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Hep ! Lectures fraîches ! Juillet 2019

lundi 1er juillet 2019, par Cécile Guivarch

Pays perdu d’avance, Sylvie Fabre G., L’herbe qui tremble

Coup de cœur. Livre de deuil. De mémoire. D’exil.
Le lecteur est touché par ces poèmes, ce récit, écrits avec une grande finesse par « une vieille enfant » : Sylvie Fabre G. Tout d’abord, le temps du deuil, celui où l’on prend conscience que le « corps s’emmêle à la terre » ou encore que dans cette terre « s’étend son règne éternel de mère ». Ensuite, le temps de l’acceptation, car la mort c’est « reposer la vie ». S’ensuivent les souvenirs et les origines, « les maisons natales de ta langue ». Ainsi continue de « brûler (…) la lampe de la vie ». Alors Sylvie Fabre G. s’éloigne de la tombe, retourne à l’enfance et vers cet autre pays, cet autre exil, celui du pays que l’on a quitté. Ainsi, les racines reviennent, la mère « venue du Grand Pays, l’hirondelle » et les blessures de l’éloignement. Quitter un pays ou quitter la vie, c’est se séparer d’une terre et des siens. Pays perdu d’avance est un livre d’exil(s).

Pour faire jaillir l’exil de la mémoire, Sylvie Fabre G. s’appuie sur les souvenirs d’enfance, mère et père de nationalités et de complicité différentes. Sur la notion de la transmission très forte, entre les femmes et les générations, sans oublier qu’elle se véhicule le plus souvent par la mère. Cette transmission s’effectue non seulement par les gestes, l’histoire familiale, mais aussi le bonheur de la lecture et des livres : « dans la bibliothèque de ma mère, les livres / étaient comme des lampes que je tenais dans mes mains ».
Dans Pays perdu d’avance, si la question des couleurs est importante pour dire la vie ou le deuil, la question de la langue maternelle prédomine. Elle enracine. Sylvie Fabre G. évoque comment un enfant né de l’exil se sent lié à l’une et l’autre langue : la maternelle et la langue du pays où l’on vit. « Une langue seule ne fait pas le printemps / pour exister j’avais besoin d’images, de sonorités / imprononcées ».

Ainsi ce Pays perdu d’avance, pourrait tout aussi bien représenter le pays maternel ou bien celui de l’exil, tout comme celui de l’enfance. Le pays rêvé ne serait-il pas aussi quelque chose de plus intime et familial : la mère ?

Une langue très belle. La construction du livre, en trois parties très différentes, dans la forme et dans le fond, montre que Sylvie Fabre G. n’a pas une, mais des écritures, à la fois imagées et lyriques. Lecture agréable et jamais monotone. Le souvenir semble s’être écrit dans un élan. L’hommage est magnifique et l’écrire a peut-être répondu à une mission : « laver le linge du temps à mots nus ». Livre à garder à portée de main pour le relire régulièrement.

Qui parle pour dire la présence ?
Dans le ciel et l’ombre du ciel sur la terre
telles les saisons les mères passent,
et les mots. Pour ne pas oublier
peut-être n’avons-nous qu’une voix
du berceau au tombeau.

De la mémoire m’arrivent des fragments,
maison sous le Vercors, lampes et livres,
vieilles femmes, jeune mère, autant de
noms qui peuvent s’accorder à l’enfance
mais le père, le lilas et l’oiseau, les douleurs,
les extases, comment les retrouver ?
[…]

Après, Pierre Dhainaut, L’herbe qui tremble

D’une écriture émouvante et parfois déchirante, Pierre Dhainaut écrit autour de son expérience d’hospitalisation après une opération du cœur. L’auteur évoque tout aussi bien la chambre : « Ne pas baisser entièrement les stores / afin que tressaille un peu de lumière » que les émotions provoquées par un accident de santé. La peur toujours contrebalancée par la lumière, celle qui aide à « trouver une issue ». De petits détails sont soulignés, qui pourraient être de « petits » détails mais qui sous le pouvoir de l’écriture procurent au lecteur une forte émotion. De petits détails comme : « l’alliance même a été retirée », le nom et le prénom sur un bracelet.

