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Itinéraires non-balisés N°9, par Georges Cathalo

dimanche 8 mai 2022, par Cécile Guivarch

Anne Brousseau : S’il fallut un jour la guerre (La tête à l’envers éd., 2021), 58 pages, 15 euros – 9, petit Ménetreuil – 58330 Crux-la-Ville ou ed.latetealenvers@gmail.com

Comme toutes celles et tous ceux qui consacrent l’essentiel de leur temps libre à faire connaître les autres en les publiant, on en oublierait presque qu’Anne Brousseau écrit, elle-aussi. On l’avait bien croisée ici ou là au sommaire de quelques revues mais il aura fallu un concours de circonstances pour que paraisse cette plaquette sobrement éditée. Yves Humann, son préfacier, a su en deux pages relever ce qui est la marque de fabrique de cette poésie narrative toute en « pudeur et délicatesse ». L’énigme demeure entière autour de ce revenant nommé à la troisième personne du masculin singulier : retour des cauchemars guerriers, souvenirs obscurs de la boue et du sang… « Désormais il voudrait simplement être » afin de « retrouver des joies secrètes ». Comment se reconstruire alors qu’il « égrène le grand chapelet des peurs » et que la réconciliation semble impossible ? Ce livre se compose de brefs récits non ponctués, rythmés par des groupes de souffle qui donnent à cet ensemble une tonalité particulière, une sorte de mise en bouche théâtrale avec un final en sérénité apaisante après avoir repoussé les miasmes d’une mémoire ravageuse.

Michel Lamart : Le Chaudron fêlé (À l’index éd., 2022), 52 pages, 12 euros – 11, rue du Stade - Epouville ou revue.alindex@free.fr

L’élégante collection « Les Plaquettes » a déjà proposé une vingtaine de titres de poésie ou de proses poétiques mais jamais de recueils d’aphorismes. Le poète Michel Lamart, auteur confirmé de plusieurs dizaines de recueils de poèmes, s’est lancé dans des variations lexicales autour du thème majeur de la parole. Faire ses gammes ou ses vocalises permet d’arbitrer le bras de fer entre silence et parole. Le chaudron fêlé qui donne son nom à ce livre provient d’un passage de Madame Bovary où la parole humaine est comparée à cet ustensile usagé. Flaubert y voit un récipient où un auteur « voudrait attendrir les étoiles » alors qu’il parvient à peine à battre « des mélodies à faire danser les ours ». C’est à cette aune trop modeste que se mesure le projet de Michel Lamart : rassembler des fulgurances et des propositions et des fêlures sur le cri, le dire et la langue. Selon lui, « flèche et cible se confondent dans la parole ». De nombreuses et solides références viennent émailler ces suites de réflexions : La Bruyère, Cioran, Hugo, Jabès,…On pourrait peut-être reprocher à cet ensemble de cinq séries de notes une certaine rigueur universitaire or ce n’est pas le cas puisque cela permet à l’auteur de développer une approche pertinente de ce sujet si délicat qui a toujours tourmenté les poètes.

Jean-Louis MASSOT : Abonné.e.s absent.e.s (Le chat polaire éd., 2021), 62 pages, 12 euros – avenue Maurice Maeterlinck, 13 – B 1348 – Louvain-la-Neuve ou lechatpolaire@gmail.com

Les brefs poèmes que Jean-Louis Massot a rassemblés dans ce recueil sont bien plus que des proses poétiques que l’on rattacherait sans peine à la comète de la « poésie du quotidien ». Cette simplification ne tiendrait pas compte de l’originalité de la démarche de ce poète qui fut pendant plus de 20 ans l’éditeur emblématique des Carnets du Dessert de Lune. Avec ce nouveau livre, Massot continue de creuser le sillon d’une poésie narrative qui plonge ses racines dans une réalité impitoyable : S.D.F., déclassés sociaux, vieillards solitaires,…Les multiples pronoms personnels utilisés cachent à peine l’émotion engendrée par des rencontres brutales au point qu’il est impossible de fournir des extraits de ces poèmes. On notera la place de plus en plus grande qu’occupe ici le téléphone portable, doux monstre présent une bonne dizaine de fois. Quant au poème « Note sans note », il résonne dans un espace glacial et testamentaire. Notons enfin que les peintures de Ronan Barrot ponctuent ce beau livre en forme de clin d’œil à Pierre Autin-Grenier dans une évidente filiation amicale.

