Tu pars, je vacille, Serge Ritman, Tarabuste Éditeur
Ce livre est surprenant. Le lecteur y entre par de multiples points d’entrées. À la fois hommage à l’écriture, aux talents qui ont influencé l’auteur (Ghérasim Luca, Marina Tsvetaïeva, Pasternak, Rilke, Cendrars, Quevedo, Bachelard, Ingeborg Bachmann, Mozart, etc.) à l’amour, au corps, à la vie, à la mort, aux fleurs. Hommage aux lettres, aux voyelles, aux consonnes. Hommage à la voix, aux voix, à la langue, à l’oreille. Hommage à la muse, à l’inspiration, au souffle. Ce livre est dense. 172 pages dans lesquelles, tour à tour, prose et vers se déroulent, s’enroulent, s’emmêlent, embarquent puis lâchent le lecteur dans un concert de mots, d’images magnifiques, une langue inventée. Et ça recommence, ça continue, car la continuité semble être le fil de ce livre. Tout en résonance, sans retenue, le lecteur avance dans ce livre, à petits pas, et puis recule, croit percer un mystère et revient au point de départ. Car le mystère dans ce livre, faut-il chercher à l’élucider ? Ne conviendrait-il pas de se laisser porter par la musique du texte. Le « tu » auquel s’adresse Serge Ritman serait-il tour à tour le poème, l’écriture, la muse ? Les lectures ne sont-elles pas celles qui agrandissent le poème ? Originalité. Gestes lyriques. Mouvement d’écriture. Syntaxe revisitée. Liberté de langue. Langue nouvelle. Roman poème. « Narration emportée dans la voix ». Roman en rimes. Rimes intérieures. Rimes ou musique, tel un concert. Poème qu’on aurait l’impression de relire sans cesse. Quelle aventure d’écriture cela a dû être ! Quelle expérience à vivre, à écrire ? Ce livre est un tourbillon. À découvrir. À méditer. Quelque chose de nouveau se produit là. Quelque chose qui se démarque de notre poésie contemporaine. Une poésie qui se créée. C’est nouveau. C’est unique.
« tu es mouvement je monologue tes tu tous tes poèmes mes imperfections dans tes imparfaits se couchent roulent tes syllabes en bouche et me noient tes belles de nuit avec tout ton jour lumière comme, une blessure aucune je ne veux en ta robe mon cheval emporte sur mon premier baiser tes contes me récitent ta vie ma sœur chevauche dans l’appel de nous lève un poème il serre ton je dans mon tu »
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Coutures, Doina Ioanid, l’Arbre à paroles
Est-il possible de faire de la couture avec des mots, des notes, des pensées, des souvenirs ? C’est en tous les cas ce que propose Doina Ioanid avec ce nouvel opus paru dans la collection iF. Coutures, ce sont trois années d’écriture journalière, de petits poèmes, de petits bouts de papiers assemblés puis retravaillés pour former ce livre qui entraîne le lecteur à se recoudre aux petites choses métaphysiques comme aux grandes choses de cette terre. Coutures c’est « naître de nouveau à l’approche de mes quarante-deux ans » écrit l’auteur. C’est venir au monde, avec l’écriture et les pensées que celle-ci nous permet d’approfondir. L’auteur se souvient de ses huit ans, comme « le chat ne se soucie pas de mes pensées », elle enfile des histoires l’une après l’autre, va « ramasser tous les copeaux », « regarde les gens mâcher les mots ». Elle se souvient comment enfant, elle a pris conscience du monde. L’écriture de Doina Ioanid sait nous convaincre par sa sincérité, sa profondeur comme une écriture intérieure à coudre avec le monde extérieur, à moins que ce ne soit l’inverse qui se produit. Chaque extrait est indépendant, chaque pensée est nouvelle, saisie sur le moment. Le quotidien se mêle aux souvenirs, donnés à voir comme une valise. Le tout forme un journal intérieur, comme l’auteur l’écrit dans l’entretien avec Jan H. Mysjkin en guise de postface.
