Printemps 2020, période inédite où chacun de nous a vécu ce que nous appellerons toujours « le confinement »... Pendant cette période, la principale préoccupation de tous a été de maintenir le lien. Les gens s’envoyaient des vidéos, parlaient aux fenêtres avec les voisins, se faisaient des signes à travers les jardins, et s’écrivaient, se donnaient des nouvelles. Chacun est revenu, à cette période, à la source, a pris le temps d’admirer la nature et de redécouvrir la beauté du monde. Cécile A. Holdban pendant cette période a relié 173 poètes entre eux en leur demandant de lui envoyer un vers qu’elle a ensuite illustré sur des sachets de thé. De relier entre eux, poètes, vers et peintures, cela a donner l’idée à Cécile de créer un tapis de chiffons... Il y a eu des expositions... Et en mars 2023, l’édition d’un petit livre aux éditions L’Atelier des Noyers dont je salue ici le magnifique travail... Les 173 contributions rassemblées dans un petit livre avec simplement une présentation du projet en introduction suivie des 173 peintures de Cécile A. Holdban avec le vers manuscrit de chaque poète, vers également inscrit en caractères imprimés sous la peinture. Edition choisie avec soin par Claire Delbard pour célébrer le 100ème titre de l’Atelier des Noyers dans la collection Hors Champs. Chaque auteur a reçu à l’occasion de la commande du livre, dix cartes avec le vers qu’il avait écrit et l’illustration de Cécile A. Holdban. Ci-après, vous trouverez l’entretien et les illustrations que nous avions déjà publiés dans le numéro de Terre à Ciel de juillet 2020.
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Entretien avec Cécile A. Holdban mené par Cécile Guivarch pour le numéro de l’été 2020
Chère Cécile, durant ce printemps si particulier de 2020, vous avez peint et vous êtes entourée de beaucoup de poètes pour cela. Jusqu’ici, la question pourrait être anodine, mais elle ne l’est pas car vous avez peint sur des sachets de thé. Pouvez-vous nous parler un peu de cette démarche ? Comment est venue cette idée de peindre sur des sachets de thé ? Et comment avez-vous eu l’idée de les rassembler tout en rassemblant un certain nombre de poètes ?
Chère Cécile, tout d’abord, je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de parler dans Terre à Ciel de ce projet, le premier de cette teneur dans ma vie de peintre, et qui m’a permis de me mettre au diapason de tant de voix poétiques et littéraires différentes, d’imaginer une prolongation de l’univers propre à chacun.
Tout a commencé, il me semble, une semaine après le début de la période de confinement. J’avais, depuis un an environ, soigneusement conservé dans une boîte une bonne centaine de feuilles de sachets de thé vidées de leur contenu et séchées après usage, car les chaudes nuances des infusions et du thé donnent à ces feuilles un aspect et une texture très particuliers, et je pensais réaliser avec ces feuilles des cartes ou bien des collages. En quête d’une idée de dessin, J’ai un jour peint un nuage sur l’un d’entre eux, puis spontanément inscrit dessus l’un de mes petits poèmes. En le regardant ensuite entre toutes les autres feuilles vides, j’ai pensé à Sándor Weöres, un poète hongrois dont j’ai traduit la poésie, et qui a écrit un recueil intitulé Tapis de chiffons, un assemblage de textes, de chansons, d’aphorismes, de fragments assez différents. J’y ai vu un signe, une manière de nous relier les uns aux autres, artistes, poètes, créateurs, amis, malgré la difficulté des circonstances.
J’ai alors écrit un texte liminaire expliquant ma démarche aux poètes, écrivains, artistes ou tout simplement amis, leur demandant un vers ou une petite phrase qui puisse éclairer cette période, afin de la mettre en image puis de tisser toutes ces voix et couleurs entre elles, à la manière d’un paysage.
Vers de Claude Chambard
Quelle est donc la technique que vous utilisez pour peindre ? Le support étant petit, je suppose que votre attention est très particulière, comment vous appropriez vous l’espace, car, j’ai noté que parfois un immense paysage tient sur un si petit sachet de thé ?
J’ai un peu tâtonné, car les feuilles sont extrêmement fines, transparentes, et absorbent immédiatement l’eau, j’ai donc placé à chaque fois des papiers de brouillon de couleur claire en dessous afin d’avoir une meilleure visibilité et d’absorber le surplus d’eau. J’ai mélangé toutes sortes de techniques selon les vers que je recevais et le rendu que je souhaitais obtenir. J’avais envie de respecter la diversité des voix. Sur certains dessins, je mélange aquarelle, crayons, pastels à l’huile, encre ou acrylique…
Ces sachets mesurent environ 9cm sur 14 cm, la taille d’une petite carte postale. J’ai eu envie de pouvoir faire rentrer dans ce petit rectangle « confiné » des images qui évoquent l’infiniment grand comme l’infiniment petit, entre lesquels, humains, nous oscillons sans cesse.