Une expérience d’hospitalisation qui apporte une réflexion sur le sens même de la poésie, celle-ci qui permet de « poursuivre ». Comment traduire « ce qui se passe lorsque le corps s’effondre » ? Est-ce possible que cela puisse être « un langage » ? D’où puisse-t-on cette langue lorsque l’on revient de loin ? « La voix qui te parvient / de la distance / comme après tant d’années / à qui appartient-elle ? » Que se passe-t-il également dans la chambre ? Où « le secret de l’attente / ou du langage » se puise.

Ce livre témoigne de cette « passion de dire ». La poésie met les mots sur le ressenti Après une longue opération du cœur. Pierre Dhainaut écrit que ce ne sont pas des poèmes mais des notes, une réflexion sur la poésie elle-même. Cependant, il est aisé d’imaginer que dans les premiers temps de l’hospitalisation, la poésie n’était pas là. Ces poèmes ont été écrits des semaines plus tard. Néanmoins, ces mots ont pu « réapprendre à respirer comme des poèmes ». Il a fallu les rééduquer comme le cœur du poète. Les aquarelles de Caroline François-Rubino accompagne de manière très proche ce recueil et semblent creuser profond.

Combien de minutes, de saccades, avant
que l’on s’immobilise, on tient à le savoir,
sans montre, on comptera les portes
signalées par un voyant rouge, aucun calcul
ne restitue le sens de la durée,
ne délivre une perspective,
mais il suffit de balbutier un mot,
« porte », par exemple, pour que le souffle y puise
de quoi ébranler la mémoire, remuer l’air
au grand air des syllabes,
la résonance où se rallume un visage
à l’écoute, celui auquel on s’adresse
en le tutoyant.

Le soleil de la salamandre, Pia Tafdrup, traduit du danois par Janine Poulsen, Editions Unes

Le soleil de la salamandre regroupe soixante poèmes qui retracent les années de vie de l’auteure de 1952 jusqu’à 2011. Un poème : une année. Un recueil : le passage du temps. De la naissance à l’âge mûr, en passant par l’enfance et l’adolescence. Ce qui m’a particulièrement plu dans cette poésie, c’est la façon dont se posent les vers. Beaucoup de profondeur et de force. Dès le premier poème, qui évoque la naissance mêlée de cette notion de joie et de mort :
« La vie et la mort qui arrive / mais d’abord c’est la joie ».
Joie de s’éveiller avec la lumière, de découvrir les fleurs, les insectes et tout ce qui accompagne le « monde, le rêve ». Les sensations des premières années :
Des heures dans le landau. Seule. Voir la cuillère arriver. La saisir. La repousser. Cuillère encore. S’élancer. Atteindre. Dents. Langue.
Sans oublier les traumas de l’enfance, celui d’un frère mort-né :
« mon frère / n’a pas respiré / quand il est né » ou des souvenirs plus furtifs qui composent une vie et son apprentissage. La vie avec de belles choses et d’autres demeurées incomprises. La perte d’un chat ou d’une dent.

Je suis née dans un tourbillonnement
J’avale le monde en un instant
ou il m’avale
Je suis là
et ne suis pas là

Pia Tafdrup évoque, entre autres, son goût de la lecture, elle se destinait à être bibliothécaire mais pas écrivain. Mais aussi le premier baiser, mai 68, les années baba cool sur fond musical et de haschich, le mariage, la maternité, la chute du mur de Berlin. Ainsi s’écoule le temps, le sablier.

