Françoise COULMIN. Normandie. Fut peintre et géographe. Poète de combat et de résistance, reste un électron libre et rebelle : 14 recueils, 3 anthologies (plusieurs centaines de poètes). Nombreuses collaborations : anthologies (une soixantaine), revues (papier, en ligne, Fr, étranger), plasticiens, compositeurs. Prix international de poésie 2012, Antonio Vicaro. Sociétaire de divers mouvements poétiques. Trois derniers livres parus à La Feuille de Thé : Errer appartenir (Oratorio, 2014), Prendre souffle (2015), Sans espoir je cède à l’espoir (Florilège personnel, 2018).
Extrait de Le Monde saigne devant toi, Le Temps des Cerises, Fr/Les Écrits des forges, Québec, 2005
Celle qui marche
ses dix enfants cracha ensembleEt les dix se baissèrent se saisissant
chacun du suaire pantelant de leur pèreEt cependant la mère
ses enfants
dix ensemble
ravalaJe vous ai pris les dix
mes enfants des cinq sexes
mes enfants des cinq terres
et j’ai marché
Car eux parleurs de races
Des femmes
auraient fait leurs esclaves
Les hommes qui aiment les hommes,
ils les auraient émasculés
Les femmes qui aiment les femmes
auraient brûlées
Enfants des cinq couleurs
je vous ai arrachés aux délires
et vous cherche un lieu sûr
pour y laisser souffler vos languesEn ces douleurs d’exode
je veux inventer
là, où poser vos racines
débarrassés de l’abjection
Je crache
aussi loin que je peux
vos poisons et la morgue
hurlant pour contrer l’héritageCombien préférerais
vous ennoyer dans le quotidien d’âmes calmes
emmêler vos empreintes
aux témoignages d’appartenancesCombien je cherche
et j’ai cherché de lieux d’asiles
Combien de marches et de réveils hallucinés
Terrifiques assauts
Terrifiques refugesLors je marche
vomissantEt toujours
dans l’horreur
du visage mutilé de ce père :Vous apprendre à cracher
et à ne plus cracher.
1997.
Extrait de Pendant qu’il est encore temps, Le Temps des Cerises, 2011
Ces petits bouts de verre poli
ramassés sur les plages
roulés, usés au sableTessons d’humanité perdus aux vagues
bouteilles à la mer
messages éclatésEspoirs possibles
entre déréliction-tendresse
cynisme-attachementLes enfermer en nœuds précieux
autant de liens
pour les offrirUn grain pour la folie
un grain pour le tragique
un dernier pour le rireAfin d’attacher la mémoire
d’enchaîner la beauté
pour contrer l’impossible.2008.
Extrait de Le monde saigne devant toi, Le Temps des Cerises Fr/Les Écrits des forges, Québec, 2005
Leurs graffitis de pierre
halètent aux baisers noirs du vent
vers là-bas
qui viendraAnonymat des signatures
avec les ongles
en contrées improbables
ajoutant du néant au néantQu’en savez-vous de la révolte
oui la révolte
des liens d’étoiles filantes
entre vivants et mortsJe vous ai emmenés sur ces tombes
elles-mêmes
devenues étrangères en pays étranger
et vous avez cueilli des fleursEt qu’en savez-vous du vertige
oui le vertige
frontière infranchissable
entre rire et douleurEt des appels incontournables
des oublis des flots de dire au fond du ventre
des chants
de nuit épaisseL’âme encore éblouie
d’un pleur qui a dit non
une statue s’endort au fond de l’eau
sans glisser un regard2002.
Extrait de In Pour durer, Le Dé bleu, Les Écrits des Forges, Québec, 1993
Lucy, fossile hominidé d’Afrique que le hasard des fouilles donnait
comme étant notre plus vieil ancêtre (environ 3,2 millions d’années).Je suis kurde sémite arménien sumérien grec hittite
je suis de ces exodes
et je marche à la quête en poussant mes troupeaux
loin des démons qui me poursuivent et m’assaillent
et me brûlentJe suis les battements - percussion d’un cœur à corps
rythmes qui m’entrechoquent
soulevant une à une toutes les peaux successives
du moi des âges
souffles qui se relaientMoi Lucy ultime couchée long la grande femme Afrique
premier homme
crâne ouvert aux étoiles
penché sur cet Orient qui me ramène Mongol et Perse
haletant aux espacesCes rivages me pèsent j’assaillirai les astres et aussi
les soleils
je traquerai le nègre je parquerai l’indien je suis
l’arme virus l’alpha laser l’anti cellule
le radical extrêmeJe te ferme les yeux dans la puanteur
des bouches à sourire
étais-tu moi carnage
perdu dans une cause qui n’était pas la mienne armé sans réfléchir
remonté d’eaux profondes ventre enfléJe me consume je me transperce au sabre
je suis douce sati eunuque pour te garder
je suis galérien cotonnier mineur d’éponges
diamantier sucrier gabellier mangeur d’ordures
et prostituéTu te serres contre moi je m’accroche à tes tripes
cachés dans ce charnier
tu me parles en des mots que je ne comprends pas
j’ai cru te reconnaître à la dernière lueur de l’aube
en ce stadeJe suis le gosse enfoui séisme après séisme
l’enseveli des boues
je ne saigne plus
je sèche au vent je sèche aux mouches
j’essuie ma pourriture à ma terre à mon sableLucy tu me regardes
pétrifiée insensible nonchalamment figée
aussi indifférente que la nuit à ma peurLucy ma mère Lucy mes fils
inexorable.
1989.
