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Itinéraires non-balisés N°10, Georges Cathalo

mardi 4 octobre 2022, par Cécile Guivarch

José CORREA et Jacques IBANES : Jean Giono à ciel ouvert (Instinct nomade éd., 2022), 90 pages, 10,90 euros – 619, rue Henri de Navarre – 24130 Le Fleix ou bdeson@yahoo.fr

Cet ensemble de poèmes de Jacques Ibanès est accompagné par 25 dessins originaux de José Correa. Ces deux créateurs ont mis leur talent en commun au service de Jean Giono pour un hommage simple et sans fioritures. La figure emblématique du Manosquin en ressort enrichie. « Nul besoin d’aller quérir des chimères / dans les amériques ou des mirages en orient », puisque les environs d’une simple ville provençale fournissent au poète et au marcheur les ingrédients indispensables à l’accomplissement d’une existence épanouie. « Si l’on sait se contenter du nécessaire, ici c’est le pays de cocagne » : tout y est, des sources au delta et du rêve à la réalité. Ce bonheur simple et fragile est à la portée de qui sait décrypter « la syntaxe des collines et le vocabulaire des simples ». C’est pour cela que « l’on ouvre le livre du paysage » et que l’on se met « à marcher seul pendant des journées entières » en se fondant dans les paysages. Et si Jean Giono « lui-même demeure une énigme », sa figure emblématique en ressort enrichie de plus de mystère car « il est aussi insaisissable que le feu ».

Werner LAMBERSY : De la fenêtre (À l’Index éd., 2022), 44 pages, 12 euros – 11, rue du Stade – 76133 Épouville ou revue.alindex@free.fr

Le texte liminaire d’Otto Ganz est une bonne introduction pour pénétrer dans l’univers de Werner Lambersy. On y retrouve « la conscience et l’utile lucidité de la finitude » ainsi que cet « apaisement d’un poète qui range ses affaires ». Oui, Werner avait préparé son « départ ». Décédé en octobre 2021, il laisse une œuvre considérable avec des angles d’attaque variés pour donner à lire une poésie à la fois rassurante et dérangeante. Sa compagne a confié à Jean-Claude Tardif ce long poème inédit découpé en une vingtaine de séquences. Il s’inscrit dans un mouvement lyrique où l’amour et l’amitié se conjuguent au présent composé. La chaleureuse poésie de Lambersy s’y déploie avec ses réserves vitales de mots et d’images. Pas d’inquiétudes ou d’interrogations du genre « Elle est où / La poche à poèmes / Que tu n’imaginais / Que vide ». Quant à ce qu’il adviendra par la suite, le poète ne se fait pas d’illusion. Il résume ainsi la situation : « Que ma dépouille / Ne soit suivie que par / Des papillons l’été » pour terminer dans cet espace incertain « où se sépare le moi du moi / Comme le nuage / Du nuage ».

Cathy KO : Un jour je serai (Donner à Voir éd., 2021), 48 pages, 9 euros – 91, rue de Tripoli – 72000 Le Mans ou editionsdonneravoir@gmail.com

En travaillant en milieu scolaire, Cathy Ko a su conserver la fraîcheur d’une âme d’enfant. Faussement naïve, elle rassemble ici des écrits élaborés à partir de surprenantes découvertes que les élèves ne manquent pas de proposer. Mis en forme vocale, ces poèmes se déclinent en une dizaine de vers percutants traversés par une imagination débridée. Avec cette 5° plaquette de poèmes, Cathy Ko s’affirme dans le registre ingrat de « la poésie par corps », grâce à une mise en scène où le geste et la voix se complètent. Chaque poème se constitue à partir de l’ amorce « un jour je serai » suivie de métiers déclinés du plus ordinaire (infirmière) au plus extravagant (pollinisatrice) en passant par les classiques (sorcière ou princesse) aux plus inattendus (effaceuse ou aspiratrice). Les images colorées d’Yves Barré ajoutent un charme discret à ce joli petit livre carré. Quant à la 4° de couverture d’Alain Boudet, elle résonne étrangement depuis la disparition de ce grand et discret poète-militant, ardent défenseur d’une poésie en phase avec notre époque. « Le monde vivra enfin / dans la paix des enfants ». C’est cet « enfin » qui est important pour boucler ce recueil que l’on doit découvrir d’urgence afin de dépasser les avatars de cet improbable début de siècle.

Lydia PADELLEC : La guitare dans l’arbre suivi de Il neige sur la mer (Au Salvart éd., 2022), 74 pages, 12 euros – 1, rue de la Ferme – 78125 Vieille-Eglise-en-Yvelines ou contact@editionsausalvart.fr

Pour inaugurer son enseigne éditoriale, Hervé Martin a choisi de publier Lydia Padellec avec une manière de journal intime attestant la rupture et l’absence. Après avoir été « au bras d’un ange / aux ailes coupées », elle se retrouve dépouillée quand « naufragée des étoiles / notre âme s’évanouit / dans leur chute ». Avec Lydia Padellec, le milieu marin n’est jamais bien loin pour évoquer la nage et le naufrage : « Atrophiée du cœur / je nage en eaux troubles ». À partir d’un simple constat, « Nous ne parlons plus / la même langue » et « nous avons vieilli », Lydia semble résignée puisque « lui, l’absent sans paroles », le compagnon tant espéré, cet « Ulysse ne reviendra plus ». Une petite musique nostalgique résonne encore dans la mémoire comme « La guitare dans l’arbre, désaccordée / s’ensilence et s’éloigne à tout jamais ». La consolation viendra comme souvent de la fidélité et de la permanence maritime : « La mer console, la mer entoure / ne pleure pas, ne pleure plus ». Les poèmes de la 2° partie du livre sont plus courts, moins intimes mais plus énigmatiques avec de troublantes interrogations devant la mer, la neige et le silence : « Une petite fille / qui me ressemble / traverse en courant / ma mémoire fragmentée ». Il lui faudra alors attiser les braises de la ferveur pour « partir en quête de poésie ».

Jean-Claude TOUZEIL : Mémoire vive (L’Aventure Carto éd., 2022), n.p. (64 pages), 14 euros – 13 rue du Château de la Garenne – 56410 Etel.

Le photographe breton Yvon Kervinio aime composer de beaux livres avec des amis poètes comme il l’a déjà fait avec Jean Azarel ou Michel Baglin. En cet été 2022, vient de paraître un élégant petit livre au format à l’italienne où les poèmes se lisent en écho aux photos couleur de la pleine page de gauche. Le recueil débute par une naissance avec la césarienne d’un rocher gris, « gros bébé joufflu / venu des profondeurs » d’une fertile terre forestière. Par la suite, poèmes et photos s’enchaînent au fil des pages dans un rafraîchissant élan autour de l’eau vitale. Plantes et mousses, arbres et lichens peuplent un riche univers forestier. Cet hymne à la vie sauvage tellement menacée s’accompagne de clins d’œil : rocher de Sisyphe, fée Viviane, belle Ophélie ou chutes du Niagara. Ce livre est aussi un hymne aux couleurs et à la sagesse tant qu’il « coulera / de l’eau sous les ponts / avant que la colombe ne revienne » avec la crainte majeure « qu’on la retrouve / le bec dans l’eau ». Quant au titre du livre, il est peut-être une réponse poétique à la « mémoire morte » ce succédané numérique à notre mémoire cérébrale.

Georges Cathalo


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