À la façon d’un ciel inassouvi
ou d’une source balbutiante,et sous l’égide toujours
des oiseaux conciliants,je vise l’énigme
du corps chantant.
Vivant
qui s’efforce vers l’éclat.Dût-il chemin faisant
se découvrirdésert sans bord,
nuit sans rivages,silence sans fond.
La nuit auréolant chaque geste,
embuant chaque silence,
leste l’écoute et obstrue le regard.Mais l’influx qui des fleuves
aux volcans se partage et se répand,
incessamment nous renvoieà cette musique de terre
qui persiste et vrombit et fait
voler l’Obscur en éclats.
Quel amour
ne nous fut à la fois
dévastateur et revitalisant,
nous qui de toute éternité fêtons
les noces du vent avec la flamboyante
folie des giroflées ?
À travers pierres
comme à l’entour des roseaux,à la suite des ruisseaux
comme en orbite des abeilles,en voisinage d’éclair
comme aux pourtours des primevères,et même
dans le sillage de l’Obscur,le jour ne se peut décliner
que par les vocables du feu.
Océan à elle seule cette alouette
qu’enfièvre le printemps, le prolongeant
jusqu’à ton ciel natif.Ainsi sommes-nous liés
à l’insondable qui nous révèle
et nous relie.
Cette inconnue
que le jour tente d’assimiler
continûment exile dans l’invisible
la flamme dont s’alimente sa persistance.Tandis qu’au large
patiente le passeur d’ombre,vivant relais de l’Innommable.
Écrire -
ne pouvant vivre
que conjugué,par le corps et son souffle,
par le silence et son signe,à l’accroissement du respirable.
Rien ne s’écrit ici
que la fêlure d’une vie
qui brûle à travers signes
de sonder sa soif
jusqu’à la mise à nu
de sa source inaugurale.
Entretien avec Clara Regy
Peut-on dire que voyager à travers le monde, a vraiment donné du souffle à vos textes ?
Sans aucun doute. Je viens d’ailleurs de terminer un recueil, Chronique de l’éclat, qui fait explicitement référence à mes aventures mexicaines. Mais il ne s’agit pas uniquement de cela, de l’expérience factuelle. La question se joue également ailleurs, au niveau du mouvement en son acception la plus élémentaire, du déplacement perpétuel et de cela à quoi il nous enjoint. Bouger, voyager, c’est à la fois détruire et s’obliger toujours à devoir recomposer. Détruire ce que l’on se donnait pour acquis ; recomposer toujours avec la part impondérable d’inconnu. Le mouvement dans l’espace rejoint ici le mouvement du souffle poétique en son élan, lui qui a notamment pour moteur la destruction doublée de l’exploration aventureuse de l’inconnu. Tous deux sont des mouvements de vie qui l’un dans l’autre trouvent leurs ressources réciproques. L’écriture elle aussi nous oblige à franchir des frontières et à reconsidérer la vie en assumant le risque de notre ignorance.
Vous semblez parler d’un « tout » qui serait constitué de ces différents concepts : écrire, vivre, poésie, nature, arts... Quelle est alors, la place de l’écriture dans votre vie, et plus particulièrement celle de la poésie ?
On pourrait certainement parler d’un tout en ce sens que vivre, que l’acte de vivre ne se divise pas et que chaque mode de vie ne vaut que par les pratiques qu’il se donne, lesquelles forment une constellation qui prend la teinte de notre singularité. Vivre, écrire, penser... On a parfois l’impression que ce sont les obsessions qui nous choisissent et non l’inverse ; qu’elles s’imposent à nous et dictent nos manières d’agir. J’ai toujours eu le sentiment que l’écriture procédait d’un excès, d’un excédent de vie qui demeurait en quelque sorte hors de contrôle. On n’écrit jamais pour le plaisir d’écrire ; on a recours à l’écriture parce que quelque chose nous dépasse et que cet impondérable ne se peut approcher que par les mots, le long et lent et tortueux travail des mots. C’est une façon de se rendre la vie non seulement supportable mais respirable. Le poème comme soupape de respiration. Dans le désarroi ou le désœuvrement, on ose ce pari fou que la parole poétique serait comme dotée d’un pouvoir surnaturel de résolution. Nous sommes des êtres de langage et, sur cette terre qui tangue et qui chavire, nous déléguons à la parole la tâche de nous constituer un sol et de dresser des feux dans la nuit. La poésie devient ainsi notre substrat et notre flambeau.
Quels sont les auteurs « amis » (vivants ou morts) qui sont toujours là pour vous ?
Pour n’en citer que trois, je dirais René Char, Eugenio de Andrade, et Lorand Gaspar. Char, c’est la poésie totale, une sorte de Prométhée qui nous invite à nous risquer au brasier transfigurateur de la poésie. Chez le second, on retrouve une conception du désir teintée de mélancolie qui n’en finit jamais d’épuiser l’impossible. Quant au dernier, il y a chez lui un sens de l’élémentaire, à la fois enchanteur et déstabilisant, qui a pour effet de constamment confronter nos positions sur l’insaisissable terrain de l’essentiel.Et question subsidiaire et habituelle : si vous aviez 3 mots pour définir la poésie, quels seraient-il ?
Souffle vital. Exploration. Symbiose.
Harry Szpilmann (Belgique, 1980). Adolescence passée en internat aux portes des Ardennes. Licences à l’Université Libre de Bruxelles, en philosophie et en arts du spectacle. Ensuite de quoi il s’envole pour le Mexique, où il passera plusieurs années. À Querétaro, à San Luis Potosi, à Guanajuato. Officiant comme professeur de français, et s’initiant à l’écriture ainsi qu’à la photographie. De retour à Bruxelles, il travaille quelques années dans l’enseignement spécialisé. Avant de repartir à nouveau pour Mexico City, où il résidera une dizaine d’années, se consacrant à l’écriture ainsi qu’à l’enseignement de la philosophie du cinéma. Résidences d’écriture à Berlin, Istanbul, New York. Il vit aujourd’hui en plein cœur de l’Afrique, à Bujumbura où il enseigne l’espagnol.
Bibliographie
- Sable d’aphasie (éditions Le Taillis Pré, 2011) Prix Émile Polak 2012
- Ces espaces à la base (éditions Le Taillis Pré, 2014)
- Les rudérales (éditions Le Cormier, 2015)
- Liminaire l’ombre (éditions Le Taillis Pré, 2016)
- Petite suite désertique (éditions Le Coudrier, 2017)
- Du vide réticulaire (éditions Le Cormier, 2017)
- Genèses et magmas I (Lauréat de la bourse de poésie SPES 2015 ; éditions Le Cormier, 2019)
- Genèses et magmas II. À la façon de la phalène (éditions Le Cormier, 2019)
- Approches de la lumière (éditions Le Taillis Pré, 2019)
- À propos de tout et surtout de rien Aphorismes (Lauréat d’une bourse d’écriture de la FWB ; éditions La Lettre Volée, 2020)
- Écarts ou les esquives du désir (éditions Le Taillis Pré, 2022)
- Fulgor (éditions Le Cormier, 2022)