Florence SAINT-ROCH : Persévérance des brumes (Ficelle éd., 2022), 32 pages, 13 euros, tirage limité à 200 exemplaires, Les Forettes 61380 Soligny-la-Trappe ou rougier.atelier@wanadoo.fr
L’écrivain Thierry Maugenest soutient que « la résistance contre le livre numérique doit être armée… d’un coupe-papier »… En effet, ils ne sont plus guère nombreux ces éditeurs résistants tels que Vincent Rougier à mettre un point d’honneur à proposer des livres artisanaux d’une qualité irréprochable. Un coupe-papier est donc ici nécessaire pour découper les cahiers qui composent cet écrin de lecture avec des textes à haute teneur poétique que nous offre Florence Saint-Roch. Elle donne en partage des sensations éprouvées lors d’une randonnée en montagne, randonnée contrariée par un épais brouillard. Cette brume qui persévère fait disparaître les repères visuels au point que « la montagne se volatilise » et semble ne plus exister. Ici, « même la trace du chemin a disparu ». Cette marche en montagne est aussi une démarche où « le visible et l’invisible se rassemblent ». Le mystère se poursuit dans l’attente et le silence puisque « dans le flou vaporeux / La montagne prépare des réponses ». Florence Saint-Roch adapte sa poésie aux circonstances concrètes et sait « ne pas forcer le trait » avec ses poèmes qui invitent au partage. Et même si cette belle suite se déploie dans des brumes vaporeuses, les poèmes en revanche sont superbes et lumineux.
Colette GIBELIN : On ne s’habitue pas (Les Lieux-Dits éd., 2022), 40 pages, 7 euros – Illustration de couverture d’Anne Slacik – 2 rue du Rhin Napoléon – 67000 Strasbourg ou leslieuxdits.editions@gmail.com
Quel titre ! Et quelle résonance douloureuse qu’il engendre au fil des pages d’une troublante lecture. Non, on ne s’habitue pas à la mort de son enfant, quel que soit son âge. Un lourd sentiment d’inutilité envahit les heures du présent devant la chambre définitivement vide. La mère est soumise à la double peine : « Je ne peux plus fermer les yeux / et le jour est insoutenable » alors qu’à la page suivante, on peut lire : « Je ne peux plus ouvrir les yeux ». Les souvenirs affluent de toutes parts : « Tu crains l’âpreté des oiseaux de passage / Nous ne le savions pas ». Chaque geste revient en mémoire, chaque parole aveuglante revient à la surface : « Je ne peux plus regarder en face la réalité / féroce et nue ». Sur le registre ingrat du vocatif et de l’affectif, Colette Gibelin avance malgré tout dans une lourde démarche de résilience : « Je te chante, je te vis, je te cherche ». S’adressant une dernière fois à sa fille disparue, elle la voit « errante encore et pour l’éternité » en concluant ceci : « tu n’as pas retrouvé les chemins de la vie ». Certes, mais on peut affirmer également que Colette Gibelin a pu trouver la force et le courage de s’exprimer et qu’elle a su transmettre un message d’espoir à toutes celles et à tous ceux qui se trouvent confrontés à cette terrible situation.
Stéphane AMIOT : Saisons de lagunage (Unicité éd., 2022), 66 pages, 13 euros, 3 sente des Vignes – 91530 Saint-Chéron ou contact@editions-unicite.fr
Les trois parties qui constituent ce recueil sont placées sous l’égide d’Edouard J. Maunick, le grand poète franco-mauricien. D’emblée, le lecteur se trouve plongé dans l’univers maritime qui agit comme un liquide amniotique. Pour Stéphane Amiot, les horizons lointains qui s’éloignent ou se rapprochent ne sont ni des obstacles ni des épreuves à subir mais des émerveillements permanents, allant de surprise en surprise. Après de longs séjours en Afrique ou sur l’île de la Réunion, le poète effectue un retour aux sources charentaises puis toulousaines. Grand randonneur, Stéphane Amiot déclare : « nous sommes de mer / pourtant infidèles à l’océan ». C’est ainsi qu’il n’hésite pas à se lancer sur les pistes des montagnes pour une quête inassouvie d’espace et de liberté. Il se fixe des objectifs tels celui-ci : « ne sois pas dupe des mots / mêle-toi à la poussière des chemins » car il sait d’évidence « que nous sommes tous / des oiseaux sacrifiés / au pèlerinage des flots ». La liste des dizaines de personnes que le poète tient à remercier en fin de livre atteste de l’empathie et de la générosité de ce jeune poète prometteur.
Roland NADAUS : L’Amour ça brûle, mais ça illumine (L’Aventure Carto éd., 2022), non paginé (120 pages au grand format carré), 14 euros – 13 rue du château de la Garenne – 56310 Etel ou roland.nadaus@wanadoo.fr
L’immense ferveur humaniste et la foi dévorante qui animent l’existence de Roland Nadaus trouvent ici un écho magique en résonance avec les photographies en noir et blanc d’Yvon Kervinio. Pour celles et ceux qui suivent le parcours sans faute de ce marathonien de la poésie, on a plaisir de retrouver son caractère bien trempé, un brin provocateur. Toutes ces photographies semblent provenir d’une lointaine époque alors qu’elles ne remontent qu’à quelques décennies. Mais depuis lors, tout s’est accéléré trop vite. Pourtant les dates et les lieux sont parfaitement identifiés et les personnes également dans ces regroupements religieux où, écrit le poète, « La prière des Simples / m’étreint toujours / au plus profond de ma foi fragile ». En effet, la crainte est grande et contagieuse de glisser vers le doute. C’est pourquoi Nadaus s’impose une ferme détermination : « Garde quand même l’Espérance / Ne la quitte pas des yeux ». Ces poèmes sont des incantations à la fois charnelles et mystiques, puisqu’il « suffit de deux mots : / Amour / Paix ». Tout est là avec ce bref message universel.
