Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Françoise Coulmin

mardi 3 juillet 2018, par Cécile Guivarch

Françoise COULMIN. Normandie. Fut peintre et géographe. Poète de combat et de résistance, reste un électron libre et rebelle : 14 recueils, 3 anthologies (plusieurs centaines de poètes). Nombreuses collaborations : anthologies (une soixantaine), revues (papier, en ligne, Fr, étranger), plasticiens, compositeurs. Prix international de poésie 2012, Antonio Vicaro. Sociétaire de divers mouvements poétiques. Trois derniers livres parus à La Feuille de Thé : Errer appartenir (Oratorio, 2014), Prendre souffle (2015), Sans espoir je cède à l’espoir (Florilège personnel, 2018).

Extrait de Le Monde saigne devant toi, Le Temps des Cerises, Fr/Les Écrits des forges, Québec, 2005

Celle qui marche
ses dix enfants cracha ensemble

Et les dix se baissèrent se saisissant
chacun du suaire pantelant de leur père

Et cependant la mère
ses enfants
dix ensemble
ravala

Je vous ai pris les dix

mes enfants des cinq sexes

mes enfants des cinq terres

et j’ai marché

Car eux parleurs de races

Des femmes

auraient fait leurs esclaves

Les hommes qui aiment les hommes,

ils les auraient émasculés

Les femmes qui aiment les femmes

auraient brûlées

Enfants des cinq couleurs
je vous ai arrachés aux délires
et vous cherche un lieu sûr
pour y laisser souffler vos langues

En ces douleurs d’exode

je veux inventer

là, où poser vos racines

débarrassés de l’abjection

Je crache
aussi loin que je peux
vos poisons et la morgue
hurlant pour contrer l’héritage

Combien préférerais
vous ennoyer dans le quotidien d’âmes calmes
emmêler vos empreintes
aux témoignages d’appartenances

Combien je cherche

et j’ai cherché de lieux d’asiles

Combien de marches et de réveils hallucinés

Terrifiques assauts
Terrifiques refuges

Lors je marche
vomissant

Et toujours
dans l’horreur
du visage mutilé de ce père :

Vous apprendre à cracher

et à ne plus cracher.

1997.

Extrait de Pendant qu’il est encore temps, Le Temps des Cerises, 2011

Ces petits bouts de verre poli
ramassés sur les plages
roulés, usés au sable

Tessons d’humanité perdus aux vagues
bouteilles à la mer
messages éclatés

Espoirs possibles
entre déréliction-tendresse
cynisme-attachement

Les enfermer en nœuds précieux
autant de liens
pour les offrir

Un grain pour la folie
un grain pour le tragique
un dernier pour le rire

Afin d’attacher la mémoire
d’enchaîner la beauté
pour contrer l’impossible.

2008.

Extrait de Le monde saigne devant toi, Le Temps des Cerises Fr/Les Écrits des forges, Québec, 2005

Leurs graffitis de pierre
halètent aux baisers noirs du vent
vers là-bas
qui viendra

Anonymat des signatures
avec les ongles
en contrées improbables
ajoutant du néant au néant

Qu’en savez-vous de la révolte
oui la révolte
des liens d’étoiles filantes
entre vivants et morts

Je vous ai emmenés sur ces tombes
elles-mêmes
devenues étrangères en pays étranger
et vous avez cueilli des fleurs

Et qu’en savez-vous du vertige
        oui le vertige
frontière infranchissable
entre rire et douleur

Et des appels incontournables
des oublis des flots de dire au fond du ventre
des chants
de nuit épaisse

L’âme encore éblouie
d’un pleur qui a dit non
une statue s’endort au fond de l’eau
sans glisser un regard

2002.

Extrait de In Pour durer, Le Dé bleu, Les Écrits des Forges, Québec, 1993

Lucy, fossile hominidé d’Afrique que le hasard des fouilles donnait
comme étant notre plus vieil ancêtre (environ 3,2 millions d’années).

Je suis kurde sémite arménien sumérien grec hittite
je suis de ces exodes
et je marche à la quête en poussant mes troupeaux
loin des démons qui me poursuivent et m’assaillent
et me brûlent

Je suis les battements - percussion d’un cœur à corps
rythmes qui m’entrechoquent
soulevant une à une toutes les peaux successives
du moi des âges
souffles qui se relaient

Moi Lucy ultime couchée long la grande femme Afrique
premier homme
crâne ouvert aux étoiles
penché sur cet Orient qui me ramène Mongol et Perse
haletant aux espaces

Ces rivages me pèsent j’assaillirai les astres et aussi
les soleils
je traquerai le nègre je parquerai l’indien je suis
l’arme virus l’alpha laser l’anti cellule
le radical extrême

Je te ferme les yeux dans la puanteur
des bouches à sourire
étais-tu moi carnage
perdu dans une cause qui n’était pas la mienne armé sans réfléchir
remonté d’eaux profondes ventre enflé

Je me consume je me transperce au sabre
je suis douce sati eunuque pour te garder
je suis galérien cotonnier mineur d’éponges
diamantier sucrier gabellier mangeur d’ordures
et prostitué

Tu te serres contre moi je m’accroche à tes tripes
cachés dans ce charnier
tu me parles en des mots que je ne comprends pas
j’ai cru te reconnaître à la dernière lueur de l’aube
en ce stade

Je suis le gosse enfoui séisme après séisme
l’enseveli des boues
je ne saigne plus
je sèche au vent je sèche aux mouches
j’essuie ma pourriture à ma terre à mon sable

Lucy tu me regardes
pétrifiée insensible nonchalamment figée
aussi indifférente que la nuit à ma peur

Lucy ma mère Lucy mes fils
inexorable.
1989.