Ce qui emporte le livre, ce n’est pas forcément l’évocation de cette mémoire, mais plutôt l’importance des mots. Leur apprentissage, tout comme ces moments où rester sans mots nous incombent. Quel poids pour les mots, quelle importance leur accorder ? Les livres, les mots lus par le père le soir, le nom de chaque chose, des gens, des animaux. Peut-être tout simplement que le poème commence derrière les mots. Et c’est ici la vraie clé du recueil.

Un grand livre qui parlera à chacun de nous :
Il n’y a / qu’une vie / et d’innombrables essais / de s’habituer / à la mort / qui n’est guère loin / de la naissance.

 
MARRAINE

Pour la partie inférieure de mon corps
il n’existe pas de nom
et elle n’est pas connue
comme le visage, les bras ou les jambes.
La partie inférieure de mon corps relève
  de la fable - ou d’un temps mythique,
c’est un labyrinthe vertigineux et joyeux,
seulement visible
      dans le miroir expérimental
que ma marraine
un jour m’a offert.
C’est chez elle
que je dois habiter si un avion
                            tombe
avec ma mère et mon père
ou si la ferme brûle pendant que je suis à l’école.
Depuis je
   crois
aux marraines, aux énigmes des images de miroir et aux erreurs nues.

Les jours viendront, Eric Sautou, Fai fioc

Les lecteurs d’Eric Sautou connaissent ses derniers livres autour du deuil de la mère. Ils savent l’écriture sensible de l’’auteur, les mots à peine dits. Le silence. Les parenthèses. Les listes (ici de fleurs, de lieux, de noms,…) C’est ce que nous retrouvons avec ce nouveau recueil Les jours viendront. « Parce que / de mourir tu peux fleurir », cela permet aux jours qui suivent le deuil de s’écouler teintés de souvenirs. Jours de fleurs et de pierres. La poésie concise d’Eric Sautou touche droit au cœur, une sensibilité qui heurte le lecteur avec force et délicatesse.

Poèmes numérotés jusqu’à 164, année 2014 suivis de quelques poèmes pour 2015. Est-ce que cette numérotation est chronologique ? Une chose est sûre, le temps défile en ces jours où « la poésie vous hante », ainsi poème 23 : « octobre / (novembre, décembre) ». L’écriture concise, poèmes de quelques lignes n’empêche pas que « La poésie s’amoncelle ». Ce qui touche particulièrement dans Les jours viendront, c’est l’importance des fleurs. Elles représentent la mère. La mort de la mère.
« une fleur / inséparable (une photographie) »
« Les fleurs que je t’écris personne ne les voit »

La douleur et le silence encadrent le texte : « je voudrais / dire ces choses (douleur) ».
La mort de la mère écrit est recommencée depuis quelques livres. Elle hante : « la mort / sans cesse est à toi / et tu la recommences (la recommences) / oui tu la recommences ».

Elle entend les visages, s’éveille et se rendort.
S’éveille.
Et se rendort.
Elle est seule, minuscule, ne ressent pas l’étreinte.
S’éveille (et se rendort).
Elle n’entend plus le jour du matin qui l’éveille -et se rendort.
Elle est la nuit de son passé.
Elle se rendort.
Elle appelle et se soulève ’mais c’est difficile on ne lui répond pas) -elle se rendort.
Sa vie se mélange (n’est que la vie qui reste) -elle se rendort.

La demeure et le lieu, Julien Bosc, Faï fioc

Le lieu. Ciel bleu et description du jardin en fleurs. Un phare. L’extérieur. L’apparence d’une vie simple. Cela semble beau, écrit comme cela.
La demeure. L’intérieur de soi. Ce qui « tente d’éviter le feu du naufrage ». Demeure qui pourrait accueillir le lieu où l’on devrait se sentir bien. Mais le soi, les fatigues et désillusions sont plus complexes. Ce que l’on voudrait croire oscille pour passer de la morosité à la légèreté.

