre afin qu’ils puissent, en garnissant les étagères, meubler la salle de séjour si vide et si morne, et peut-être, si cette maison devenait l’un de mes lieux fréquents de passage, m’aider à améliorer mon espagnol.
Mon regard s’étant habitué à l’obscurité et se trouvant soudain affûté par la recherche d’ouvrages qui, il faut bien le dire, étaient posés absolument n’importe où, je…
Une lourde malle que je n’avais pas vue d’abord car elle était dissimulée dans la pénombre, et le grenier était immense, requerra bientôt toute mon attention. Pour l’ouvrir, je dus faire sauter le cadenas qui rendait son contenu à mes yeux encore plus irrésistible. Elle contenait quantité de papiers divers, et pour la plupart sans intérêt : factures, livres de comptes, souvenirs d’école, jouets…
Mais parmi tous ces papiers marqués par l’usure, et qui semblaient avoir été jetés pêle-mêle au fond de la malle, figuraient des lettres écrites par Antonia Maria Arellano, soigneusement glissées dans des pochettes plastiques, ainsi que son journal, tenu dans un cahier visiblement récent. Ces lettres, elle les avait adressées à Antoni Gaudí. Elle les appelait ses « lettres-poèmes ».
Je passai commande en ligne de toutes les biographies que je trouvai sur Gaudi, voulant les lire sans sortir de la maison qui exerçait sur moi un pouvoir d’attraction grandissant. Et s’il vous prend le désir de me représenter mentalement, une fois le colis arrivé, il vous faut alors me figurer penché, tendu, lisant chaque biographie avec un singulier mélange d’appréhension et d’euphorie, m’attendant à chaque instant à ce que me soit révélée en détail l’existence de cette femme ; mais rien, pas un mot sur elle.
Avant de dormir, plusieurs soirs de suite, allongé dans mon sac de couchage, dans un coin d’une des chambres, je répétais en boucle son nom : Antonia Maria Arellano, Antonia Maria Arellano, Antonia Maria Arellano, ... Comme si le nom seul avait pouvoir de dissiper les ténèbres qui l’emprisonnaient, et en ternissaient l’essence.
Devant l’abondance de ses écrits, je dus rapidement me rendre à l’évidence : si je voulais partager avec d’autres ce que je découvrais, il me faudrait m’astreindre à un choix. Seul un « choix » pouvait avoir la chance d’être publié en France, et c’était le seul pays où j’avais quelques contacts dans le monde de l’édition. Une autre nécessité me poussait à procéder ainsi : il me fallait bien évidemment traduire chaque texte. Faire appel à un traducteur ou même à une aide extérieure pour me sortir d’impasses lexicales ou syntaxiques me semblait être un geste de trop grande effraction, dans cette intimité que je partageais… Cette intimité, je la partageais et avec cette voix sortie de nulle part, que j’écoutais syllabe après syllabe, l’égrenant en quelque sorte, et avec mon oncle qui semblait me parler à travers elle et que j’avais l’impression, ainsi, de connaître un peu mieux. Avec qui j’avais l’impression de passer des instants au cours desquels nous nous serions laissé aller à nous confier l’un à l’autre des secrets inavouables, sans que cela put ternir notre lien que je devinais réel et fort à la lueur de l’héritage, de sa charge symbolique plus encore que de sa réelle valeur.
Il me fallait traduire chaque mot, et mon espagnol n’étant pas parfait – et je rougis en écrivant ces lignes –, je savais combien cette tâche me demanderait du temps.
Pour finir, je dois vous confier encore une chose. En traduisant,
j’ai pensé,
absurdement,
que peut-être
j’avais été héritier
dans ce seul but,
que peut-être
en donnant à entendre
la voix d’Antonia Maria Arellano
c’est sur le visage de mon oncle
que j’avais si peu
connu
que je finirais par entrevoir,
comme niant la mort,
un très mince sourire d’acquiescement.
Extrait de la lettre-poème du 9 juillet 1924
N’ayant pas
de signe de
vous depuis
plus d’une
semaine, je
ne prendrai
pas l’initiative
de monter
dans le train,
ne voulant pas
que nos chemins
soient amenés,
peut-être, à ne
pas se croiser
et se perdent
ainsi dans un
vague qui aurait
le goût de la cendre.
Extrait de la lettre-poème du 26 mars 1925
Vous m’avez
dit une fois :
« Si seulement
je pouvais m’alléger
de certaines obligations,
alors, le temps ouvrirait
une clairière devant moi,
une minuscule clairière
hérissée de montagnes
minuscules, faites de
craie baignée dans
un nuage d’encre,
et les parois que je
ne ferais que deviner
par frôlements, en me
blessant, finiraient par
me faire admettre
l’évidence de la
rencontre. » Si,
vous me l’avez dit.
Il vous a suffi d’un
seul regard pour
dire ce que je
mets trente vers
pour faire advenir,
et encore
maladroitement,
pour en faire
advenir
le sens.