Ma hantise : comment rendre compte du poème de Patricia Cottron-Daubigné sans sombrer (avec un délice inavoué ?) dans les clichés de la phallocratie que notre auteure prendrait à juste titre pour un sacrilège ? Dans le climat chaudement sexiste qui règne en ces temps, pour un pauvre vieux mâle άλφα comme moi, il est difficile de ne pas être taxé de machisme… par total puritanisme ? On ne pourra reprocher ce vice austère à Patricia Cottron-Daubigné. Bien que notre poète y prête le flanc (si j’ose dire) puisque, retournant à son avantage un fantasme inventé par les inquisiteurs des temps moyenâgeux, victimes sans doute d’obsessions sexuelles, elle nous donne à savourer les images traditionnelles de la sorcière érotique et sauvage , nous vantant le
coffret secret
bois de rose et santal
que « la femme broussaille » annonçait dans son titre :
dentelles sur dentelles
jusqu’au froufrou
le plus rose
On l’aura compris, Patricia Cottron-Daubigné développe la gamme entière du genre, le sien – sans jamais sombrer dans la pornographie. Elle nous fait miroiter un sexe heureux et délicat. Sa langue entière devient sexe, à moins que son sexe soit devenu langue :
en résilles serrées
haletante
Une langue
à bousculer les rêves
alors on ne sait plus s’il s’agit de l’organe ou du verbe, le poème devenu « la pulpe des lèvres »…
Je suis homme, je ne puis que rendre grâce à une femme qui ne nous oppose pas son continent noir, et ose dire le désir – rappelant ainsi une longue tradition féminine que l’on aurait vite fait d’oublier :
je porte à mon cou des serpents
des serpents anciens pour mieux chanter
nos chants d’amour et de nuit
Voilà que Méduse joue de ses sortilèges
la vague enroulée
femme une
renouvelée
de l’autre
inlassable
à son désir
entourée d’un cercle d’aimants
Les hommes attendront
Campés sur leur sexeLa première partie de ce beau livre est consacrée (si j’ose dire) aux dessins de Mélissa Fries, d’un nocturne érotisme, sur lesquels, en transparence, notre poète a fait écho – ainsi l’union du texte et de l’image est-elle réalisée dans la différence. Mélissa Fries dit de ses dessins : j’aimerais faire de mon travail un brasier. Dira-t-on un chaudron de sorcière, où s’entremêlent gravures anciennes, image surréalistes ou rock’n’roll, dessins naïfs et photos… Une vraie bacchanale !
Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante, dessins de Mélissa Fries, éd. Les Lieux Dits, coll. 2Rives, env. 100 pages, 18 €.
Mathias Lair