L’écriture de Julien Bosc est moderne tout en gardant une trace de l’héritage de nos aînés. L’ensemble s’agence sur la page. On sent un rythme, mais on ne compte pas les pieds car les vers sont libres et se disposent comme ils le doivent. A leur place. La nécessité d’« écrire avant se taire » m’a touchée à chacun des livres de Julien Bosc. Dans La demeure et le lieu, cette nécessité est des plus frappante. D’une écriture calme et posée, et avec une grande maturité, Julien Bosc a confié ici aux éditions Faï fioc, certainement l’un de ses plus beaux recueils. Recueil d’autant plus perturbant pour le lecteur qui connaît la fin tragique de Julien Bosc qui était un grand poète.

Julien Bosc écrit à partir de ce qui l’entoure et tout cela confronté à son espace intérieur crée des images puissantes. Percutantes.
« Si les vents tombent / le ciel s’éclaircit »

Il décrit de si jolies choses, la nature, une vie en apparence paisible, mais toujours en arrière fond du poème l’idée de « jours artificiels » et « la pensée de se pendre ». Et ces pensées se trouvent contrebalancées par le dehors où le monde est beau. Cela aide à tenir. Un moment. Comme ces fleurs, ces pâquerettes qui jouent « chaque jour à la vie à la mort ». Comme le framboisier qui est raide « comme la mort » l’hiver mais revit au printemps. L’idée de « se retirer de soi » va et vient dans le texte. Un phare. Lieu où habitait Julien Bosc. Une lumière dans la nuit. La mort qui le regarde. Julien Bosc écrivait pourtant sur de petites choses anodines, de petits riens qui auraient pu faire croire au bonheur. Mais à chaque page, la lutte contre ce qui envahit, la mélancolie, une douleur contenue. Le dehors et le dedans. La demeure et le lieu. Sans cesse en confrontation. Très émue par ce livre. Je vais lui accorder une place toute particulière dans ma bibliothèque. A la mémoire de Julien.

tous les matins
au sortir du sommeil
la pensée de se pendre   ou d’en finir de toute autre façon

puis ouvrir les yeux
voir le ciel par la fenêtre
(il est bleu aujourd’hui)
la ligne vert foncé des douglas sur le haut du vallon
celui moins soutenu des feuillus
plus bas le vert pâle des prairies récemment fauchées
le roux de quelques vaches au pré
écouter les soliloques ou conversations des merles
moineaux
geais
sitelles ou hirondelles

puis se lever
et vite sortir   (de la maison comme de soi)
pour aller voir dehors de quoi tout cela retourne

des disparitions avec vent et lampe, Fanny Garin, éditions isabelle sauvage

Après l’avoir publiée dans les anges de Terre à ciel, c’est un plaisir de redécouvrir Fanny Garin avec ces textes concis et percutants, qui suggèrent bien plus qu’ils ne dévoilent. S’ils le font, c’est par à-coups et petites touches. Ainsi, dans des disparitions avec vent et lampe, il est question de circonstances, d’une chambre vide et on devine des drames. Car si « le corps / parle seul des images retenues », cela se combine à une certaine complexité dans laquelle le lecteur se retrouve entraîné. La valse des pronoms entremêle le moi, le toi et le il. Et le lecteur se retrouve du même coup pris à partie « comprenez-vous ».
Ainsi une chambre vide mais laquelle ? Une chambre à effacer ? A disparaître ? Et le vent et la lampe présents dès le titre du livre, que signifient-ils ?
Le vent efface, balaie. Entraîne les disparitions. La lampe renvoie à la lumière, mais il s’agit d’une « lumière artificielle » et donc laisse demeurer l’idée d’une possible disparition.
Cette chambre est-elle celle de l’écriture, du silence, de la souffrance ou est-ce une « chambre de morte » ? Ou une « chambre un peu vide secouée d’un peu de vent ».
Est-ce une chambre où se joue le drame ou la folie ? Une chambre où la lampe joue un rôle entêtant, et entre en opposition avec le vent qui demeure au dehors. Le vent s’enroule à la langue, l’entraîne d’un bord à l’autre de la chambre (d’écriture ?), la fait évoluer et donne aux mots différents sens possibles.
J’ai lu ce livre lentement. Puis relu pour en saisir la mouvance de la voix de Fanny Garin. Voix où j’ai rencontré intrigue et inventivité. A suivre assurément.