Certains dessins, abstraits comme figuratifs, sont donc composés de lignes pour l’horizon, d’arcs ou de cercles évoquant les astres, ou bien d’éléments du monde naturel, animaux, végétaux… Noir et blanc ou couleurs dessinent le large, l’océan, le feu, la nuit ou bien le foisonnement de vie du printemps. Il fallait que tout un monde, toute une vie puissent entrer dans ces mots et sur ces feuilles !
Vers de Virginie Megglé
Vous avez donc demandé un vers à un certain nombre de poètes. Beaucoup ont répondu présent. J’ai l’impression que vous vous êtes approprié chaque vers, de chaque écriture, personnalité peut-être, car chacun de vos dessins est au plus proche, et différent. Je suppose que vous êtes sensible, attentive à l’autre, autant qu’à son travail. Pouvez-vous nous parler un peu de cette expérience, ces expériences avec chacun et du plaisir que vous avez dû avoir à imaginer des peintures à partir de ces mots ?
Peut-être parce que je suis aussi poète, j’ai toujours aimé la synesthésie, eu besoin de lier images et mots, essayé aussi de faire le rapprochement entre les créations de personnes différentes. Au commencement de ce projet, j’ai demandé une contribution a un cercle assez restreint de poètes et d’amis, puis, prise par cette aventure plutôt intense, qui me donnait de l’élan et faisait fonctionner à la fois mon imaginaire de poète et de peintre tout en me maintenant dans un lien bienveillant et créatif avec les autres, j’ai sollicité des personnes que je ne connaissais pas forcément aussi bien. Plus le projet grandissait, plus j’ai reçu également de demandes de participation, au point de ne plus savoir, à la fin du confinement, exactement combien de peintures j’avais réuni. Pour chacune de ces peintures, j’ai d’abord été portée par l’image que m’évoquait un mot de la phrase, ce mot en rapport avec la personne. Durant tout le temps du dessin, j’imaginais et entendais la petite phrase, la voix, la personne, sa vision propre, son univers, essayant de restituer au mieux le sentiment, ou la sensation de ses mots à travers mon image.
Cela m’a fait beaucoup de bien de sortir ainsi de moi-même , de trouver, en quelque sorte, un prolongement de mon imaginaire dans celui des autres. Cela reposait parfois uniquement sur des intuitions, qu’elles soient fondées ou pas, car sur les 173 participants à ce projet, il y en a une bonne vingtaine que je n’ai jamais rencontrés.
Vers de Gérard Cartier
Les avez-vous assemblés ? En une grande fresque, peut-être ? Quel est votre projet pour la suite ?
J’ai assemblé les 173 peintures en y ajoutant 11 sachets de thé vierges (il fallait arrondir pour ne pas laisser de vides dans les rangs, et j’aime à penser que ces petits rectangles sont ceux de poètes ignorés qui se reconnaîtront un jour).
Ce qui fait un total de 182 petits rectangles répartis sur un grand drap de lin de 240cm de longueur sur 150cm de hauteur.
Une première rencontre est prévue le 24 juin à l’espace Culturel Andrée Chedid d’Issy-les-Moulineaux, qui avait déjà accueilli une exposition de mes peintures et livres d’artistes en 2019. Je montrerai et exposerai le tapis, et en compagnie des poètes participants qui pourront s’y rendre, nous lirons les vers et trinquerons à la santé de tous autour d’un thé.
Par la suite, j’aimerais aussi pouvoir réunir les poètes participants afin qu’ils puissent découvrir leur vers et ceux des autres, peut-être au Marché de la poésie, ou au moins trouver un lieu, une galerie, pouvant accueillir le tapis quelque temps en toute sécurité (il est très fragile).
Si l’un de vos lecteurs parisiens pouvait avoir une idée ou faire une proposition en ce sens, je crois que cela pourrait faire des heureux !
Ce sera néanmoins compliqué de réunir 173 personnes, d’autant que plusieurs poètes vivent dans d’autres pays et continents, Canada, Suisse, Belgique, Norvège, Hongrie, Italie, Etats-Unis, Sainte-Lucie…
Et pour résumer, cette période de confinement, comment l’avez-vous vécue au niveau artistique ? Et encore ? Et maintenant ?
