« Petite » et indépendante, cette maison d’édition installée dans un village des Alpes-maritimes, a plus de 20 ans d’âge et près de 250 titres à son catalogue (romans, récits, poésie et biographies, répartis en huit collections).
Dirigée par Jean Princivalle et Bernadette Griot, elle publie aujourd’hui 6 à 7 livres par an. Discrète, elle n’en est pas moins appréciée dans toute la France et en francophonie, autant par l’exigence de sa ligne éditoriale que par l’obstination de ses éditeurs à ne pas courber l’échine devant les difficultés inhérentes à un marché du livre mal adapté à sa taille.
Mini-entretien avec Bernadette Griot, co-éditrice de l’Amourier, par Roselyne Sibille
Comment est née votre maison d’édition ?
Jean Princivalle qui, en 1995, a créé la maison d’édition raconte : « Après plusieurs années d’activités intenses dans divers domaines, l’année 1994 fut pour moi quasi sabbatique et me permit de reprendre avec plaisir l’écriture et le dessin, modes d’expression privilégiés de ma jeunesse. C’est ensuite dans un mouvement naturel que j’ai souhaité rassembler, mêler, juxtaposer ces deux langages sur un même support et ainsi été conduit à faire des livres. Je passais donc cette année-là à monter un atelier, acquérir une presse, choisir des casses de caractères, trier du plomb… Le premier ouvrage, paru en mars 1995 s’intitule L’Enfant du Paillon, il propose un texte d’Alan Pelhon en écho à une sculpture publique de Derez A. Derez. » Ainsi naissait L’Amourier (le mûrier, en occitan) qui dépasse maintenant les vingt ans d’âge et les 250 titres au catalogue… L’équipe aussi s’est agrandie.
Quelles sont ses particularités ?
Nos particularités sont toujours en mouvement ! Au fil de rencontres, à force de humer les manuscrits et de garder une attention au monde comme il va, se bâtit patiemment un catalogue où l’on a privilégié la diversité, laquelle est confirmée par la contribution de chacune des neuf personnes qui constituent le comité de lecture. Hormis les critères de qualité autour desquels nous nous rassemblons, il est évident qu’autant de sensibilités différentes ne sauraient aboutir à une ligne éditoriale stricte, étroite, ni même bien définie. Certaines collections témoignent d’une aventure qui a vécu, d’autres naissent en fonction de nos sensibilités, qui, elles aussi bougent, nourries par nos lectures et les sursauts de l’époque.
Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?
Notre choix est de privilégier des écritures atypiques qui disent par exemple quelque chose du monde qui ne se dit pas ailleurs. Publier des récits qui ne soient pas des nouvelles classiques, exige qu’il y ait une écriture, une voix. C’est là-dessus que tout se base… Le préfabriqué ne nous intéresse pas, nous lui préférons l’authenticité, le travail de recherche, la présence de son auteur au surgissement de la langue…
Avez-vous plusieurs collections ?
Actuellement, nous en avons sept qui sont alimentées. Mais sur notre site, vous pouvez en compter sept autres dans lesquelles sont répartis les titres du fonds qui constituent le socle de notre travail actuel. Si, dans certaines collections nous n’en publions plus de nouveaux, c’est souvent pour des raisons économiques (livres trop chers à fabriquer). Les temps sont difficiles et les choix de nos lecteurs se portent vers des livres moins onéreux.
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
Là aussi, il y a de la diversité et… du mouvement engendré par l’histoire de la maison et celle de son comité de lecture. Longtemps, nous avons trié les nombreux manuscrits reçus par la poste (2 par jour) et organisé leur tournée auprès de nos collaborateurs. Ensuite, nous n’avons accepté que des manuscrits numériques que nous échangeons par le biais d’une plateforme ouverte en interne. Après lecture des manuscrits, une fois par mois nous nous réunissons et alors, le dialogue et la conviction personnelle sont mis à rude épreuve… Un manuscrit est retenu lorsqu’il obtient l’unanimité du comité de lecture.
Parallèlement à cela, nous éditeurs, faisons un travail de recherche qui a conduit par exemple à la réédition du Blanqui L’Enfermé, et au projet de traduction d’une biographie de Murray Bookchin pour 2018.
Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?