ou plutôt

une chose naîtrait peut-être ou s’éteint

et,
pourquoi avais-je, dit cela
devais parler d’écriture oui, tentant de, éteinte, oui, ou de

lampe,
et aussi

une même lunaison, Sofia Queiros, éditions isabelle sauvage

Poèmes numérotés. Sofia Queiros nous fait entrer dans le monde, le quotidien de ses voisins, des petites histoires, des petits riens, ou bien les conditions de vie plus difficiles. Les humeurs des uns, des autres, entre deux nouvelles lunes. Le temps passe et file, « la vie qu’il reste », voici le fil rouge de ce livre. Le temps laisse des écorchures ou bien donne « tout ce qui veut bien se donner ». Les cheveux grisonnent ou blanchissent.
« Il monterait bien à l’échelle mais son corps ne suis plus comme avant ».
Nappe à carreaux et formica pour un arrêt sur image, sur une vie à éplucher, ramasser des graines, pêcher. Les écoliers, leur buvard. Et si cela évoquait un autre temps ?
Beaucoup de tendresse, des mains rugueuses. Toutes ces personnes, il ou elle. L’héritage qu’elles ont eu, ce qu’elles nous ont laissé ou laisseront. Joie de lire Sofia Queiros, car chacun de ses livres à mes yeux est précieux. L’écriture tout ayant sa signature, se renouvelle à chaque recueil. Ici, en apparence, moins d’effet de langue, les mots sont posés simplement. L’écriture mesurée, maîtrisée laisse entrevoir un monde que nous avons ou pourrions avoir connu. J’aime.

Jour

Les voisins enfourchent tous matins leurs vélos à sacoches très tôt

Il a travaillé des années entre chien et loup dans un vieux hangar à courants d’air.
Elle a écaillé des huîtres.

Ils sont l’un et l’autre très vieux.
Et parlent de vieilles choses, d’événements distants.
Comme ce jour ou l’enfant a glissé sur la berge du lac.

Il y avait la pêche à la ligne, les ragondins et les hérons cendrés.

Tout flottait.

Contre la nuit, Stéphane Bataillon, Editions Bruno Doucey

D’une écriture inventive et dynamique, Stéphane Bataillon nous invite à nous rendre dans un pays mais « pour l’atteindre / il y a un gouffre à franchir ». Il passe du vers à la prose, réinvente son écriture à chaque poème. Parfois lecture verticale. Parfois silences ou typographie sans modération. Mais si la forme est changeante, cela évoque la vitesse à laquelle va notre monde. Ainsi, « Nous Tchik Tchik Tchik / nous Tchak Tchak Tchak », les grandes villes que l’on quitte à la hâte. Déménager de Paris à Montreuil. L’importance des lieux et ce qu’ils renferment. La possibilité de vivre ici en même temps que la contrainte de s’accommoder à un lieu. La terreur dans le monde et comme nous parvenons à continuer d’y vivre : « voir nos amis, nous embrasser, parler à notre fils, l’embrasser. Respirer. Mais sentir que ça grouille. » Lorsque cela grouille de trop, les mots deviennent plus silencieux. Passent de la prose au vers. « Les mots n’ont plus lieu d’être », surtout lorsque « je ne sais pas comment on fait la guerre » et que l’enfant en soi est encore si présent.
« Tu me demandes dans combien de jours nous allons mourir. Et si change de couleur, et si ça pourrit, quelqu’un qui meurt ».

