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Haïkus du bout de la terre, Pierre Tanguy, une lecture de Jean-Pierre Boulic

vendredi 12 juillet 2024, par Cécile Guivarch

Pierre TANGUY
Haïkus du bout de la terre – Éd. La Part Commune – 84 p. ; 13,90 €
Peintures de Rachel La Prairie

Lire Pierre Tanguy, c’est capter les couleurs de l’instantané, s’étonner de l’irruption de la nature, recueillir le temps, chaque instant frôlant toujours l’infime et l’indicible. En cela la poésie qu’il partage rejoint le propos de Philippe Jaccottet qui touche (parlant de l’œuvre de Rilke) à cette nécessaire « transfiguration du monde, de l’intériorisation progressive des choses périssables dans la parole ». Pour leur donner un à venir. Et l’exercice, particulièrement difficile, n’est en rien le terrain d’une explication philosophique.
Nous savons déjà que l’écriture de Tanguy se caractérise par sa brièveté, surtout sa concision. Nous avons eu l’occasion de relever et souligner combien il sait observer et donner vie aux fulgurances de l’existence : tous ses ouvrages de poésie sont là pour en témoigner. Quant aux haïkus qui lui vont si bien, ils en sont une vivante illustration, comme le souligne le préfacier, Alain Kervern.
Alors, il s’y est souvent aventuré, entre autres parmi les replis de la Bretagne intérieure et sur les sentiers de montagne. Mais le finistérien qu’il est ne pouvait rester indifférent aux paysages qui longent l’océan : il nous offre à la Part Commune les « Haïkus du bout de la terre ». Et il reprend le poète japonais Santoka (1882-1940) cité en exergue de l’ouvrage : « Me voilà/là où le bleu de la mer/est sans limite ». Là où s’incarne le réel et les images qui en émergent pour ouvrir à ce qui dépasse et laisse place à l’espace : Point culminant/la présence du vent/sans table d’orientation.
Ici il ne faut pas, comme on dit, être à la remorque de pensées mais simplement se laisser conduire par le « voyant » Tanguy car ce nouvel ouvrage nous fait toujours plus saisir les éclats du fugitif, ce qui contribue d’ailleurs à goûter un bonheur de vivre. Même si L’océan rugit/[son] crayon/ne tremble pas ; que ce soit par les chemins de sable ou ceux des chemins de terre le poète sait ce qui le conduit : Vacarme des vagues/je cherche dans mon cœur/le silence et puis il peut admirer un peu plus loin : Flocons d’écume -/de la neige s’envole/vers le ciel. Tout cela au gré des saisons, de leur humeur.
Il nous est ainsi dit qu’au printemps Tombés dans la rivière/les pétales de magnolia/ignorent tout de la mer et qu’à l’automne Saisies au vol/ces feuilles mortes/épinglées sur un houx réfléchissent au temps qui nous est donné…alors que Deux amoureux s’embrassent/adossés/au monument aux morts. Puis il faudra entrer dans la nuit quand surviennent Les mois noirs/les mûres ratatinées. En achevant son itinéraire au bout de la terre, Tanguy encourage à s’accorder au temps. L’épreuve du confinement en est l’épreuve qui amène à mesurer combien la vie est grave : Un essaim d’étourneaux/a surgi au-dessus de ma tête-/débandade de notes noires.
En écho, le talent de Rachel La Prairie s’exprime dans des peintures où les dégradés de bleus, verts et ocres donnent à contempler le chemin parcouru et révélé par la poésie incarnée de Pierre Tanguy. Un bel hommage à la nature et au temps qui demeure.

Jean-Pierre Boulic


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