Ils sont nombreux… tant le travail éditorial de découvreur et de passeur au quotidien, malgré les difficultés, s’ancre dans l’enthousiasme ! Comment partager un seul souvenir, qualifié en plus de « meilleur » sans froisser quiconque de nos auteurs ? En quelque sorte, nous sommes une grande famille, peut-être qu’au soir de notre vie, l’on se souviendra d’abord de cela, cette relation chaleureuse et respectueuse qui aura tenu bien vivante la maison d’édition.
Des projets, des publications à venir ?
Le projet immédiat est la sortie la semaine prochaine d’un nouveau recueil d’Alain Freixe Contre le désert et le projet qui suivra – très important pour nous, nous y travaillons depuis presque deux ans – est la publication cet automne d’une somme d’entretiens réunis entre Bernard Noël et Alain Veinstein, tous diffusés sur France Culture entre 1979 et 2014. Voir : http://www.amourier.com/663-bernard...
À l’occasion de la sortie de ce livre, nous invitons Bernard Noël à Nice, 4 jours en novembre, dont un jour avec Alain Veinstein (voir programme sur le flyer ci-dessous).
Deux biographies suivront en 2018 : celle de Flora Zakarjevskaïa-Ivanova, qui a grandi dans un orphelinat destiné aux enfants des « ennemis du peuple » en Union Soviétique dans les années trente, puis celle de Murray Bookchin, philosophe anarchiste américain, fondateur de l’écologie sociale. Entre ces deux titres, seront publiés Marie-Hélène Bahain, Michel Diaz, Florence Pazzottu et Werner Lambersy, des auteurs fidèlement suivis par la maison.
Extraits du catalogue :
du jour au lendemain (entretiens avec Alain Veinstein) - Bernard Noël - Parution 16 octobre 2017
Alain Veinstein : Il y aurait des langues de fond comme il y a des lames de fond ? (rires)
Bernard Noël : Il y a des mouvements de langues de fond, je crois, oui… Je me demande si ce n’est pas ce qui permet que la poésie perdure. Il ne s’agit pas d’inspiration – le mot est devenu inemployable et douteux, peut-être qu’on pourra le réemployer un de ces jours – mais il me semble que, de temps en temps, le poème nous met en contact avec quelque chose d’extrêmement primitif qui dépasse complètement l’individu et qui serait l’Histoire de toute la langue. Ce qui m’intrigue peut-être le plus c’est que depuis que l’homme fabrique des mots – il doit y avoir quelques millénaires – je ne pense pas que tous ces mots sont perdus, que toute cette activité est perdue, mais qu’au contraire, elle est cette espèce de réservoir fantastique auquel parfois on accède, comme ça, par une percée, un éclat, une précipitation. Et à travers cette précipitation, il arrive que quelque chose passe qui emporte non seulement le dedans et le dehors mais aussi toutes les réserves, y compris la dérision qu’on peut avoir à l’égard du phénomène : tout ça est traversé et emporté…
Contre le désert - Alain Freixe - Septembre 2017
Dans un poème, la poésie, c’est quand l’étoffe des mots se déchire. Les pierres du chemin se perdent sous celles, plus impérieuses, de la montagne. C’est quand se dérobent les pas… Non pas que l’on tombe vraiment mais c’est quand l’on titube. Et boite. Quand soudain on a du mal à respirer parce que l’air que l’on avale est si froid que l’on ne peut plus déglutir. Que la bouche reste ouverte au son froid de l’air qui passe et ouvre quelques fenêtres au cœur qui sommeillait. Reste à laisser entrer l’air. Reprendre souffle. Et rythme. Puis, sauter, à côté toujours, et se vouer à nouveau au discontinu des mots et au cortège que l’on se doit à soi-même. À l’attention que l’on se doit quand on monte et que les mains parfois s’y mettent. Jusqu’à reprendre pied dans le jour. Petit mais qu’on nous prête encore. Fidèle comme cette lumière qui a besoin de tous les mots des poètes pour porter son miel, l’amertume de sa douceur jusqu’à nous.
