[blanc]Traduction des poèmes : Roselyne Sibille - Présentation : traduction Roselyne Sibille et note du cipM[/blanc]
CACTUS
Thorns are my language.
I announce my existence
with a bleeding touch.
Once these thorns were flowers.
I loathe lovers who betray.
Poets have abandoned the deserts
to go back to the gardens.
Only camels remain here, and merchants
who trample my flowers to dust.
One thorn for each rare drop of water.
I don’t tempt butterflies.
No bird sings my praise.
I don’t yield to droughts.
I create another beauty
beyond the moonlight,
this side of dreams,
a sharp, piercing,
parallel language.
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CACTUS
Les épines sont mon langage
J’annonce mon existence
avec un contact saignant.
Autrefois ces épines étaient des fleurs.
Je déteste les amoureux qui trahissent.
Les poètes ont abandonné les déserts
pour retourner vers les jardins.
Seuls les chameaux restent ici, et les marchands
qui piétinent mes fleurs, les réduisent en poussière.
Une épine pour chaque rare goutte d’eau.
Je n’attire pas les papillons.
Aucun oiseau ne chante mes louanges.
Je ne cède pas aux sècheresses.
Je crée une autre beauté
au-delà du clair de lune,
de ce côté-ci des rêves,
un langage tranchant, perçant,
parallèle.
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OLD WOMEN
Old women do not fly on magic wands
or make obscure prophecies
from ominous forests.
They just sit on vacant park benches
in the quiet evenings
calling doves by their names
charming them with grains of maize.
Or, trembling like waves
they stand in endless queues in
government hospitals
or settle like strile clouds
in post offices awaiting mail
from their sons abroad,
long ago dead.
They whisper like a drizzle
as they roam the streets
with a lost gaze as though
something they had thrown up
had never returned to earth.
They shiver like December nights
in their dreamless sleep
on shop verandahs.
There are swings still
in their half-blind eyes,
lilies and Christmases
in their failing memory.
There is one folktale
for each wrinkle on their skin.
Their drooping breasts
yet have milk enough to feed
three generations
who would never care for it.
All dawns pass
leaving them in the dark.
They do not fear death,
they died long ago.
Old women once
were continents.
They had deep woods in them,
lakes, mountains, volcanoes even,
even raging gulfs.
When the earth was in heat
they melted, shrank,
leaving only their maps.
You can fold them
and keep them handy :
who knows, they might help you find
your way home.
2007
(Translated from the Malayalam by the poet)
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VIEILLES FEMMES
Les vieilles femmes ne volent pas sur des baguettes magiques
ni ne font des prophéties obscures
depuis des forêts menaçantes.
Elles sont juste assises sur des bancs de parc inoccupés
pendant les soirées calmes
appelant les colombes par leur nom
les charmant avec des grains de maïs.
Ou bien, tremblant comme des vagues
elles se tiennent debout dans des queues sans fin
dans des hôpitaux gouvernementaux
ou s’installent comme des nuages stériles
dans des bureaux de poste attendant du courrier
de leurs fils installés à l’étranger,
morts depuis longtemps
Elles murmurent comme une bruine
quand elles errent dans les rues
avec un regard perdu comme si
quelque chose qu’elles avaient lancé en l’air
n’était jamais retombé sur terre.
Elles frissonnent comme les nuits de décembre
dans leur sommeil sans rêves
sur des terrasses de magasin.
Il y a encore des balançoires
dans leurs yeux à moitié aveugles,
des lys et des Noëls
dans leurs mémoires défaillantes.
Il y a un conte populaire
pour chaque ride de leur peau.
Leurs seins affaissés
ont encore assez de lait pour nourrir
trois générations
qui ne le voudraient jamais.
Toutes les aurores passent
les laissant dans le noir.
Elles ne craignent pas la mort
elles sont mortes il y a longtemps déjà.
Les vieilles femmes autrefois
étaient des continents.
Elles avaient en elles des bois profonds,
des lacs, des montagnes, et même des volcans,
même des golfes enragés.
Quand la terre était en chaleur
ells fondaient, rétrécissaient,
laissant seulement leurs cartes.
Vous pouvez les plier
et les garder sous la main :
qui sait, elles pourraient vous aider à trouver
votre chemin pour rentrer chez vous.
2007
(Traduit du malayalam vers l’anglais par le poète)
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POETRY WILL COME BACK
We need rice, salt,
chilly, firewood ;
we can do without poetry.
Yet poetry will come back
like rice,
the seed of the earth,
boiled and cleaned of husk and bran,
overflowing every measure
every granary and godown ;
like salt,
the memory of the sea,
watering our mouths,
burning us with pain
in order to heal our wounds,
nourishing our roots ;
like chilly,
the lust of the clay,
turning hot our lips, tongues,
breasts, waists, veins and nerves ;
like the firewood,
the bones of the forest,
their marrow melting sizzling
burning slow with tiny flames,
chanting, in a single breath,
rice salt chilly firewood poetry.
( Translated from Malayalam by the poet )
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LA POESIE REVIENDRA
Nous avons besoin de riz, de sel,
de piment, de bois de chauffage ;
nous pouvons nous débrouiller sans poésie.
Toutefois la poésie reviendra
comme le riz,
le grain de la terre,
bouilli et nettoyé de la balle et du son,
débordant chaque mesure
chaque grange et chaque grenier ;
comme le sel,
la mémoire de la mer,
mouillant nos bouches,
nous brûlant douloureusement
afin de cicatriser nos blessures,
nourrissant nos racines ;
comme le piment,
le désir de l’argile,
rendant chauds nos lèvres, nos langues,
seins, tailles, veines et nerfs ;
comme le bois de chauffage,
les os de la forêt,
leur moelle fondant et crépitant
brûlant doux avec des flammes minuscules,
psalmodiant, dans un unique souffle,
riz sel piment bois de chauffage poésie.