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Par-dessus l’épaule de Blaise Pascal, Pierrick de Chermont, éditions de Corlevour | Revue NUNC
Comment les Pensées de Blaise Pascal, qui de prime abord paraissent difficiles et sombres à Pierrick de Chermont, l’amènent à partir de l’obscur pour aller vers la lumière ? Les reprenant une à une, Pierrick de Chermont approfondit sa réflexion personnelle, montre comment les pensées ne vont pas de l’intérieur à l’extérieur comme on le croit, mais comment elles nous viennent de dehors. Comment les pensées nous amènent vers nos propres interrogations : « je cherchais avec elles ce qu’être homme signifie ». Ce qui importe avant tout dans ce recueil, c’est le rôle que le poète accompli. Il s’interroge, nous interroge, nous amène à nous interroger, essentiellement sur l’homme, notre mal-vivre, sur le monde, ce qu’il deviendra.
« Mais la pluie n’a plus envie de pluie. Ni le soleil de soleil. Et moi, ai-je l’envie d’être celui que je suis ? »
Et pourtant tout dans ce monde contient la lumière, il nous suffit de l’accueillir afin de renaître sans cesse. Chaque ombre attend la lumière. Chaque poème est à lire avec attention afin de laisser les questions s’installer et poursuivre avec nos résonances intérieures. C’est ainsi que j’ai accueilli ces poèmes de Pierrick de Chermont. Comme une invitation au voyage, on y traverse des pays, comme on se traverse soi-même. On se nourrit avec ces poèmes. Petit à petit, les paysages forment une carte de nous, de l’extérieur vers l’intérieur… L’extérieur nous pénètre, rejoint nos pensées. Le poète observe, et nous lecteurs, nous lisons comme cette observation rejoint la méditation. Écouter la nature pour une leçon de vivre. La présence du divin, la mort, la question d’une autre vie possible. Le poète appelle à la fraternité. À réveiller l’homme pour lui montrer comment revivre. Une belle idéologie de la vie. Un livre essentiel.
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Des voix dans l’obscur, Françoise Ascal, dessins de Gérard Titus-Carmel, Æncrages & Co
Fransçoise Ascal poursuit l’exploration des liens que nous entretenons avec nos ancêtres. Les morts, qui nous ont construits depuis les temps originels, continuent de circuler dans nos sangs et à influer sur nos vies. Ils traînent avec eux le poids de leurs secrets, de leurs langues à déchiffrer. La poète ne connaît pas vraiment de repos, tant ces morts sont en nombre, tant il convient de les écouter, eux, qui sont plus nombreux que les vivants. Quel pouvoir exercent-ils sur la poète pour l’empêcher à sa solitude, pour la remplir autant de leurs vies qu’elle en fait sa quête essentielle, en est empêchée de dormir pour dialoguer avec eux dans la nuit ? C’est avec sa langue à elle, sa voix, qu’elle donne corps et chair aux voix des disparus. Les pronoms se mélangent, vont du je au vous, en passant par le tu, le nous, pour parler de tous nos morts, de notre paysage originel. Pas de frontière entre les pronoms, pas de frontière entre nos morts et nous, entre eux et toi, entre elle et moi. Nous sommes emplis des voix qui nous ont précédés. Nos ancêtres sont notre héritage et nous les portons sur nos épaules sans pour autant parvenir à nous en défaire, ni à vivre nos propres vies. Comment rejoindre les vivants ? Les becs fouaillent, les ongles s’acharnent, les soldats vont et viennent dans l’Histoire. Mais les morts ne vieillissent pas, n’en finissent pas de mourir. La poète à plusieurs rôles. Elle leur parle, les rassure, écoute leur voix secrète voix d’eau souterraine. Elle tente de panser les plaies de leurs histoires, de l’Histoire. Elle questionne : « qu’attendez-vous de nous », « est-ce que quelque chose est à moi ici dans ce cachot dévasté du XXIème siècle » ? Françoise Ascal nous inscrit dans l’Humanité, où le mot joie tend à disparaître de notre vocabulaire alors même que la vie est ronde.
