Thierry RENARD : Addictus (Jacques André éd., 2020), 98 pages, 20 euros – 5 rue Bugeaud – 69006 Lyon ou edition@groupe-cei.com.
La collection Artsquare des éditions Jacques André est ouverte à des duos d’artistes qui proposent des œuvres complémentaires sous un format carré de 20X20. Très lisible, ce livre est une œuvre collective puisqu’elle réunit les écrits de Thierry Renard, les photos de Jean-Claude Chuzeville, les traductions en italien de Julie Dorille et la préface de Sonia Viel. « Ce livre, c’est l’album de la jeunesse retrouvée » : c’est ainsi que s’exprime l’auteur résumant ainsi un parcours amoureux qui débuta avec la rencontre de sa compagne, modèle de ce livre. « Les images et les mots, ensemble, ont traduit dans un silence complexe les émotions vivantes de la vie ». S’il est certain que « la rencontre est une promesse », elle se prolonge ici dans un échange fructueux où « le corps est intact », sensuel et parfait. Quant au poète, « lui non plus, ne laisse rien au hasard ». Il déploie ses mots et ses propres images. Il nuance ses approches. Il avance humblement : « sans cet amour-là, j’aurais cédé à la tentation du néant irréversible ». Il n’en a rien été car, « heureusement, il y a la chaleur humaine » et le corps de la femme magnifié par de superbes photos en noir et blanc.
Jean-Jacques NUEL : Mémoire cash (Gros Textes éd., 2020), 86 pages, 10 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Les formes brèves ont toujours attiré Nuel avec un penchant prononcé pour tout ce qui relève de la « poésie du quotidien » qui n’en aura décidément jamais fini d’imprimer sa marque sur toute une génération de poètes. On s’attachera ici aux découvertes et aux rencontres dans l’apparente banalité des gestes habituels : plein d’essence, voyage en train, promenade dans un parc lyonnais,… Le poète se fixe à lui-même des promesses et des résolutions : « dans le catastrophisme / ambiant tu continues à vivre / et à écrire / comme avant et comme toujours ». Les souvenirs d’une vie professionnelle sérieuse mais banale sont autant de moments volés à un présent volatile qui rappelle que des pages se sont tournées. « J’ai quitté Lyon depuis longtemps / pour me retirer à la campagne » et, désormais installé dans un village bourguignon, il peut savourer une vie paisible, empreinte d’une douce nostalgie qui imprime dans sa mémoire des pièces d’un puzzle qu’il tente de reconstituer, pièce après pièce, « dans la chambre noire » de son cerveau tout « en songeant à tout ce chemin / parcouru / et au peu qu’il te reste à faire ».
Roland NADAUS : Le Miroir amnésique (Henry éd., 2020), 132 pages, 12 euros – Parc de Campigneulles – 62170 Montreuil-sur-Mer ou jnficjlb@nordnet.fr.
Pour Roland Nadaus, l’engagement, qu’il soit poétique, politique ou religieux est une fondation qui se consolide au fil des années. Le courage qu’il faut déployer pour y parvenir et pour s’y maintenir dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Afin d’en avoir une petite idée, il est urgent de lire ce livre à notre époque où dénigrement et cynisme occupent le terrain. On aura plaisir à rappeler que certains, comme Roland Nadaus, ont contribué à créer au sein d’une vie publique débordante d’activité même si, modestement, l’intéressé déclare : « c’est un petit truc de poète engagé dans la vie publique pour que ses mots aient des mains ». On laissera donc le lecteur s’aventurer dans la découverte de cette fraternelle aventure humaine : « Serrons-nous les mots comme on se serre les coudes. Comme on se serrait les mains. Avant. Et demain ». Ecrits d’instinct et sans calcul, ces volets d’une existence bien remplie tracent un parcours généreux. La seule lecture apaisante ET troublante de ce livre suffira à soutenir mais encore à encourager chacun et chacune à suivre cette voie.
