Josette Ségura : Avec les heures (Les Cahiers d’Illador éd., 2021), 72 pages, 12 euros – 14, rue des Saints-Pères – Paris VII° ou ericdazzan@orange.fr
Recueil de plénitude ou livre de sérénité : comment qualifier cet ensemble de poèmes ? Les évocations de Rainer-Maria Rilke et du poète landais Bernard Manciet ajoutent un voile de plus au mystère des Landes de Gascogne riches d’une flore protectrice pour les villages silencieux où le temps semble suspendu car ici, « on se nourrit de silence ». Quelques lieux sont nommés : Bazas ou Labastide d’Armagnac pour ce qui ressemble à un pèlerinage ou à un retour aux sources d’une enfance. Josette Ségura évoque aussi des retrouvailles, des ponts entre les lieux et les époques : « les cheveux ont blanchi / pas le cœur / ni la petite flamme des yeux, ni le sourire ». Pour le temps présent, on relèvera l’évocation fugace de mars 2020 avec cette « sorte de Carême obligatoire » en s’isolant d’un monde brutal et maléfique, un peu comme « nos frères cisterciens / plongés dans le silence, la prière. » Et chacun en reste là puisqu’on « essaie de se débrouiller / avec le fond de chacun / les limites ». Josette Ségura ou l’art de composer des bouquets, bouquets de fleurs, de mots et d’images.
Michel Dunand : Rawa-Ruska, le camp de la soif (Voix D’Encre éd., 2021), n.p. (108 pages), 17 euros - BP 83 – 26202 Montélimar Cedex ou ecrire@voix-dencre.net
Ce sinistre camp de la mort que Churchill qualifiait de « camp de la goutte d’eau et de la mort lente », a été le théâtre de drames et d’atrocités. Le père de l’auteur a connu cet enfer dont il a pu miraculeusement réchapper. Grand voyageur, Michel Dunand s’est imposé ce pèlerinage afin de compléter les impressions qui lui restaient des rares évocations de son père disparu avec ses secrets en 2016. Il s’est agi pour lui de « s’enfoncer dans l’instant / L’éternité, c’est lui / L’avenir, c’est lui ». En découvrant ces lieux de perdition, il est difficile de deviner ce qui s’est déroulé là, tortures et travaux inhumains jusqu’à l’extermination. Il est nécessaire pourtant d’entretenir la mémoire : « Bon séjour / N’oubliez pas de vous perdre un peu. / L’inattendu vous attend. » Pour le poète, le prix à payer est exorbitant. Heureusement que la lecture et l’écriture sont là pour activer une résilience puisque, écrit Dunand, « j’ai vendu mon âme / à la poésie. / J’assume / avec foi. »
Jean-Claude Tardif : Nous, issus du hasard (À l’Index éd., 2021), 50 pages, 12 euros – 11, rue du Stade – 76133 Épouville ou revue.alindex@free.fr
Les sept empreintes de Marie Alloy qui accompagnent ces brefs écrits de Jean-Claude Tardif sont là pour approfondir le doute et l’interrogation que suscitent les mots du poète. Lorsque l’auteur dédie son recueil à ses frères, on ne peut qu’être dubitatif : s’agit-il de ses frères de sang ou bien de « nos plus proches cousins chimpanzés et bonobos » ? L’ambiguïté se poursuit avec « signe-singe », pirouette dyslexique qui résonne comme un aveu. Pour nos cousins, il est question de sauter de branche en branche alors que nous ne sommes justes « capables que de généalogie ». Aucune honte n’habite notre prétention prédatrice, « nous qui ne savons rien / de ce monde // qui pourtant nous compose ». On tentera une fois de plus de s’inventer des espaces inédits, de « lever les yeux au ciel // pour oublier / la boue de nos semelles », alors que « la rumeur se répand / le silence s’écoute » mais aussi lorsque « la question est posée / le silence lui répond ». On n’en saura pas plus.
