Les « éditions du frau » (dont le nom vient de certains toponymes de la région sud-est du massif du Cantal et dont la signification est « terre inculte », « lande », « mauvaise pâture ») sont nées il y a 10 ans. Elles publient, à 120 exemplaires, des livrets de petit format, cousus à la main, réunissant un auteur poète et un artiste, peintre, dessinateur, graveur ou photographe.
Pour marquer la dixième année d’existence des éditions, les auteurs poètes ayant déjà publié au frau ou allant le faire prochainement, ont été invités à venir marcher sur ces hauts plateaux pour, simplement, se « frotter » à la terre, à l’espace, à l’air... puis à écrire. Quelques auteurs l’ont fait depuis d’autres terres « pauvres », ailleurs...
Des photos en noir et blanc ponctuent les pages du livre.
21 × 14,8 cm (format « paysage ») - 150 pages. Plus de 29 auteurs ont écrit et une dizaine de « photographes » a donné des photos. Le livre est en vente à 22,00€.
(Odile Fix - Éditions du frau - Bélinay - 15430 Paulhac)
https://editions-du-frau.jimdo.com/
frau
Ainsi on voit, déployée, une terre, une page simple, plus large que regard. Elle fait quelques plis contre une pierre, contre un genêt déchiré.
Le vent a balayé poussières légères et débris végétaux, écailles d’encre sèche.
En matière d’écriture, on trouve un peu de cendre, un bois brûlé et l’humus, sombre et fin.
On avance avec le creux des paumes érodé par le silence, avec, en bouche, une voix infime, comme un désert de langue.
Ce qui nous couvre et nous contient n’est que manteau d’air, ocre clair et transparent où la lumière tisse quelques ponctuations.
Ainsi on entend, monotone, la marée de la respiration…
Peut-être qu’écrire sera s’appuyer au vertige.
On donne les mains à ce qui traverse : un oiseau, un nuage, cerf attentif, sonnailles lointaines, sabot heurté contre le crépuscule…
On tend quelques mots à l’arasement : vent et temps qui passe, glace et soleil, la soif d’un abreuvoir.
Une page serait une terre inculte* avec ses écritures, changeantes comme la lumière.
Quelqu’un pose un livre sur une pierre. Peut-être qu’elle est une table du don.
* terre inculte est une des significations du mot « frau »
Odile Fix
Éléments d’horizon / Erwann Rougé
frau est un mot sourd sans aucune ombre. frau est un creux qui s’étire depuis longtemps venu comme cela calmement dans l’herbe rase au silence du mont. on avance entouré de vent dans l’embrasure d’une absence. il fait une douceur à se laver les yeux.
Laps / Lleann
en soi
sans ses ombres légères
une stérilité divinepour commencer
les limbes familières
précédèrent l’amour
François Coudray
sur les hauts-fonds du plateau la lumière
stridule bourdonne
le battement du vent sa caresse
efface sur l’autre pente
le tintinnabuli des clarines
et plus bas tout le bruit des hommes
Marie Tavera
[...] nous portons le silence à bout de bras et sa couleur
nous y revenons [...]
Frédérique de Carvalho
un jour ici toute seule avec le vent
odile fixla harde
à peine
inquiète
des sabots
d’herbe sèche
sur la terre pauvre
mêlée d’espace
des clôtures quadrillent
et le ciel
glisse
intact
à l’oblique de la marche
la penche du vent
nos visages
en allés
Fraulés / Amandine Marembert
Partout installés sur l’herbe dans les creux des fermes des bâtiments isolés
leurs fanaux au soir allumés parmi le silence des étendues
Ces lumières disent des vies posées au chevet des prés des bêtes
Marie-Anne Schonfeld
Asile
il est des terres pauvres
dans le creux du mondele pas de l’étrangère
trace
son cheminil est un lieu
où le ciel tutoie
là
le silence
est accueilli
Anémone pulsatille / Isabelle Jannot
je t’ai vue debout
irréductible et magnifique
avant de disparaître
tu dispensais au vent tes fruits échevelés
pour que ça continue
Romain Fustier
voilà la lande.
des terres incultes à tout va. de la mauvaise pâture à perte de vue. je viens de là. je reviens là. mon regard. mon corps.
Tu regardes par le mot frau / James Sacré
Dans ce mot nouveau, un frau
Où bouge quelle bête noire qu’on n’a toujours pas vue
(La peur avec son plaisir) qu’on voudrait mieux voir ?
