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Itinéraires non-balisés N°12, par Georges Cathalo

mercredi 5 juillet 2023, par Cécile Guivarch

Max ALHAU : Entretenir le feu, (L’Herbe qui tremble éd., 2023), 108 pages, 17 euros – 6, Place Normandy – 64140 Billère ou edition@lherbequitremble.fr

En trois volets complémentaires de poèmes lyriques, Max Alhau présente le fidèle reflet de son parcours existentiel et poétique. Il est « quelqu’un qui rêve quelque part », toujours « en marge du silence » afin de « moissonner les instants » d’un présent qui s’échappe. Ces trois sous-titres cachent un « je » qui n’apparaît jamais au profit de deux autres pronoms, le « tu » et le « on ». « Avant on affutait les mots / pour mieux rompre le silence » : c’est ce regard sur le passé qui permet de conserver une confiance fertile envers les mots les plus simples car « il n’est d’espoir que dans les mots / consignés au plus secret du silence ».
Max Alhau constate cependant que « l’on a tout perdu sauf les paroles / et les souvenirs qui nous habitent ». À partir de là, la mémoire permet de repousser les craintes et les peurs en entretenant les espoirs même si « tu restes seul avec ta mémoire » ou le souvenir d’Annie, l’absente toujours présente. Le poète sait bien que « tout s’arrêtera bientôt » et que l’on est « seulement de passage ». Pour lui, il s’agit de souffler sur les braises afin d’« entretenir le feu », cette formule magique qui donne son titre à ce beau livre excellemment édité par L’Herbe qui tremble.

Basile ROUCHIN : Une pièce manquante et autres dépendances, (Interventions à haute voix éd., 2023), 80 pages, 10 euros – 25 rue des Fontaines Marivel – 92370 Chaville ou gerard.faucheux@numericable.fr

Dans sa généreuse préface, Louis Dubost exprime ce que la poésie de Basile Rouchin peut avoir à la fois de troublant et de rassurant. On a affaire là à un jeune poète prometteur qui ne se laisse pas abuser par les mirages d’un miroir aux alouettes particulièrement trompeur. On devine qu’il a lu de nombreux poètes avec lesquels il a été familier sans jamais être tenté de les imiter. Cette influence est lisible dans presque tous les poèmes de ce joli recueil qui regroupe une soixantaine de textes divisés en deux ensembles comme le titre du livre le propose. Dans le premier ensemble, on assiste à un feu d’artifice où se croisent et se bousculent calembours et jeux de mots, pastiches et pirouettes. Dans le second ensemble, le ton se fait plus grave. Basile Rouchin y dresse les terribles portraits d’une société brutale. On y retrouve le ton d’un Georges-L. Godeau avec une touche personnelle où la modernité vient percuter les activités humaines en nous éloignant des valeurs solidaires et fraternelles. Il est difficile d’extraire des passages significatifs des poèmes de Basile Rouchin tant ces derniers font bloc, rétifs à tout démembrement. On appréciera enfin la page 71 où l’auteur adresse ses remerciements à de nombreuses personnes, chose rare dans l’univers de la poésie vivante où sévit l’épidémie du tout-à-l’égo.

Romain FUSTIER : toutes ces bêtes autour, (Les Lieux-Dits éd., 2023), 40 pages, 7 euros – 2 rue du Rhin Napoléon – 67000 Strasbourg ou roesz.g@hotmail.com

Ce n’est qu’en lisant attentivement les poèmes-tercets de ce livre que l‘on décrypte le titre énigmatique de ce recueil. Loin des lieux de cure du Massif Central, l’auteur et sa petite famille, « nous quatre marchons », empruntent des sentiers obscurs comme « le chemin des noisetiers ». C’est là qu’au fil des randonnées, il leur arrive de croiser un renard matinal ou un blaireau apeuré, un crapaud perdu ou une chauve-souris. Attentifs aux manifestations pacifiques de la faune et de la flore, les promeneurs se retrouvent dans une communion panthéiste. Cette volonté ne se dément pas car il s’agit de prendre ses distances avec « l’absurdité patente / de nos vies nos peines ordinaires / nos drames communs. » La perception du moindre signe de vie est un gage de bonheur comme celui de se retrouver en famille dans un chalet isolé, cueillir délicatement quelques rares gentianes et quelques campanules suffit à se refaire une santé.