Extraits : 5 chants sur 60, in Entrer rebelle en ère de deuil, La Bartavelle, 1997

1
Nous sommes entrés en ère de deuil
Il y a dans mes veines un sentiment d’urgence
Je portais le regard d’un vaincu craignant de me refaire bourreau
Il est des heures entre désolation et désespoir
Si la jeunesse nous rattrapait il y aurait de longues séances farouches
de lents et peut-être            impossibles apprentissages
Trop occupé à subsister je me semblais guéri d’enflure
Saurai-je rassembler ma colère rester fidèle à ma douleur
Je me sentais démon avec des soifs d’égorgement

2
Je ne peux pas me souvenir de mes accès de lassitude
capable de parcourir des traites immenses
d’aller venir au vent aux sables aux aigles
emmuré de tristesse aveuglé d’imprudence
Jeté dans la frénésie d’en finir mon cœur était plaie à panser
Je me servais des pluies des plantes
d’autant des éléments rencontrés    comme des baumes
du souvenir et de l’espoir comme liniments
Il y avait mes chants intimes pour couvrir mes rumeurs
et me raconter des histoires  des chants de marche   hallucinée

10
(…) Ô la jeunesse
Et en levant les mains
je mets mes paumes dans la lumière
pour renvoyer sur elle quelque chose comme un vœu
un rayon protecteur

Je me souviens
des chahuts et des jeux…
des corps parfaits
et ne pourrai plus oublier
ces amas en bouillie…

Viens la mer monte

Je me prépare
            Un jour de vie ici et là

60
Elaborant ma finitude
sans me laisser devenir
monstre
je m’aime aménité

Ne disant rien
préoccupé par un mirage
sans mots pour le décrire
je me forge un visage
entrant en dieu-de-moi
en maître-dieu-de-moi

        Je veux
        Je sais
        Je veux.

1990.

Extrait de Des pas rythmés par la mémoire, Chronique méditerranéenne, Éd. Henry, 2014.

Savoir où sont dispersées toutes cendres
Corps autrefois exposés
Tout en bas

D’où je chemine on les voyait tomber
Dans les iris en deuil
Eux pris aux mailles des traîtrises

Acculés
Sentiers perdus piégés
Un pas de trop stoppés dans leur élan

Âmes de roc dans l’hysope, les soucis orphelins
Debout comme ils l’étaient
Debout

Tombés dans l’herbe grasse
Des braves et des salauds dans l’humus confondus
À l’écart au silence de la nuit solitaire

Flanc-muraille en versant-hécatombe
Il leur aurait fallu tant d’efforts et de temps
Et encore et tant de sacrifices encore

Mille mètres de muraille
Herses et barbelures épiant l’humanité
Une nasse un mur d’exécution.

Et la neige ! Oui la neige
Il fait si froid aux vents perdus qui grondent
Épiant le monde.

Extrait de Petit matin, La Feuille de thé, 2012

7
Entrant hurlant s’affolant appelant
coupant s’affalant
Hurler s’effondrer
non croire non possible pas possible
hurler appeler désastrer
Pas assez protégé pas assez échangé
pas voulu s’immiscer
Intervenir avant comment quand
pas assez
ne se pouvait
n’imaginait

13
Désespérée la mère
l’a décroché l’a réceptionné
hurlant la mère
Desserré fait tomber hurlant folie
le ranimer la mère elle
Lui justement si grand si fort
si inerte et si lourd lui
et si faible et maintenant
le porter le bercer lui enfant
Un enfant d’une mère le sien
enfant à elle
(…)

Extraits de Prendre souffle, La Feuille de thé, 2015

3
Aucun étranglement de vent
ni froissement d’écharpe

Une glissade
de souvenirs rebelles
peut-être

Une idée de désert
de désert blanc
désert de sable ou de désert de l’âme

5
Un appel de bonheur
inquiet
comme une matrice
suspendue
berçant calmement son fœtus

Mémoire
d’un sentiment très doux
comme un retour à la maison
quand on croyait s’être perdu
à jamais


En poésie, a publié 14 recueils :

  • au Dé Bleu/Écrits des Forges (Fr/Qc) : Pour durer (1993),
  • à La Bartavelle : Entrer rebelle en ère de deuil (1997),
  • à L’Arbre à Paroles (Belg) : Mais de ce qui se perd (1998),
  • au Temps des Cerises/Écrits des Forges (Fr/Qc) : Tous les hommes sont des poètes (2002), Le monde saigne devant toi (2006), Pendant qu’il est encore temps (2012),
  • à L’Harmattan : Quelques méchancetés moins une (2011), Guérir d’enfance (2012),
  • chez Henry : Des pas rythmés par la mémoire (2014),
  • à La Feuille de Thé : Petit matin (2012), Errer appartenir (Oratorio, 2014), Prendre souffle (2015), Sans espoir je cède à l’espoir, Florilège sur 30 ans d’écriture (2018),

- A réuni 3 anthologies poétiques :

  • au Temps des Cerises : Et si le rouge n’existait pas (2009, 67 auteurs), Nous la multitude (2011, 107 auteurs). chez Henry : Liberté de créer, liberté de crier (2014, 99 auteurs).
  • Figure dans plus de soixante-dix anthologies et revues (papier et en ligne, France et étranger).
  • Collaborations avec plasticiens et compositeurs.
  • Participation à de nombreux colloques (Fr et étranger).
  • Traduite en plusieurs langues.
  • Prix international de poésie 2012, Antonio Vicarro, pour l’ensemble de son œuvre.
  • Sociétaire de la Société des Gens de Lettres (SGDL), du PEN Club français, du World Poetry Movment (WPM)… …

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