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Gwen Garnier-Duguy, Le Corps du monde : une poésie de l’accord

dimanche 23 février 2014, par Matthieu Gosztola

Gwen Garnier-Duguy, Le Corps du monde, Editions de Corlevour, janvier 2014, 123 pages.

Le corps du monde est à chaque instant là, vraiment là, courant dans son immobilité voyageuse sous les doigts, sous la pression qu’ils exercent.
Car dès que notre main se pose quelque-part, c’est ici.
C’est ici que se trouve le monde. C’est ici que nous existons.
C’est là que nous conjuguons notre propre corps, avec l’espace comme chuchotement de contours.
Notre corps trouve sa place, et comme sa musique, au creux du corps du monde, en son cœur, car à chaque lieu, c’est le cœur des choses, c’est le cœur de l’univers ; à chaque lieu, c’est le centre. L’invisible et musical centre qui fait qu’à aucun instant nous ne sommes de côté.
Et si notre corps est niché au centre du corps du monde, à tout instant, et comme naturellement, c’est, nous dit le poète, parce que nous sommes part du corps du monde autant qu’il est part de nous, avant d’ajouter, par ses poèmes : chacun de nous est la musique du monde autant que la musique du monde fait notre musique. Et cette musique, c’est par le rythme propre au poème que nous pouvons la réveiller. La donner à entendre. A scruter, autant qu’à effleurer. Le rythme propre au poème, mais aussi le rythme propre à la peinture – et l’on sait combien Garnier-Duguy a travaillé autour de la peinture.
Le poète fait en sorte que la matière même de la langue soit, sous la découpe qu’il fait opérer à son souffle, matière sonore telle que c’est une profusion de mélodies qui nous traverse, comme un oiseau de lac traverserait notre corps pour emporter au loin quelque chose de notre sommeil face aux beautés, toujours déchirantes, qui font que le réel paraît à nos yeux comme une surprise à chaque instant non pas éclose mais en train d’éclore. Ces mélodies que compose Garnier-Duguy arrachent à notre torpeur toute sa vie pour la transmuer en émerveillement, en surprise, en éveil, en incessant éveil.
Mais le poète va plus loin et fait aussi en sorte que la matière même de la langue devienne, sous la découpe si précise qu’il fait opérer à son souffle, picturale telle que c’est une myriade de couleurs qui nous atteint.
Et ces couleurs disent, dans leur mouvement (merveilleusement restitué par l’anaphore par exemple), quelque chose de l’être, et de la façon qu’a l’être d’être en liaison avec le monde, au moment même où il se trouve être en liaison avec lui-même.
Liaison avec lui-même et liaison avec le monde étant une, et étant ce par quoi il peut être en floraison.
C’est peut-être là l’un des maîtres-mots de la poésie de Garnier-Duguy, car le Verbe, par le poème, se reconnaît comme ce qui est en perpétuelle floraison, loin des esclandres du malheur, loin de la violence, même si celle-ci demeure ce qui nous tend les bras, ostensiblement, où que nous allions.

« Le monde cette nuit respire calmement
Le cœur s’apaise
Il trouve un répit dans l’éblouissement
Dès l’aube
tout repartira à la guerre »

Et lorsque le « cœur s’apaise », c’est toujours dans la communion avec ce qui est son entour : êtres, choses, animaux, pierres, ruisseau, herbe...
Il n’y a, en ce sens, jamais solitude de l’être, nous dit Garnier-Duguy, mais reconnaissance de la musique qu’il crée avec les autres, avec chaque « autre » (cet « autre » fût-il pierre, fût-il silex, fût-il oiseaux, fût-il mer, océan), en enracinant cette musique dans l’instant par quoi tout peut être renaissance, tout peut être accord, (malgré le malheur), dans la richesse, la polyphonie propres à toute vraie naissance.
En somme, par le poème, Garnier-Duguy ouvre un lieu de l’échange, de la communauté, puisque chaque « je » lisant se reconnaît part du monde, et par conséquent part des « autres », et le poète montre comment, par le poème qu’il ouvrage magnifiquement, il est possible de faire en sorte que cet espace de communauté qu’est la parole poétique devienne espace d’invention, de réinvention constantes, de naissance et de renaissance inlassables, dans la beauté et la ferveur du monde, de ses sonorités, de ses rythmes...
Pour l’invention d’un nouvel amour : entre l’aimé et l’aimée.
Entre le poète et son lecteur.
Entre l’ami et l’ami.
Entre le passé, le présent et le futur.
Entre l’incompréhensible et l’évident.
Entre l’indicible et l’audible.

On sort de la lecture du Corps du monde, recueil dont la structure emprunte à l’architecture sa rigueur, comme grandi.

Matthieu Gosztola


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