Jacques Morin : Mien Tien Lien (Décharge éd., 2021), 100 pages, 8 euros – 11 rue du Général Sarrail – 89000 Auxerre ou revue.decharge@orange.fr
Il faut attendre la page 96 de ce beau petit livre pour décrypter l’énigme du titre. Jacques Morin y concentre un vécu à fleur de peau : « J’avais besoin d’écrire ça / pour passer à autre chose ». Il reprend là, entre autres écrits, quatre séries de poèmes déjà lus dans sa revue Décharge. À côté de la part obscure de son œuvre, on découvre ici une pulsion de vie avec des élans fulgurants vers la beauté, « comme un message d’espoir et de renouveau ». C’est le cas en particulier des chapitres 2, 4 et 6, proses en italiques rappelant sa brève Lettre à l’embryon parue en 1998 chez Brémond. Ce balancement entre les deux pôles de notre finitude, Jacques Morin sait le rendre à merveille avec résignation, « on aura fait notre temps » ou par froide interrogation, « comment se résoudre / à quitter le monde des siens ? ». L’âge venant, les parades poétiques et les cuirasses des mots peuvent aider à progresser vers une certaine sagesse face à la mort qui se rapproche à commencer par des celle des poètes amis « qui restent vivants dans leurs livres ». Au final, Jacques Morin concède cette confidence : « Le recueil édité c’est pire / je ne sais pas l’ouvrir ». Alors vous, lecteurs attentifs et curieux, faites le contraire et n’hésitez pas à ouvrir ce livre, à le lire et à le relire.
Monique Saint-Julia : Colin-Maillard (L’Aire éd., 2021), 96 pages, 16 euros - Rue de l’Union 15 – 1800 Vevey (Suisse) ou editionaire@bluewin.ch
Non, il ne faut se fier ni au titre de ce livre ni à l’impression que l’on pourrait avoir en le feuilletant. Il est conseillé bien au contraire de le savourer en le lisant le plus lentement possible car c’est là qu’opère l’enchantement. Celle qui écrit est celle qui « murmure des mots doux / à l’oreille du ciel ». Elle sait faire la part des choses dans le fragile équilibre d’une existence avec « au bout des larmes / les clins d’œil à la joie ». Ce livre est le 5° ouvrage que Monique Saint-Julia publie aux élégantes éditions de L’Aire. Il s’inscrit dans la continuité d’une œuvre conséquente qui fut repérée par une dizaine d’exigeants préfaciers tels que Gaston Puel, Guy Goffette, Gérard Bocholier ou Michel Baglin. On aurait tort de réduire ces poèmes à ce qui serait un lyrisme naïf et bucolique. On assiste à un lent va-et-vient entre une enfance riche de jeux et un présent nostalgique où la résilience a partie liée avec les phénomènes naturels que sont les saisons, le ciel et le vent. Et puis devant nous se trouve toujours le miracle permanent de pouvoir écrire, « écrire / comme on joue de la flûte traversière / sur les quais flottants / de la mémoire ».
Thomas Vinau : Vivement pas demain (La fosse aux ours éd., 2022), 128 pages, 16 euros – 1, Place Jutard – 69003 Lyon ou lafosseauxours@wanadoo.fr
Avec un sous-titre tel que « Petites proses de rien posées là dans la main », on peut être sûr que l’on va se retrouver dans l’univers bien identifié de Thomas Vinau, univers tendre et exubérant, bucolique et foutraque. Le doux quatrain de Paul-Jean Toulet en exergue de ce livre est encore là pour conforter cette impression générale. Nous pénétrons d’emblée dans une intimité familiale avec taches ménagères, enfants à conduire à l’école et petits accidents de la vie. Comme toujours avec Vinau, on retrouve son sens aigu de l’observation et cette douce mélancolie que ranime un évènement minuscule. Faute de solutions radicales, il y a les résolutions que le poète se donne à lui-même en sachant toutefois que « personne ne gagne. Jamais » et que, en tous temps et tous lieux, « nous sommes tous des rescapés ». Pour se remettre la tête à l’endroit, rien de tel que le joyeux fantôme de Pierre Autin-Grenier se glissant dans le poème « Fidèle » ou encore « un vieux poème de Jean-Claude Pirotte ». On peut aussi reprendre les chansons de Trenet ou de Brel, de Goldman ou de Springsteen car chacun a besoin « d’aller chercher des poux dans la tignasse de l’univers ».
Georges Cathalo – décembre 2021