Extraits : 5 chants sur 60, in Entrer rebelle en ère de deuil, La Bartavelle, 1997
1
Nous sommes entrés en ère de deuil
Il y a dans mes veines un sentiment d’urgence
Je portais le regard d’un vaincu craignant de me refaire bourreau
Il est des heures entre désolation et désespoir
Si la jeunesse nous rattrapait il y aurait de longues séances farouches
de lents et peut-être impossibles apprentissages
Trop occupé à subsister je me semblais guéri d’enflure
Saurai-je rassembler ma colère rester fidèle à ma douleur
Je me sentais démon avec des soifs d’égorgement2
Je ne peux pas me souvenir de mes accès de lassitude
capable de parcourir des traites immenses
d’aller venir au vent aux sables aux aigles
emmuré de tristesse aveuglé d’imprudence
Jeté dans la frénésie d’en finir mon cœur était plaie à panser
Je me servais des pluies des plantes
d’autant des éléments rencontrés comme des baumes
du souvenir et de l’espoir comme liniments
Il y avait mes chants intimes pour couvrir mes rumeurs
et me raconter des histoires des chants de marche hallucinée10
(…) Ô la jeunesse
Et en levant les mains
je mets mes paumes dans la lumière
pour renvoyer sur elle quelque chose comme un vœu
un rayon protecteurJe me souviens
des chahuts et des jeux…
des corps parfaits
et ne pourrai plus oublier
ces amas en bouillie…Viens la mer monte
Je me prépare
Un jour de vie ici et là60
Elaborant ma finitude
sans me laisser devenir
monstre
je m’aime aménitéNe disant rien
préoccupé par un mirage
sans mots pour le décrire
je me forge un visage
entrant en dieu-de-moi
en maître-dieu-de-moiJe veux
Je sais
Je veux.1990.
Extrait de Des pas rythmés par la mémoire, Chronique méditerranéenne, Éd. Henry, 2014.
Savoir où sont dispersées toutes cendres
Corps autrefois exposés
Tout en basD’où je chemine on les voyait tomber
Dans les iris en deuil
Eux pris aux mailles des traîtrisesAcculés
Sentiers perdus piégés
Un pas de trop stoppés dans leur élanÂmes de roc dans l’hysope, les soucis orphelins
Debout comme ils l’étaient
DeboutTombés dans l’herbe grasse
Des braves et des salauds dans l’humus confondus
À l’écart au silence de la nuit solitaireFlanc-muraille en versant-hécatombe
Il leur aurait fallu tant d’efforts et de temps
Et encore et tant de sacrifices encoreMille mètres de muraille
Herses et barbelures épiant l’humanité
Une nasse un mur d’exécution.Et la neige ! Oui la neige
Il fait si froid aux vents perdus qui grondent
Épiant le monde.
Extrait de Petit matin, La Feuille de thé, 2012
7
Entrant hurlant s’affolant appelant
coupant s’affalant
Hurler s’effondrer
non croire non possible pas possible
hurler appeler désastrer
Pas assez protégé pas assez échangé
pas voulu s’immiscer
Intervenir avant comment quand
pas assez
ne se pouvait
n’imaginait13
Désespérée la mère
l’a décroché l’a réceptionné
hurlant la mère
Desserré fait tomber hurlant folie
le ranimer la mère elle
Lui justement si grand si fort
si inerte et si lourd lui
et si faible et maintenant
le porter le bercer lui enfant
Un enfant d’une mère le sien
enfant à elle
(…)
Extraits de Prendre souffle, La Feuille de thé, 2015
3
Aucun étranglement de vent
ni froissement d’écharpeUne glissade
de souvenirs rebelles
peut-êtreUne idée de désert
de désert blanc
désert de sable ou de désert de l’âme5
Un appel de bonheur
inquiet
comme une matrice
suspendue
berçant calmement son fœtusMémoire
d’un sentiment très doux
comme un retour à la maison
quand on croyait s’être perdu
à jamais
En poésie, a publié 14 recueils :
- au Dé Bleu/Écrits des Forges (Fr/Qc) : Pour durer (1993),
- à La Bartavelle : Entrer rebelle en ère de deuil (1997),
- à L’Arbre à Paroles (Belg) : Mais de ce qui se perd (1998),
- au Temps des Cerises/Écrits des Forges (Fr/Qc) : Tous les hommes sont des poètes (2002), Le monde saigne devant toi (2006), Pendant qu’il est encore temps (2012),
- à L’Harmattan : Quelques méchancetés moins une (2011), Guérir d’enfance (2012),
- chez Henry : Des pas rythmés par la mémoire (2014),
- à La Feuille de Thé : Petit matin (2012), Errer appartenir (Oratorio, 2014), Prendre souffle (2015), Sans espoir je cède à l’espoir, Florilège sur 30 ans d’écriture (2018),
- A réuni 3 anthologies poétiques :
- au Temps des Cerises : Et si le rouge n’existait pas (2009, 67 auteurs), Nous la multitude (2011, 107 auteurs). chez Henry : Liberté de créer, liberté de crier (2014, 99 auteurs).
- Figure dans plus de soixante-dix anthologies et revues (papier et en ligne, France et étranger).
- Collaborations avec plasticiens et compositeurs.
- Participation à de nombreux colloques (Fr et étranger).
- Traduite en plusieurs langues.
- Prix international de poésie 2012, Antonio Vicarro, pour l’ensemble de son œuvre.
- Sociétaire de la Société des Gens de Lettres (SGDL), du PEN Club français, du World Poetry Movment (WPM)… …