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Vent de leur nom, Luce Guilbaud, Éditions Henry
Écrire sept lignes sur le père, sept sur la mère, ne jamais les mélanger, attribuer la page de gauche à l’un, celle de droite à l’autre. Une écriture « terre à terre » pour le père, une écriture plus poétique pour la mère. Paradoxe. Ce père absent, parti sur bateau, ce père voyageur que femme et enfants attendent, qui ne voient pas ses enfants grandir. La mère, sur la page de droite, porte ses désillusions et donne l’amour aux enfants. Luce Guilbaud recolle les morceaux, revient sur ces souvenirs d’enfance, rend hommage à sa mère qui pleurait souvent, trouve le père « dans la fête, celle qui emporte les enfances ». Luce Guilbaud aborde un nouveau pan de l’histoire familiale avec beaucoup de sensibilité et simplicité. L’histoire de nos parents demeure en nous, on ne peut l’oublier tout à fait. Y revenir parfois, y soigner certaines blessures, faire le choix d’être sans père.
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(sport), Marcella, illustrations Pépée, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune
Écrire le corps, le corps en mouvement, à la piscine, à la course, à la danse, au ski, à la boxe, en marchant. Se sentir dans son corps, exister grâce à lui. Vivre en sport comme vivre en poésie. « Toute chose peut devenir sportive », « Cela donne accès à une dimension nouvelle de l’existence ». Ainsi est le pari de Marcella, mettre en mots le sport. Unir sport et poésie dans un recueil de poèmes de quelques lignes chacun. Les illustrations de Pépée, hautes en couleurs, du rouge, du bleu, du jaune, comme pour renforcer cette sensation que procure le sport, la vie. Ces illustrations collent au texte qui est une poésie d’images et de sensations. Oui, le sport est poésie pour Marcella, on avale du vent en courant, on observe l’herbe piétinée, l’élancement du ciel. Courir permet d’être dans la nature, dans l’espace, c’est une esquisse de liberté. La natation offre des images : être derrière une vitre. La piscine est une maison de carrelage et de chlore. Lire ce livre, c’est se sentir en forme. Corps épanoui égale bonheur, amour et rire.
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Taille douce, François Garnier, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune
Comment pardonner à ceux qui sont morts et nous laissent avec nos souvenirs ? Mais pas seulement car François Garnier écrit : « Les morts les plus morts sont parmi les vivants, qui eux-mêmes vous enterrent parmi leurs morts trop vivants ». Constat : nous n’oublions pas nos morts, et pourtant nous oublions des personnes qui sont vivantes, des personnes dont nous nous sommes éloignés, des personnes dont le souvenir s’efface. François Garnier propose quelques réponses : nous n’oublions pas les morts car nous avons du remords quand ils disparaissent, donc l’oubli ne se fait pas. Autre constat : il y a plus de cadavres que de vivants dans notre monde. François Garnier nous rappelle que nous sommes peu de chose sur terre.« Le corps s’absorbe à la terre qui boit ». François Garnier règle leur compte aux morts et à ceux qui sont disparus, il n’y va pas par quatre chemins. Il le dit avec franchise, honnêteté et sincérité. On pense à Pensées des morts de Ludovic Degroote. Dans une deuxième partie, il s’agit de faire un compte rendu de sa vie. Etre père de famille, propriétaire, avoir une bonne situation, est-ce que cela suffit au bonheur pour autant ? Alors, il reste l’écriture, comme le moment du premier baiser, réinventé chaque fois. L’écriture : « c’est de retrouver au fond de sa mine les cristaux luisants des instants bruts ». Dans une troisième partie, l’écriture est plus courte, plus resserrée. François Garnier évoque la philosophie de comptoir, les écrans, le réseau, la technologie qui nous conduit à une incapacité à communiquer parfois. Ces écrans qui font qu’un mot se lit sur le coin d’une table comme en apnée. Ce sont de beaux textes, à lire d’une traite. L’écriture est fluide et sensible. François Garnier : une écriture que je découvre et à découvrir encore.