Françoise VIGNET : Le Sabot de Vénus précédé de Implorations minuscules, (Alcyone éd., 2022), 46 pages, 15 euros – BP 70041 6 17102 Saintes cedex ou minu.gati@wanadoo.fr

Quel bel écrin que celui de la collection Surya pour accueillir les poèmes de Françoise Vignet. Ces deux suites de textes sont dédiées à deux disparus : son frère Denis et Claude, son « amoureux de mari ». Longtemps recluse, elle tente de s’adapter à cette double absence, obsédante et omniprésente : « je suis entrée en monastère », écrit-elle, dans une quête spirituelle guidée par une nouvelle façon de vivre. Cet univers est à la fois tragique et réconfortant. Les implorations y repoussent les déplorations. Françoise Vignet trouve les mots qu’il faut et prendre de fortes décisions : « Du profond du désarroi, me fondre dans cette lueur venue d’ailleurs – qui aimante et qui adoucit ». Elle s’aide pour cela des miracles végétaux tels que cette orchidée, le Sabot de Vénus, sorte de vulnéraire dont on guetterait la floraison magique comme l’on guetterait l’arrivée « d’un visiteur inespéré ». On signalera ici la qualité formelle des beaux livres des éditions Alcyone, qualité rehaussée par deux sobres aquarelles de Claudine Goux, l’amie fidèle qui sait si bien accompagner toutes celles et tous ceux qu’elle a choisi d’illustrer.

Dominique SAMPIERO : On écrit un poème pour embrasser, (Les Lieux-Dits éd., 2023), 48 pages, 7 euros – 2 rue du Rhin Napoléon – 67000 Strasbourg ou roesz.g@hotmail.com

Du long parcours poétique de Dominique Sampiero, on retiendra de nombreuses étapes lumineuses, des fulgurances et des apaisements. Avec ce nouveau livre, le poète pénètre dans le domaine feutré de la sagesse contenue où chaque image interpelle le lecteur. Se résignant parfois mais sans rien abandonner, il faut « accepter de croire aux illusions du visible / dans l’altérité déjà en ruine ». Alors, à son bureau et devant ses cahiers, Sampiero tente de « trouver les mots simples » pour finalement s’inventer « une vie dans le silence des jours / une vie minuscule », une vie à la fois ordinaire et extraordinaire, une vie qui fournirait « de quoi tenir debout hors du troupeau ». Toutes ces choses dévoilées, toutes ces images retrouvées « ne feront jamais / un poème aussi puissant qu’un arbre ». Il peut même arriver que la nature reprenne le dessus puisque « un peu d’herbe pousse dans mes cahiers ». Toujours aux aguets, le poète sera là où on ne l’attend pas afin de résister « à la grande agitation tueuse d’utopies ».

Éric CHASSEFIÈRE : Faire parler son âme, (Sémaphore éd., 2023), 106 pages, 12 euros – 2 Quai Surcouf – 29300 Quimperlé

Le prolifique Eric Chassefière (une cinquantaine de recueils en 30 ans d’écriture) modifie à chaque nouveau livre sa façon d’aborder l’expression poétique. Si le lexique ici utilisé est riche et précis, le style diffère d’une suite de poèmes à l’autre. Des six ensembles réunis, c’est celui du titre éponyme qui semble dominer dans une harmonie affective omniprésente : « Ils se parlent de près / les mots sont de soie » ou encore « elle marchait devant durant leurs promenades », sur un parcours « qui les a réunis dans l’intimité d’une connivence ». Eric Chassefière parvient à figer ces moments de grâce dans « le miracle du soir » et dans ces rares instants où « la main rêve » et « la voix embrasse ». Et puis il y a l’enfant, celui qui ouvre de nouveaux horizons : « L’enfant vit de l’espoir de voir / faire ce qu’il voit en lui » et surtout « l’enfant n’est que dans l’échange ». C’est cet échange qui est à la base de tout car il sert à « prolonger en nous-même l’amour que l’autre nous porte ».

Georges CATHALO – mars 2023


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