Jean-Michel BONGIRAUD : Chemins communaux (Prem-edit éd., 2020), 82 pages, 13 euros – www.prem-edit.com
Les nouvelles formes d’édition « nouvelle génération » permettent de proposer rapidement des ouvrages « papier » en tirage ordinaire. Bongiraud avait déjà expérimenté cette formule qu’il renouvelle ici avec un ensemble de poèmes regroupés en trois volets distincts contenant chacun 25 textes en vers non-rimés mais selon un cadre sécurisant. C’est à l’intérieur de ce cadre que le poète pourra donner libre cours à ses débordements lyriques faits de reprises et de retouches : « le chant ou le poème qu’importe pour le vrai poète », car c’est en vrai poète qu’il aborde les difficultés et les sérieux problèmes de ce monde hallucinant dans lequel « l’anarchie est vouée à être l’ultime porte ». Ce livre donne un aperçu d’une existence engagée sur des voies exigeantes et l’ample respiration de ces poèmes nous aide à avancer. Bongiraud redoute que l’on ne puisse entendre « des poètes déjà morts avant de s’être exprimés ». Ce fort sentiment d’injustice est à la base de sa révolte. Alors, il n’hésite pas à avancer avec son drapeau noir dans les rues et sur les chemins communaux car le combat est partout, comme la poésie, car « qui sait la lire / découvre l’univers / sous un soleil transparent ».
Jean PICHET : Le vent reste incompris (Illador éd., 2021), 58 pages, 12 euros – 14, rue des Saints-Pères – 75007 Paris ou contact@editions-illador.com
Avec six minces recueils publiés en près de 40 ans d’écriture poétique, Jean Pichet n’est pas du genre à encombrer les faméliques rayonnages de poésie des librairies, « commerces non-essentiels » désignés en 2020 ! Le lyrisme bucolique de ce discret poète résonne comme une douce musique entre deux plages de silence. Ce qui pourrait passer pour une marque de fabrique ne se dément pas à la lecture de ces poèmes que l’on a pu découvrir parfois au fil des sommaires de revues telles que Friches, Arpa ou Multiples. Le vent sert de médiateur entre tous les arbres aux existences diverses qui tiennent tous un rôle particulier dans la diversité faunesque, ombre de tilleul, saule magnifique,…Des arbres rôdent / parmi les ruines du vent » : c’est sur ce paradoxe que sont construits les poèmes de Jean Pichet. Ici, les arbres se meuvent et s’éloignent alors que le vent ne bouge plus. « Les arbres font le vent » et ce dernier se fond dans la nuit en demeurant incompris, « qu’il se mette à hurler / ou fasse un doux murmure ». Dans une atmosphère à la Paul-Jean Toulet, Jean Pichet sait dire « l’humilité du peu / qui vaut la peine d’être vu ». Les deux encres de Catherine Sourdillon accompagnent cette poésie apaisante si utile en ces temps obscurs et fiévreux.
Philippe-Marie BERNADOU : Ensuite (Le monde d’) (Encres Vives éd., 2020), 16 pages au format A4, 6,10 euros – 2, Allée des Allobroges – 31770 Colomiers ou michelcosem@wanadoo.fr
Deux séries de poèmes composent cette nouvelle plaquette du trop rare Bernadou. La première, intitulée « La disparition des cabines téléphoniques », regroupe sous forme de patchwork des mots captés qui font sens et interrogent sur la difficile communication actuelle. La seconde suite, qui donne le titre au recueil, est datée du 26 avril 2020, en plein confinement sanitaire, avec une cueillette d’expressions et de propos dans un zapping constellé de références légères et variées : de Buzzati à Baudelaire et d’Hegel au Facteur Cheval. Bernadou s’avance à pas prudents sur le terrain miné d’une actualité dévorante. Il y interroge toutes sortes de lendemains, aussi bien ceux qui chantent (peu nombreux) que ceux qui déchantent (plus probables). Espérer et désespérer se livrent à un bras de fer lourd de conséquences avec « des concentrés de détresse » pour tenter de sauver « notre radeau qui prenait l’eau ». Se voilant et se dévoilant, ces deux rivaux aveugles se livrent un combat sans merci et qui aurait tendance à se banaliser. « Le risque, c’est de s’habituer » écrit le poète car c’est hélas trop souvent que « les mauvaises habitudes reprennent ».
Georges CATHALO – février 2021