Max ALHAU : Au loin le vent (L’Ail des ours éd., 2022), 48 pages, 6 euros – 24 rue Marcel Gavelle – 02200 Mercin-et-Vaux ou aildesours02@orange.fr
Depuis longtemps déjà, Max Alhau maintient le cap d’une poésie lyrique non-larmoyante qui se démarque des écrits habituels de ce registre par la délicate approche des sujets abordés. On est ici, si l’on peut dire, au cœur du réacteur avec un développement d’images fugaces et de souvenirs flous autour de la mémoire, de l’enfance et du temps qui passe. Max Alhau se fixe des repères afin de poursuivre son parcours à travers « des lieux entrevus / dont les mots auront été les passeurs ». Ces mots cèdent ou résistent alors « qu’on s’est dressé contre le vent / contre les mots épars sur la page », mots transcrits par « celui qui s’invente un pays » et qui « en oublie les frontières ». Quand il s’adresse à lui-même, le poète jongle subtilement avec les pronoms personnels : je, tu, on et nous. C’est ce dernier qui l’emporte comme pour donner sens vers une direction commune. : « et nous qui balbutions / pour croire encore à une issue » ou bien « Et nous, debout, / dans l’attente de quoi ? ». Les œuvres de l’artiste Hélène Baumel qui accompagnent ces poèmes se mettent au diapason de l’un des thèmes majeurs du livre : l’ombre et la lumière. On recommandera chaudement ce bel ouvrage ainsi que les autres titres de la collection Grand Ours.
Jacques IBANÈS : Dans les pas d’Hiroshige (L’An Demain éd., 2022), 160 pages, 12 euros – 52 quai de Bosc – 34200 Sète ou contact@landemain.com
Mais qui était donc ce Hiroshige dont il est ici question jusque dans le titre ? Pour le savoir précisément, on lira la longue présentation de Takuya Fukuda, poète et professeur japonais. Au Japon, cet artiste-peintre est considéré comme une légende capable de nous entraîner dans un périple imaginaire constitué de relais et d’étapes, de marches et de stations. C’est ce voyage que réalise jacques Ibanès à travers les 53 stations du chemin de la mer et les 69 stations du chemin de la montagne. « Depuis longtemps, je suis arrimé au Japon » écrit le poète ; c’est ce qui ressort d’évidence avec cette déambulation poétique qui nous fait découvrir rizières et collines jusqu’au Fuji, ce mont-cratère que chacun salue avec respect. « J’ai besoin de peu de chose / avant de n’être plus rien » : cet aveu résonne comme une leçon de sagesse qui aurait intégré les avatars d’une existence complexe. « Hâtons-nous de démêler / dans l’écheveau des jours / le fructueux de l’inutile » quand « il faudrait avoir la sagesse de l’arbre. ». Avec ses estampes uniques, « Hiroshige, lui, a dressé un pont / entre les siècles », ce qui le rend familier puisque « ce matin le voyageur pensait / à maître Hiroshige. // Prodige !/ à midi il l’a croisé sur le chemin. », tout comme Jacques Ibanès l’a rencontré quelque part du côté de Castans dans l’Aude ou au sommet du mont Quiersboutou dans la Montagne Noire.
Pierre DHAINAUT : À portée d’un oui (Les Lieux-Dits éd., 2022), 44 pages, 7 euros – 2 rue du Rhin Napoléon – 67000 Strasbourg ou leslieuxdits.editions@gmail.com
Il y a déjà de longues années que Pierre Dhainaut est à la recherche d’un Graal poétique qu’il sait d’avance inaccessible. Qu’importe ! Il n’en poursuit pas moins sa quête paisible sous les auspices de ceux qui l’on pratiquée tels ses amis Jean Malrieu ou Gaston Puel. Ces poètes l’ont conforté dans son humble démarche, fruit d’une exigence lyrique qui demande constance et rigueur. Les cinq dizains non-rimés qui ouvrent ce livre ont une amorce révélatrice : « Demain, c’est maintenant ». S’en suit un constat, une sensation, une impression pour rappeler sans cesse l’urgence de dire. Afin de poursuivre sa route, le poète s’interpelle : « réjouis-toi d’être inapte à répondre » car il redoute la suite : « tu as peur de la fin du livre ». Le tercet qui clôt ce recueil résonne comme un espoir fragile : « Donner, donner sans crainte,/ le don n’a pas de fin, / l’œuvre ou la vie changée en source. » Il aurait fallu peut-être s’en tenir à ce simple constat : « Ne rien ajouter aux poèmes, / ils le souhaitent, il y a plus, / tellement plus qu’un arbre en l’arbre. ». Oui, à portée d’un oui, on aurait pu s’en tenir à cela.
Georges CATHALO