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Frontières, nouveau numéro de la revue Bacchanales

dimanche 27 octobre 2019, par Cécile Guivarch

Frontières - Abattre les murs taboo portant - 73 poètes

Bacchanales n°62 - Revue de la Maison de la Poésie Rhône-Alpes

« Les poètes sont des passeurs de frontières » écrivent Françoise Alléra et Pierre Vieuguet, co-présidents de la Maison de la Poésie Rhône-Alpes dans le Mot de l’éditeur qui ouvre l’anthologie.
Frontières au pluriel pour souligner la pluralité, autant par le nombre de poètes, et leur origine que par la diversité des langues. Si nous devions résumer l’anthologie en quelques chiffres, ce serait : 73 poètes de 27 pays de 4 continents. Mais si le nombre montre qu’il est possible de rassembler autour de ce thème Frontières, il convient d’aller voir un peu plus loin ce qui fait la singularité de ce rassemblement de poèmes.

Au départ, j’avoue, le mot Frontières me fait penser à l’exil. Et de cet exil, il en est question dans un certain nombre de textes. Beaucoup de poètes y sont sensibles. Soit pour l’avoir connu personnellement ou par le biais d’un membre de leur famille, soit car ils sont témoins de ce qui se passe dans le monde. Frontières me fait ensuite penser à celles qui séparent les pays, faisant de chacun une nation différente avec une langue, une culture différentes. Et Frontières propose dans ce sens des poèmes en langue originale ou encore qui laissent entrevoir nos diversités à travers la planète.

Mais faut-il résumer les frontières à celles qui séparent deux pays ? Ce n°62 des Bacchanales démontre que non. Ces frontières sont géographiques, historiques, esthétiques, linguistiques, ethniques, sociales, de genre, imaginaires…, et je ne l’invente pas, ce sont les co-présidents de la Maison de la Poésie Rhône-Alpes eux-mêmes qui l’inscrivent dans le mot de l’éditeur à la page 7. Pierre Soletti, dans la préface, affirme une nouvelle fois que la notion de frontières dépasse largement l’idée première que nous nous en faisons.

« La poésie est la chose la plus insaisissable et la plus réelle en même temps. »
« Créer c’est traverser les frontières. »
« Nous sommes au monde parce que nous avons franchi des frontières. »

Cathy Ko dans un de ses poèmes écrit à juste titre :

"C’est dans ma tête
que les frontières existent"

Enfin, il ne faudrait surtout pas oublier de parler de l’illustrateur, Yves Olry. Ses illustrations animent l’anthologie, elles font sens, c’est de la poésie en image. Originalité, variété ajoutent à l’anthologie, prolongent les poèmes.

On ne pourrait citer les noms des 73 poètes ici mais pour en mentionner quelques uns, une poignée, un aperçu, vous donner envie de vous procurer cette magnifique anthologie, en voici quelques-uns : Christophe Manon, Joël Bastard, Seyhmus Dagtekin, Louise Dupré, Asraf Fayad, Yvon Le Men, Robert Piccamiglio, Marina Skalova, Omar Youssef Souleimane, Sylvain Thévoz… Toutefois, les noms restent des noms. Quelques extraits devraient vous permettre de vous décider définitivement.

Cécile Guivarch

Françoise ASCAL

où seras-tu quand tu ne seras plus ?

comment ferai-je pour te rejoindre ?

saurai-je reconnaître
le coquelicot de Khayyâm
dont tu parlais
au creux du lit ?

Zéno BIANU

Il a oublié son nom.

Depuis des lustres.

Il a une tête de kurde, d’apache ou d’abyssin.

Il s’appelle Ulysse ou Yves Klein.

Joas ou Elvin Jones,

Sinbad ou Jouffroy,

Segalen ou Leonard Cohen.

C’est un héros naufragé, dans tous les sens.

Mais qui va toujours vers la vie.

Par-delà le fracas des exils.

Par-delà les étoiles océanes.

Il sait que son chant perdure sans relâche.

Il boit au lait des galaxies.

Bleu fauve.

Toujours vers la vie.

Adelina DA SILVEIRA

How I long for the days when words were essential !
C’était en d’autres temps lorsque le mot renfermait une certitude
existentielle
- cœur et mots, moi-même in a fabric of being

Je suis partie il y a si longtemps…
Les mots ont du mal à sortir,
comme si je voulais les articuler et qu’une pierre était
en travers de ma gorge.

La voix lusitane coule sans que j’en boive,
presque alien car je ne rêve plus en portugais.

Paroles, words, mots perdus…
Labyrinthes d’images où je m’égare
dans ma hâte de gagner l’autre rive de moi-même.

J’ai changé le profil du jour
et j’ai perdu mon visage en ce temps
never again myself between the sea and the maples.

Ô tragédie d’émigrer, de partir sans arrivers
tissant dans la diaspora un être d’ici et de toujours.

Demain sera un autre pays, un autre matin,
but I won’t be here. Identité disséminées
I’ll be searching in yesterday
for the name of a water bird among the snow.

Ashraf FAYAD

Je vis des moments difficiles

Les relents de l’ennui
emplissent la pièce
et mon cœur est un livre en lambeaux
revêtu d’une épaisse couche de poussière
Un cendrier plus que familier
Des idées collées aux murs
telles des mouches rompues
Une araignée désœuvrée
se penche sur des arbres
affectés de sommeil
Dehors
peu de voix
et le froid
régnant en maître

Michaël GLÜCK

Le retour au pays

je suis née
en Tchécoslovaquie
disait ma mère
en Tchécoslovaquie

ça n’existe pas ça n’existe pas
dirait dirait Robert Desnos
mort au camp de Térézin
ça n’existe pas ça n’existe plus

ma mère était née à Klicanovo
dans la maison de ses grands-parents
Klicanovo Klicanovo (rythme ternaire
comme une locomotive à vapeur
sur les rails de l’exil)

j’ai retrouvé la maison
natale de ma mère
à Kliachanova

Kliachanova
en Ukraine

je suis née en
Tchécoslovaquie
disait ma mère

Issa MAKHLOUF

Autre univers

L’autre univers est un poème
écrit par les poètes
Pour la deuxième fois
je vois Apollinaire emprunter le pont
vers l’autre rive
Un baiser remue dans son esprit
Il replie ses ailes
et tombe
comme un flocon de neige

Joao MELO

BUENOS AIRES

Ici je peux acheter des livres
et conter fleurette sur la place
à minuit
Mais je ne vois pas Borges :
est-il à Londres
ou à Genève ?

En savoir plus sur la revue Bacchanales


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