Je n’ai pas suffisamment de recul encore pour en parler objectivement, précisément. Je sais simplement que si ce projet est né, c’est parce que j’en avais besoin, et que tout m’aurait semblé infiniment plus triste et angoissant sans cela. Je me suis lancée à corps perdu dans cette entreprise, qui a duré trois mois au total, alors que j’avais parallèlement beaucoup de projets, littéraires ou artistiques, sur lesquels j’aurais dû me pencher en priorité… Sans compter les aléas. C’était pour moi nécessaire, la seule manière que j’avais de pouvoir réagir face à une situation imposée. Comme tous les grands projets, celui-ci m’a laissé une sorte de vide lorsqu’il s’est terminé. Mais je sens que c’est une étape nécessaire et importante sur mon chemin de création, et le tapis demeure, avec toutes ses voix, comme un chœur silencieux et rassurant.
Vers d’Yves Prié
Vers de Marie-Christine Masset
Vers de Thierry Gillybœuf
Vers de Hanne Bramness
Vers de Jean- Baptiste Para
Vers de Claudine Bohi
Exposition à Issy Les Moulineaux
Voici un extrait aléatoire des poèmes, fixé selon l’ordre alphabétique.
141) PM [PHILIPPE MATHY] : Poser le pas sans alourdir le chemin.
142) PP [PIERRE PERRIN] : Tout homme est une étoile et brille à l’intérieur.
143) PP [PATRICK PRIGENT] : Le ciel est rond comme la mer.
144) PQ [PHILIPPE QUINTA] : Le silence se donne la couleur d’un chant d’oiseau.
145) PR [PIERRE ROSIN] : Je ne sais rien des mondes parallèles où les autres vivent.
146) PT [PIERRE TANGUY] : Un laissez-passer pour aller voir l’aubépine.
147) PV [PIERRE VINCLAIR] : Nous sculpterons mon cœur demain dans cette ruine.
148) PV [PIERGIORGIO VITI] : Siamo alberi pronti a gemmare. (“Nous sommes des arbres prêts à bourgeonner.”)
149) PY [PASCALE YNIESTA] : Il faudrait pouvoir se quitter, partir sans soi.
150) RRW [RICHARD ROOS-WEIL] : Nos fenêtres s’ouvraient comme un retable.
151) RS [ROSELYNE SIBILLE] : Le silence danse de grands envols blancs.
152) SB [STEPHANE BATAILLON] : Le jour s’étonne.
153) SC [STANISLAS CAZENEUVE] : Arbre mort ramure de lumière.
154) SC [SANDRINE CNUDDE] : Dans les pattes du rêve, comme une souris, je vole.
155) SCM [SÉBASTIEN DE CORNUAUD-MARCHETEAU] : À rebours de la terre une graine hisse sa voile vers le ciel.
156) SFG [SYLVIE FABRE-G.] : La terre et sa vision. Je voyais le noir, ce nuage qui avançait.
157) SL [STÉPHANE LEMÉNOREL] : Nos rires, flocons posés sur la lumière du soir.
158) SM [SÉBASTIEN MINAUX] : Le vin nous donnera la terre à boire.
159) SO [SARA OUDIN] : Seule votre main peut me prendre par la main.
160) SP [SABINE PÉGLION] : Faire un trou dans la nuit laisser les étoiles s’évader.
161) SP [SERGE PRIOUL] : Je parlerai clair comme la fontaine me parle.
162) SQ [SOFIA QUEIROS] : Il y a de quoi s’éterniser des jours entiers d’une immortalité de jeunesse.
163) SV [SANDA VOÏCA] : J’étais un pommier dont la seule pomme montait, volait.
164) TBH [THIERRY BODIN-HULLIN] : Dans le zigzag du temps, le segment de la présence.
165) TG [THIERRY GILLYBŒUF] : L’attente émiette le temps.
166) TG [THIERRY GUINHUT] : D’un monde coloré, le pur sens caressé.
167) TH [TRISTAN HORDÉ] : Rêver le présent dans l’aveugle de la mémoire.
168) TR [THIERRY RENARD] : Les mots jamais ne prennent une ride.
169) VCC [VALÉRIE CANAT DE CHIZY] : S’étirer dans le jour, jardiner les possibles.
170) VD [VÉRONIQUE DAINE] : Avec mes bras par exemple j’oublie mes parenthèses.
171) VM [VIRGINIE MEGGLÉ] : Le silence est rendu aux oiseaux.
172) VR [VALÉRIE ROUZEAU] : On aurait toute une liste de pistes.
173) YP [YVES PRIÉ] : Attendre, l’herbe est patiente.
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