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Bestioleries poétiques, Georges Cathalo, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune
« C’est quoi la poésie ? Mais voyons, vous le savez aussi bien que moi ! » Voici comment débute le livre de Georges Cathalo. Le ton est donné d’entrée. On sait que le lecteur va être amené à réfléchir sur la poésie et que peut-être ce sera grinçant ! Une soixantaine de pages sur le monde de la poésie aussi plein d’humour que de caustique. Des aphorismes, des flèches qui visent bien souvent justes. D’ailleurs qu’est-ce que vraiment la poésie ? Georges Cathalo esquisse une première réponse : « La poésie est une belle maison ». Puis il poursuit avec humour, dénonce l’égo et la vanité des poètes, ceux qui ne veulent lire que de la poésie, ceux qui appartiennent à des clans, ceux qui s’enferment dans une tour d’ivoire, ceux qui cachent leurs livres de jeunesse. Il dénonce les poètes qui n’ont rien à dire, ceux qui ont la poésie facile. Il nous apporte néanmoins des constats à méditer : « Plus on clamera « poésie pour tous » et plus les gens s’en détourneront ». Quelle posture devrions-nous avoir pour intéresser le public à la poésie ? Georges Cathalo dit des poètes que ce sont des êtres isolés, qu’ils font partie de la SPA (Société des Poètes Anonymes). Ah ! Il n’y va pas avec tendresse, mais il y a tellement de vérité dans ces propos ! « La vraie poésie se moque de la poésie ». « Ce que les bons poètes ont de plus mauvais, c’est qu’ils donnent aux rimailleurs l’envie d’écrire ». Chaque poète devrait lire ce livre et se repositionner. Si la poésie n’est pas assez lue, peut-être est-ce de la faute des poètes ? C’est en tous les cas ce que nous laisse entendre Georges Cathalo.
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Table des négociations, Poème-slogan pour une artiste-guerrière ilnu de Mashteuiatsh, Serge Pey, Éditions La passe du vent
Livre multilingue et engagé ! Chaque texte porte une parole, celle de la chouette, celle du chouca, du pigeon voyageur, de la mésange, du martinet, du rouge-queue, etc. Le Hou-ou Hou-ou Hou-ou de la chouette hulotte, le srii srii srii du martinet noir, tous ces chants d’oiseaux de la vieille Europe accompagnent le poème-slogan de Serge Pey. Poème sonore écrit à l’occasion du 400ème anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Texte en résonance avec le travail de l’artiste Diane Robertson autour de l’esprit des animaux.
« Parce que je ne fête pas l’anniversaire d’une ville dans la neige rouge des mitraillettes et des chewing-gums ».
« Parce qu’un poème continue toujours la terre. »
« Parce que la lune perd ses alphabets un à un. »
« Parce que les images sont des fusils à répétitions dans nos magies. »
« Parce que les langues meurent comme les poissons du lac Pekuakami. »
« Parce que les arbres rentrent leurs ombres et se cachent à l’intérieur d’un oiseau. »
« Parce que la fonction de la poésie est celle du réveil ».
Poème politique, ethnologique, philosophique. Poème qui interroge la poésie, sa nécessité, sa fonction. Poème sonore, à réciter accompagné des chants des oiseaux. Serge Pey rend hommage aux peuples du Québec, les peuples exterminés et ceux qui demeurent maltraités, mis de côté. Ici, c’est de reconnaître ces peuples dont il s’agit, ainsi que leurs cultures, leurs nations et leurs langues. Serge Pey n’en est pas à son premier livre sur les Indiens, ce livre fait partie d’une série de plusieurs livres parus chez différents éditeurs (Le Dernier télégramme, Bruno Doucey, Le temps des cerises).