Se sentir dehors, en montagne, dans le poème / Alain Freixe
Si je pouvais tremper mes mots dans la neige, les givrer de toutes les couleurs du froid et les poser en silenciaires sur la page de cendres, peut-être alors se sentirait-on dehors, dans le poème, en montagne.
une à une, les pierres / Mary-Laure Zoss
trilles d’alouettes et barbelés rompus, au lit noir d’un ruisseau, à sec depuis combien – sa brève coulée de cailloux, à quel seuil nous voici livrés, toutes paroles tues, parmi le vert acide de l’herbe entre les pierres et face au ciel ; jusqu’à son effacement, enchevêtrer l’âme à l’étoffe bourrue des lichens
Christiane Veschambre
Rabine est mon frau.
C’est le nom gallo des terres incultes.
Incultes, nues et sauvages.
La pierre est une virgule / Joël Vernet
La pierre sort tout juste de l’hiver ; je le vois ; je le sens. Elle absorbe le soleil, avec le ciel tout devant, au-dessus. Jusqu’à l’horizon. La pierre, la lumière, le soleil sont des signes d’ici. La pierre, dans l’herbe, est une noire virgule délivrant l’horizon qui m’a toujours accueilli, bras ouverts. Pour le remercier, j’écris un nom invisible dans l’air de ce pays avec son encre de lumière et de ténèbres. La pierre est un visage au bord de la forêt, un visage traversé par les vents. Il a conservé la couleur durcie de l’hiver.
Vivants au frau / Jean-Louis Clarac
Le frau est une entaille de sérénité dans le brouhaha
Une élargie où animaux et humains face à face hument leurs odeurs
Avant que les uns et les autres vaquent à leurs affaires
Partition du frau / Chantal Dupuy-Dunier
L’été, est arrivé, brutal,
qui pose sur les prairies une main ardente.Le frau s’éveille à peine
et bâille à gorge déployée.
Les pierres entament leur dialogue avec les lichens.
Une effraie regagne sa cachette diurne,
la lune ne l’a point encore rejointe.
Elle attarde sur les frênes
son regard fixe de poisson.
Pierre Bastide
S’il est localisé sur le cadastre, le frau de La Combe n’a pas de limites matérialisées sur le terrain. Contrairement à ce texte par lequel j’entreprends de combler son vide, il n’est pas borné. Il n’a ni commencement ni fin. Du moins rien ne le sépare de ce qu’il y a avant lui, ni de ce qui le suit.
INFRABAS / Billy Dranty
Terres arrières,
a(rri)érées.
Véronik Le Milan
Je te vois
homme
tu halètes de vivre
ça urge en toi
tu prends appui
et puis sur mes pentes tu glisses
tu poses ton regard au plus loin
tu cherches
tu respires doucement
là
adossé aux pierres d’un ancien buron
tu crois entendre des voix
ce n’est que le vent.
Les dos noirs / Muriel Quesne
on s’allonge à l’entrée du ciel
dos sur l’herbe tendre
nos lèvres muettes
Taire immense / Igor Chirat
Terre inhospitalière, désertée des chants d’oiseaux et du silence que le vent dévore.
La montagne et toi, seule à seul.
Delphine Eyraud
on inventerait
une maison aux murs de basalte, de lave et de terre
et tu vivrais làau silence des éboulis
Trois corps / Juliette Penblanc
Les mains à plat sur le monde
et l’herbe fauve en caresse sous le pied
quelques roches affleurent
aucun arbre n’arrête le regard
c’est un repos des yeux
Manteau de lenteur / Odile Fix
devant l’horizon
l’arbre seul
s’incline
les rocs à ses genoux
Là / Emmanuelle Laurent
si tu louches un peu
l’horizon se dédouble
plat des plateaux
sur le plat des nuages
herbe envolée
Béatrice Machet
Monter. Des bas-reliefs sauvages gravés dans les rochers content l’épopée de la lave. Des profils inscrits dans les pierres. Une assemblée enjoignant à la minuscule que vous êtes, de préserver vos forces, votre souffle.
Séverine Langlois
il est un monde écrit sur la pierre
où la nature nous invente des hiéroglyphes
si l’on savait lire sur la pierre l’empreinte des oursins
on pourrait écrire
comment habiter le monde
la drive / Catherine Bédarida
chaos de basaltes bleutés
issu de la drive primitive
la roche palpite
entre eau du ciel et mémoire du feu
flammes d’eau font signe
Tarrampeu / Jean-Gabriel Cosculluela
Nommer inlassablement l’incandescence de la terre pauvre.
(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)