Marie DESMARETZ : Les nouvelles lettres-poèmes de Marie (Petit Pavé éd., 2022), 56 pages, 8 euros – BP 17 Brissac-Quincé 49320 Saint-Jean des Mauvrets ou editions@petitpave.fr & Marie DESMARETZ : Mon cabaret de mots (Gros Textes éd., 2022), 54 pages, 6 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net

Après un premier opus paru en 2017, Marie Desmaretz renouvelle son expérience poétique avec la publication d’émouvantes lettres-poèmes. Très à l’aise avec ce genre délicat, elle sait trouver les mots qu’il faut dans une écriture très maîtrisée en ne se laissant jamais déborder par un trop-plein d’émotion. Les destinataires sont souvent ses amis nordistes (Pascal Roche, Alain Lemoigne, Pierre Vaast, Arlette Chaumorcel,…) ou des amis lointains comme Jean Chatard, Daniel Brochard, Ariane Dreyfus… Chaque poème ouvre sur une personnalité qui se déploie ensuite dans l’imaginaire des lecteurs.

 
 

Le second recueil est superbement édité par Yves Artufel. Plus intime et plus familial, il est dédié par Marie Desmaretz à ses six petits-enfants. C’est du jardin que germent ses poèmes et que perdure le lent apprentissage de la patience et de la résilience : « un poème / prend la place / d’un aveu » car « on fait dire / tant de choses / au silence ». La poète parvient à relier les éléments épars du monde complexe qui l’entoure par l’entremise de brefs poèmes que l’on « lire possiblement », un peu comme on lirait « le petit troupeau de mots / qui broute le ciel ».
 

 

François de CORNIERE : Les façons d’être (Le Castor Astral éd., 2022), 232 pages, 9 euros – 47 avenue Pasteur – 93100 Montreuil ou castor.astral@wanadoo.fr

Bien calés entre la préface de Paul Fournel et une éclairante « Carte d’identité poétique » finale, on découvrira dans ce livre 115 poèmes de François de Cornière ventilés en cinq volets dont un ensemble d’inédits. Il était urgent que les nouvelles générations lisent et découvrent celui qui est à l’origine d’un mouvement d’ensemble même si de Cornière refuse « d’être le chef de file de la poésie du quotidien ». Certes, son existence suit les étapes d’un destin ordinaire, celui de tout un chacun si l’on veut bien y porter attention en ralentissant la course folle du temps tout en appréciant ces petites choses quotidiennes qui nous construisent. Pourtant, le poète a su demeurer fidèle à ce qu’il a construit dans les années 80 autour d’une poésie à dimension humaine : « la poésie peut être / ce long pont invisible qui nous relie / les uns aux autres » mais dont la fragilité est la principale menace : « la poésie comme la vie / tient toujours à un fil ».On s’en tiendra malgré tout à la fidélité dont il aura fait preuve depuis déjà si longtemps, fidélité qui n’est pas rigidité mais permanence d’une forme poétique dont il ne s’est jamais départi. « Ce ne sont pas de grands poèmes / mes petits vers » « et je m’amuse un peu avec ce qui me plaît d’écrire ». C’est donc expressément que l’on demande au poète de continuer dans cette voie : écrire et s’amuser car nous avons tant besoin de le lire en ces temps obscurs et bien incertains.

Frédérick HOUDAER : Pile poil (Gros Textes éd., 2022), 90 pages, 7 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net

Dans la riche constellation poétique de la région lyonnaise, Frédérick Houdaer occupe une place à part comme l’occupa naguère Pierre Autin-Grenier dont on croise ici le « fantôme de l’ami trop parti », rencontre inattendue lors d’une soirée-hommage particulièrement ratée…. Avec Houdaer, les moments personnels vécus, dans la banalité apparente de l’existence, prennent une dimension inattendue : rencontres imprévues, rendez-vous chez le dentiste, film du dimanche soir,… Il parvient à esquiver le danger de la trivialité grâce à l’art subtil des titres à l’emporte-pièces, tirés au cordeau comme des portes qui s’ouvrent ou qui claquent. Anecdotes et souvenirs sont les moteurs de cette poésie nerveuse et fringante ou les passages en italiques correspondent à des propos oraux. On y retrouve ce qui peut s’entendre lors de rencontres « poétiques » où se pavanent des assis dont on devine les carrières et où « chacun poursuit sa route / vers les promotions découennées ».

Georges Cathalo – mars 2022


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