(Traduit du malayalam vers l’anglais par le poète)
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A MAN WITH A DOOR
A man walks with a door
along the city street ;
he is looking for its house.
He has dreamt
of his woman, children and friends
coming in through the door.
Now he sees a whole world
passing through this door
of his never-built house :
men, vehicles, trees,
beasts, birds, everything.
And the door, its dream
rising above the earth,
longs to be the golden door of heaven ;
imagines clouds, rainbows,
demons, fairies and saints
passing through it .
But it is the owner of hell
who awaits the door.
Now it just yearns
to be its tree, full of foliage
swaying in the breeze,
just to provide some shade
to its homeless hauler.
A man walks with a door
along the citystreet
a star walks with him.
2006
(Translated from the Malayalam by the poet)
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UN HOMME AVEC UNE PORTE
Un homme marche avec une porte
dans une rue de la ville ;
il cherche sa maison.
Il a rêvé
de sa femme, de ses enfants, de ses amis
entrant par cette porte.
Maintenant il voit un monde entier
passant par cette porte
de sa maison jamais-bâtie :
des hommes, des véhicules, des arbres,
des bêtes, des oiseaux, tout.
Et la porte, son rêve
s’élevant au-dessus de la terre,
se languit d’être la porte dorée du ciel ;
imagine nuages, arc-en-ciels
démons, fées et saints
passant par elle.
Mais c’est le propriétaire de l’enfer
qui attend la porte.
A présent elle désire seulement
être son arbre, plein de feuillage
ondulant dans la brise,
juste pour donner de l’ombre
à son transporteur sans abri.
Un homme marche avec une porte
Le long d’une rue de la ville
une étoile marche avec lui.
2006
(traduit du malayalam vers l’anglais par le poète)
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Koyamparambath Satchidanandan (né en mai 1946) est un poète et intellectuel indien de langue malayalam. Diplômé en littérature anglaise de l’université de Kerala et de Calicut, il enseigna comme maître de conférences durant 25 ans. En 1992, il quitta le Kerala pour prendre la direction du journal en langue anglaise « Littérature indienne », publié par l’Académie Sahitya. En 1996, il en devint le secrétaire général.
Comme poète, Satchidanandan a été salué par les critiques comme pionnier de la poésie moderne et post-moderne en malayalam. La publication de son premier recueil de poésie, Anchusooryan (Cinq soleils) en 1970 fut un événement majeur dans la littérature malayalam.
Depuis, il a publié plus de 19 recueils de poésie. Les spécialistes ont découvert trois périodes dans sa poésie : une première période de sombre introspection avec la mort comme principal motif, une phase centrale d’humanisme radical et la phase actuelle faite d’une spiritualité séculaire qui tire son inspiration de la tradition du mouvement Bhakti qu’il considère comme un mouvement spirituel de résistance et d’égalité. Toujours, il est resté conscient de la nécessité de poursuivre l’innovation formelle et l’exploration linguistique. Ses poèmes ont été publiés dans pratiquement toutes les anthologies de poésie indienne moderne et dans plusieurs anthologies de littérature mondiale comme Deux plus deux (Mylbaris, Suisse), Voices of Conscience (Londres), Index to Censorship (Londres) et Noir sur Blanc (Paris).
Koyamparambath Satchidanandan est également un grand traducteur de poésie. Il a traduit de nombreux poètes européens, latino-américains, africains et asiatiques en malayalam dont Rilke, Brecht, Lorca, Neruda, Paz, Vallejo, Zbigniew Herbert, Cavafy, Montale, Quasimodo, Ungaretti, Auden, Blok, Voznesensky, Senghor, Césaire, Amichai, Ai-Ching, Tanikawa et Chairil Anwar ainsi que du théâtre de Yeats et Bertolt Brecht. Il est l’auteur d’une pièce sur Gandhi.
(Note cipM)
Koyamparambath Satchidanandan est peut-être le plus traduit des poètes indiens contemporains, avec 23 recueils en 18 langues, dont l’anglais, l’irlandais, l’arabe, le français, l’allemand et l’italien.
En français : « Tant de vies : L’incomplet et autres poèmes » traduit par Martine Chemana, éditions Caractères (2002).
Son livre « While I write : New and Selected Poems » est sorti en 2011 chez Harper-Collins.
Satchidanandan écrit sa poésie en malayalam et la prose en malayalam et en anglais. Il a publié plus de 20 recueils de poésie, plus quelques récits de voyage, des pièces de théâtre et des critiques, dont cinq livres sur la littérature anglaise et indienne. Il a aussi publié 12 travaux en anglais et 8 en malayalam. Il est aussi édité dans de nombreuses revues, dont Indian littérature, la revue de l’Indian National Academy.
Il a représenté l’Inde dans de nombreux festivals de littérature et des salons du livre tout autour du monde (Berlin, Londres, Paris, Leipzig, Francfort, Pékin, Rotterdam, Sarajevo, New York, Lahore, Abou Dhabi, Moscou, Medellin, Delhi et Jaipur).
Il a été professeur d’anglais, puis secrétaire général de l’Indian National Academy of Literature (Sahitya Akademi) et directeur de School of Translation Studies, (Indira Gandi Open University, Delhi).
Il est membre de Kerala Sahitiya Akademi, a reçu 27 prix littéraires (dont le prix de l’Indian National Academy) ainsi que l’Ordre du mérite offert par le gouvernement italien, et la médaille de l’amitié Inde-Pologne par le gouvernement polonais.
(Note fournie par l’auteur, et traduite par Roselyne Sibille)