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Nous avons marché, Yannick Torlini, Al Dante
Texte engagé, texte sur l’exil. L’auteur invite le lecteur à la marche, une marche qui n’en finit pas, une longue marche, rythmée par l’écriture. Yannick Torlini répète, ne se lasse pas de répéter cette marche. Marche d’exil, marche pour suivre un but, marche pour aller au bout, marche blanche, marche pour la paix, marche révolutionnaire, marche contre la fin du monde, marche avec la fraternité. Et comment continuer de marcher, marcher pour la libération, « pour vivre ou seulement survivre ou respirer », « pour ne jamais revenir ». Marcher jusqu’à la limite du corps, marcher contre l’existence. Ce texte est une longue marche sans arrêt, sans ponctuation, sans retour à la ligne. Ce texte est un refus d’arrêter de marcher, un refus d’immobilité. Après la marche, l’histoire de l’exil de Tarik, toujours avec cette idée de marcher, d’avancer. Tarik a vingt-cinq ans, aujourd’hui, demain, hier, depuis des siècles. L’histoire de Tarik se répète et cette idée de répétition, Yannick Torlini l’ancre bien. Il aborde la solitude des exilés, ceux-ci qui n’ont « pas de frontière mais pas de pays non plus ». Ceux-ci qui ont fui leur pays en guerre, qui ont vu mourir leurs parents, leurs frères. Ceux qui ont fui cherchent leur place dans le monde :« le monde est sa demeure et pourtant il est perdu ». Le texte est accompagné de schémas représentant Tarik et sa place dans le monde, le chemin qu’il parcourt. C’est aussi un texte sur la langue, « une langue emmêlée, tressée, perdue ». Tarik n’a ni chemin ni frontière, il est perdu mais il avance toujours. Le monde semble s’être arrêté pour ses vingt-cinq ans, l’âge où l’on pense à l’avenir, l’âge où Tarik a connu l’exil, le déracinement, perdant son pays, ses parents qui lui ont confié le souvenir d’une guerre. Perdant sa langue, ses papiers, son identité. Pourtant « de la multiplicité est venue l’unité ». Même devenu poussière, Tarik continue d’avancer, comme pour ne pas oublier. Enfin, dans une troisième partie, l’ensemble prend son sens. Car, pourquoi marcher, pourquoi avancer ? Pourquoi fuir pour avancer. Yannick Torlini donne une réponse : « Fuir pour comprendre ». L’écriture est répétitive, mais la réflexion s’enrichit au fur et à mesure. Marcher pour rester debout, pour ne pas oublier. Lecture essentielle pour continuer d’avancer et ne pas laisser le monde s’écrouler, même si « nos yeux : ont refusé de voir ».
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Aux quatre orients le fleuve, Luce Guilbaud, Vagamundo
Du Cambodge et du Laos, Luce Guilbaud avait vu, lorsqu’elle était enfant, des photos dans les albums de voyage de son père. Si bien, que lorsqu’elle entreprend ce même voyage des années plus tard, tout lui semble familier. « C’est la mémoire qui voyage », comme une transmission père/fille, « tu me tiens par la main ». Recueil de petits poèmes, quatre vers pour chacun d’eux. Le lecteur est plongé dans l’ambiance, s’assoit aux mêmes tables, partage les mêmes repas, se promène dans les rues, contemple le fleuve, les jardins, les forêts de bambous. « Les images les histoires se déplacent et nous bougeons avec ». On entend également les silences et les questions. L’histoire que porte ce pays. La culture et les langues. La pauvreté. La religion. Beau récit de voyage, par petites touches, petits tableaux. Presque des haïkus.
