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Ivar Ch’Vavar et la question épineuse du réel

vendredi 17 mai 2013, par Cécile Guivarch

Matthieu Gosztola : « Le Caret pose singulièrement, comme tes autres livres, la question du réel. Le réel n’est jamais perçu, dis-tu (cf. notamment Travail du poème), ou alors très rarement (il peut l’être par l’art, mais aussi par la drogue etc.). Est-il seulement possible de théoriser le réel ou bien celui-ci ne peut-il qu’être perçu, ressenti ? ».

Ivar Ch’Vavar  : « Le réel n’est jamais perçu, ou alors très rarement… par moi ! Peut-être les autres, en tout cas d’autres, ont-ils plus de chance que moi. – Je ne parle donc ici que de mon expérience propre.
Quand on est devant le réel on le sait. On n’a aucun doute. C’est là, et du coup on est , dedans.
Rien n’a bougé de place, ce n’est pas un autre monde qui se dévoile. Ce qui se dévoile, c’est ce qui était déjà là, mais qu’on ne voyait pas, pas comme ça, pas du tout comme ça. – Il y avait une sorte d’écran glaireux devant ce monde, fait de nos façons de penser, idéologies, façons de rêver, fantasmagories (ça revient au même).
Tout ça tombe, et on voit ce qui est là tel que c’est, et c’est infiniment plus beau, plus complexe, plus profond… que tout ce que nous pouvons construire en pensée ou en rêve. Et ça tient ensemble  : il y a là une harmonie sidérante de toutes les parties, une solidarité magique. C’est cela, surtout, qui frappe.
Vous pouvez faire ce genre d’expérience n’importe où. Aussi bien au milieu d’un carrefour, au moment de la plus grande affluence. Les bruits, les mouvements, les couleurs, les odeurs… font une symphonie, et c’est la plus belle musique que vous ayez jamais entendue, s’y mêlât-il, sur la fin, la sirène des pompiers ! Sibelius, même Beethoven sont irrémédiablement enfoncés.
Ça vous tombe dessus. Et si à ce moment-là vous ne lâchez pas prise, si vous essayez de saisir dans son ensemble tout cela, ou même un morceau (mais il n’y a pas de « morceau »), vous faites un pas en arrière, vous n’êtes plus dans ce monde, mais seulement devant, et tout s’évanouit dans la seconde : dans la seconde.
Sûrement, c’est une expérience très banale. Mais pour moi, elle est « plus longue à se reproduire qu’une étoile » (Rimbaud), et je crois que c’est vrai pour beaucoup de poètes. – Peut-être les poètes sont-ils ceux-là, justement, qui ont le plus chiche accès à cette expérience : pour eux d’autant plus précieuse et obsédante ?
Il y a des accès indirects. L’art, la drogue, l’amour, la révolution. Dans la passion amoureuse comme dans le feu des moments révolutionnaires, on s’ouvre grand : au réel aussi. Avec la drogue on s’ouvre à s’en dégonder, mais pas (que je sache) au réel même. À des expériences du monde complètement différentes, qui montrent en tout cas crûment que le monde du regard habituel n’est rien, et que tant d’autres peuvent exister, qui sont au moins plus évidents, qui frappent par leur véracité (et c’est toujours une voracité) plus grande. Et pourtant on sait bien qu’il ne s’agit là que de faux-semblants, parce que toujours l’un chasse l’autre, et, sans délai, – l’anéantit.
L’art aussi apporte d’autres mondes, s’il veut. S’il en reste à celui-ci, il l’illumine. Il le change merveilleusement, et dans le sens du réel. – Je suis assez vieux et je viens d’un milieu tenu assez à l’écart de la culture pour avoir connu encore… le choc de l’Impressionnisme ! J’ai découvert Monet, par exemple, presque avec les yeux d’un jeune homme de 1865 ou 1869, j’ai vu le monde s’ouvrir devant moi dans les tableaux des Impressionnistes. Ils m’ont enlevé une taie de l’œil… Et je ne parle pas de ce qui allait suivre. Qui ne voit pas que le cubisme « analytique » des années 1907-1910 restitue avec une véracité bouleversante son époque – a intérêt à entrer maintenant fortement dans l’Histoire de l’Art.
J’ai été fort long. – Quant à « théoriser le réel », est-ce le « conceptualiser » ?
Le réel, c’est ce qui est pleinement là, dans la tension de l’être, quand je suis pleinement là aussi (forcément, j’en fais partie). C’est la présence maximale (ça finit d’ailleurs par faire mal). Voilà le truc. Je donne une formule, pas un concept, ni une théorie. ».

A paraître :

  • Ivar Ch’Vavar, Le Caret, Editions des Vanneaux, collection « Ivar Ch’Vavar », 144 pages, 17€.

Extraits :

Le Caret rassemble trois longs poèmes : Ma mort avec Lucien Suel, Mont-Ruflet et L’Arche. Le passage suivant est tiré de Dune, troisième chant de L’Arche. – Nous sommes à Berck, la nuit, sur la plus haute dune. Ivar se sépare de ses camarades, qui l’ont un peu charrié parce qu’il a cru lire sur la ligne de l’horizon l’injonction « pas d’activité sexuelle nocturne ». Dans un premier temps, seule Arsène, son amie, va le suivre…

Télécharger l’extrait en pdf :

photo sur le site d’Ivar Ch’Vavar


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