La vitesse de la numérisation, cette révolution qui influe sur nos façons d’être :
« Tu post. Tu tweet. Tu poke. Tu follow. Tu like. »
L’importance de l’image avec les réseaux sociaux qui conduit à une baisse de l’estime de soi. Comme tout cela va vite. Ainsi suspendre la fuite : aller vers un monde hors connexion, avec ce gouffre à franchir. Nous portons dans le même temps les blessures de nos aïeux, mais peut-être que l’enjeu est de devenir « PLUS GRAND QUE TOUS CEUX QUI ETAIENT AVANT MOI ».

Ils ont posé une bombe. Elle a explosé. Pas écrire. Voir nos amis, nous embrasser, parler à notre fils, l’embrasser. Respirer. Mais sentir que ça grouille. Que ça se réveille. Ne pas se détourner. Eviter que nos monstres ne remontent. Par la tuyauterie des salles de bains, par l’embouchure des fleuves, par le fond des sept mers. Eviter l’inondation.

Ruines, Christine Girard, Faï fioc

Ruines… Un texte qui m’a beaucoup parlé. La prose débute par l’image d’une maison « ardoises brisées cassées fracturées ». Elle se poursuit avec des débris de mémoire, le grincement sifflant lancinant de la balançoire, cueillir ce qui reste ce qui renaît prend vie. Unique ponctuation : les virgules et les silences entre les fragments. Avec la description des ruines où s’immiscent l’émiettement du temps et une mémoire trébuchante. Difficile exercice de la mémoire à la recherche des traces, des empreintes au risque de s’écailler, s’émietter, d’oublier. Quand la mémoire ramène à ce qui est impossible à dire, il s’agit d’avancer dans le chaos. D’une écriture tenue, sobre et puissante, Christine Girard nous emporte tout en images, en suggestivité.
« les images abondent, la ruine construit de nouveaux espaces renouvelle la mémoire »

Le texte se déroule dans un flot fluide et permet de reconnaître une grande voix, singulière. Une voix qui creuse, ouvre et recompose. Une poésie qui passe par l’image pour mettre des mots sur le silence et l’enfoui afin de tendre vers l’immobile cri. J’ai lu Ruines d’une traite. Une fois ma lecture terminée, je l’ai relu aussitôt.

le regard se resserre autour du motif,
ici commence et finit la ruine, à
cette porte, un dernier geste le temps
d’un pas courir jusqu’à perdre le
sol, n’entendre rien rien que le vent
et le froissement des feuilles sous
les pieds, le crissement des câbles
au loin, tempétueusement minéral
plus rien rien ni personne rien que
cailloux, ruine ruinée bourrasques
folles, ça bruit

Mai sur la peau, Jean-Baptiste Pedini, Cordes tissées 30 - Inclinaison

En un peu moins de trente pages, rendre compte de la naissance de ses fils jumeaux. Poèmes très touchants de Jean-Baptiste Pedini. Le futur père écrit l’émotion qui le submerge. De ce temps d’attente à ne pas trop savoir quoi faire, ne sais pas quoi dire / pour occuper l’espace, de la douleur du travail à partager à défaut de la soulager, de cette appréhension de la naissance et de la paternité à venir, naissent des textes et des vers courts, des condensés d’émotions. Dès le premier texte, j’ai été frappée par une émotion qui prend beaucoup de place dans ce livre : la peur. Cette peur nuancée d’impatience car les bras vides / pèsent terriblement lourd. Mais peur toujours. Tout au long du recueil. Tout au long de cette journée de mai. Avec l’attente devant le bloc « ça tourne un peu », « quelques minutes trop longues » puis « Peur de ne pas être à la hauteur ». Finalement, cet amour donné aux enfant dès leur naissance, « l’un contre l’autre / blottis et serrés et aimés », cet amour immense d’être parents, cette capacité que nous avons d’être père mère, finalement la peur tout au fond // on en fait quoi" ?

C’est le printemps
jusque dans les bourrasques

mais c’est dedans
que ça souffle plus fort
que ça pulse violent

c’est dedans à présent
que l’enfant et le père
se disputent le ciel

Cécile Guivarch


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