L’Étreinte en sa mémoire - Christophe Bagonneau - Mai 2017
Mais je sais aussi d’expérience qu’on se réveille parfois sans que nos facultés aient encore repris leur place et se soient d’elles-mêmes recalées, comme le lorgnon devant un œil, à cette distance que la nature lui impose, celle qu’il faut ménager en nous entre l’organe de perception et l’objet sur lequel notre mémoire fera rapidement basculer ce qu’elle sait de lui (son rang, les propriétés qu’il partage avec d’autres objets, ou bien les liens que nous entretenons avec ses formes)… instinctive mise au point qui nous fait reconnaître les choses non seulement pour ce qu’elles sont, mais aussi pour ce qu’elles furent vis-à-vis de nous-mêmes dans un passé plus ou moins proche, pour ce dont nous pouvons être sûrs enfin qu’elles seront encore demain. Je sais qu’on se réveille parfois, l’esprit embrouillé et lent, et qu’il faut alors lui laisser un peu de temps afin qu’il redépose autour de lui, à la bonne place, le nom et la qualité des êtres qui surgissent ainsi de la nuit sous le voile amoindri d’un relatif anonymat. On se réveille ainsi, après un sommeil trop lourd, pierreux, inertes et brièvement traversés par des songes où l’on rêve par paquets de secondes que nous sommes encore en train de dormir. On hésite alors un instant, on reste indécis sur la géographie du lieu où l’on se trouve, sur l’heure et l’identité des visages qui se penchent sur nous ; il nous faut même certaines fois produire un effort presque surhumain pour être enfin capables de remettre sur notre “je” l’épaisseur et l’émotion qui pourront s’accorder sans la moindre fausse note avec ce “moi” (étrangement muet au réveil) que chacun porte en lui-même.
Ceux du lointain - Patricia Cottron-Daubigné - Mars 2017
c’est chez Virgile que je lis ce que je cherche dans mes mots depuis des mois. Je lis, je regarde, je cherche, je pleure, j’ai honte
j’écris. Je cherche sur tant de feuilles noircies ce que je veux dire
à l’écart
des discours comptables et coupables
à l’écart
des peurs entretenues
je trouve dans l’Énéide que je relis, la guerre, la fuite, l’errance du héros la même histoire
je lis l’exilé
accueilliChassé par le destin des bords de Troie
Il vint en Italie aux rivages
où s’élevait Lavinium *
par le destin chassé
dieux et Mycéniens jadis
prenant les terres riches d’Asie mineure
dieux et dictateurs aujourd’hui
se nourrissant du sang des hommeschassé par le destin celui des armes
massacres famines viols
terreurs et tortures
sauvage toujours la guerreles siècles n’y changent rien
il faut partir
NB : Sur ce recueil, deux notes de lectures sur Terre à ciel :
* L’une dans la chronique de Cécile Guivarch : https://www.terreaciel.net/Hep-Lect...
* L’autre à laquelle Jean Palomba a consacré la sienne : https://www.terreaciel.net/L-espere...
Quête du nom - Alain Guillard - 2016
Ma mère tricote bol de café clopes sur la table
Ses doigts comme pluie d’automne
Trissent autour de nous un halo de tristesse.
Sur le piano de zinc à l’image des pauvres
Les mélodies sont simples à retenir.
On les retient par cœur à l’image des leçons
Que je dus ânonner “ pour leur en faire voir
À ces gosses de riches avec la morve de leurs parents
Qu’on les vaut bien ! ” elle disait avec rage
Clopin clopant m’encourageant.
Il pleuvra souvent sur sa vie et la mienne.
Nous resterons pauvres à l’image de la vie
Où les mélodies sont simples à retenir
Et lisibles de loin.
Bribes - Raphaël Monticelli - 2015
(bribe LCX, p. 470-471)
À un jour de la source - Françoise Oriot - 2015
Est-ce l’été
cette érosion cette nausée ?
La colonnade du temps est rompue
et les processions s’égarent dans les futaies
Images mélangées
La parole se détisse
Les remparts s’effondrent
Le souffle ancien qui levait
les tribunes et les temples
au-dessus des jours rapides
s’épuise dans l’affliction de l’été
Les lignes deviennent sauvages
Le sel stérile conquiert les péristyles
où se formait la pensée
Les bords de la fracture
glissent l’un contre l’autre
Le dernier rouleau
serré sous son vêtement
elle est partie
Et le souffle l’a suivie.
Site des éditions : www.amourier.com
(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)