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Gravité/Gravedad, Sandrine Cnudde, Lanskine
Cinq années de traversée des Pyrénées, en 51 courts poèmes. Des poèmes comme des étapes nécessaires à une longue marche. Textes où la question de la mémoire et du temps est importante. L’auteur se souvient de ceux qui ont franchi les Pyrénées, de l’Espagne vers la France lors de la guerre civile espagnole. « Comment s’ancrer dans un exil de pentes / rabattre la mémoire du rescapé ». Elle se souvient aussi que la montagne s’est formée il y a des millions d’années. Sandrine Cnudde l’affronte avec courage en regardant vers l’avenir. Car il est avant tout question de la matière « montagne » à conquérir, de souffle, d’effort, de corps en mouvement, et ceci par tous les temps, bravant le brouillard et les orages. Marcher dans la montagne c’est aussi observer la nature (la flore, l’eau, la faune), sans oublier les légendes qui y sont gravées. Poèmes courts, datés entre 2005 et 2012, comme un journal de marche. Au fur et à mesure, une réflexion semble s’imposer : comment la marche nourrit-elle l’écriture ? Voici une réponse : « Pas après pas / le mot gagne / son poids / de pierre. »
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Une comète, François Graveline, La Crypte
Dans ce livre, beaucoup de blanc, de silence. Des poèmes comme des comètes. Des poèmes à lire comme on regarde le ciel. Des poèmes comme des fragments dans l’espace. De la nuit et de la lumière.
Clef de soleil
sur la partition
des étoiles
François Graveline nous donne à lire des morceaux d’étoiles, des instantanés de poèmes, et chacun brille sur la page, chacun nous transperce de peu de mots. Chacun comme un « iceberg / détaché des ténèbres ». Les paroles de François Graveline fusent, la syntaxe est parfois bousculée. Elles nous permettent d’affronter le ciel, le temps, l’espace, la mémoire. La poésie est imagée, le ciel prend diverses formes, on se trouve face à l’énigme du ciel. Le poète tente de percer ce mystère. Sa poésie est suggestive et donne les moyens au lecteur d’y être sensible. Le poème prend tout son sens au fil des pages, et ne cesse de nous provoquer des sensations.
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Enrobésucrée, Jasmine Viguier & Valérie Linder, < am(i)es
Jasmine Viguier écrit, enroule les mots, les enrobe de sucre. Valérie Linder les illustre, les entoure de douceur. Le ton est celui de l’enfance pour évoquer ce qui résiste à l’adulte, la fatigue des jeunes mères. Petite maman a tant à faire, elle est avant tout une femme avant d’être mère et elle voudrait bien faire. Mais il y a le regard, les paroles des autres. Petite maman est fatiguée, alors elle s’enroule dans des pulls, mange des sucreries, si bien qu’on ne la voit plus sous son paquet d’étoffes jusqu’à ce que le papa vienne lui parler longtemps dans le creux de l’oreille. Valérie Linder saisit si bien le texte, ses dessins s’enroulent comme une pelote de laine autour du texte. Le lecteur tire ainsi sur le fil qui relie les deux artistes et se laisse conquérir par ce petit livre à offrir sans modération.
(photo empruntée au blog de Valérie Linder)
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Dans le cadre du partenariat Terre à ciel et l’émission La route inconnue, la plupart de ces notes ont fait l’objet d’un enregistrement audio que l’on retrouve en podcast, sur le site de la Radio Grand Ciel
Emission du 14 novembre 2015 :
- Coutures, Doina Ioanid, l’Arbre à paroles
- Par-dessus l’épaule de Blaise Pascal, Pierrick de Chermont, éditions de Corlevour | Revue NUNC
- Des voix dans l’obscur, Françoise Ascal, dessins de Gérard Titus-Carmel, Æncrages & Co
Emission du 12 décembre 2015 :
- Tu pars, je vacille, Serge Ritman, Tarabuste Éditeur
- (sport), Marcella, illustrations Pépée, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune
- Bestioleries poétiques, Georges Cathalo, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune
Emission du 9 janvier 2016 :
- Nous avons marché, Yannick Torlini, Al Dante
Cécile Guivarch