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L’Atelier des Noyers

vendredi 15 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Entretien avec Claire Delbard par Cécile Guivarch

Bonjour Claire Delbard, j’ai découvert l’Atelier des Noyers il y a peu de temps… Intriguée par une note de Clara Regy dans le dernier numéro de Terre à ciel à propos d’un livre de Marcelline Roux et Alice Alice, Vous pouvez lui parler. Cela m’a donné envie d’aller voir de plus près en visitant le site internet de votre maison
D’emblée, j’ai aimé les coquelicots comme accroche et puis une grande partie des titres m’ont parlé - ils ont un grand pouvoir évocateur. Carnets de philosophie, Carnets de Vie, Carnets de Couleurs, thèmes qui m’ont également attirée - voilà. J’ai commandé et j’aime décidément beaucoup votre travail d’édition alliant voix de poètes et regards d’artistes...

Je lis sur votre site que vous n’avez pas commencé par l’édition mais il s’agissait au départ, en 2008 de créer une structure pour « proposer des prestations de services pour le livre et acteurs culturels ». De quelles sortes de prestations s’agissait-il alors - s’agit-il aujourd’hui ? Car je suppose que tout se transforme évolue...

Bonjour Cécile et merci de l’intérêt que vous portez à notre travail. L’Atelier des Noyers est né en 2008 effectivement pour donner une existence à mes différentes activités en liaison avec le livre : recherche, conférences, ateliers, édition free-lance, enseignement à l’Université, etc. Le point commun de toutes ces activités était la passation ou le partage du savoir et de la culture sous toutes ses formes.

 

 

Je devine qu’ensuite de se lancer dans l’aventure de l’édition est devenue une nécessité, pouvez-vous nous en parler ? Pourquoi avons-nous à un moment l’envie, le besoin de mettre en valeur certaines écritures, certaines œuvres plastiques ? Est-ce que cela a été simple à mettre en place, comme dans un élan ou est-ce que se lancer dans l’édition est un art lui aussi ?

Pour expliquer ce choix, en fait, il faut le recontextualiser avec mon parcours de vie. Je suis née et ai vécu à Paris jusqu’en 2003. J’ai appris et exercé le métier d’éditrice dans le secteur de la jeunesse puis du scolaire. Quand nous nous sommes installés avec mon mari et les enfants en Bourgogne en 2003, j’ai d’abord pris une année de congé pour terminer mon doctorat d’histoire culturelle sous la direction de Jean-Yves Mollier. En fait, j’exerçais depuis 10 ans le métier d’éditrice et j’ai eu envie de comprendre les rouages de montage de collection et décidé de faire une recherche sur la collection Castor poche. De fil en aiguille, créer sa propre structure est devenu une façon de pouvoir avoir les coudées franches et être libre de mes choix. Mais il aura fallu un accident de parcours pour précipiter les choses (un non-renouvellement de poste à la fac) et fin 2016 sont effectivement nés les 3 premiers livres autour de trois axes que sont les Carnets de Vie, de Couleurs, de Philo. D’autres axes sont venus depuis enrichir et ouvrir les premiers.
Je ne peux pas parler pour mes confrères, mais pour moi l’envie de se lancer s’est imposée comme une évidence. Par tempérament, il ne m’est pas compliqué d’aller de l’avant, si problème il doit y avoir, c’est plutôt sur le freinage que sur le démarrage. Je ne suis pas partie sans réflexion puisque la conception et le montage a duré presque un an et que nous avons testé le prototype des Carnets auprès de notre entourage et d’un panel de professionnels et amis du livre et de la poésie.

Je ne sais pas si je suis la mieux placée pour analyser de façon critique nos choix, mais je peux dire ce qui, rétrospectivement a porté la démarche. C’est le choc de ce qui s’est passé en novembre 2015 avec les attentats qui a été le catalyseur de la création des éditions, avec le premier titre Novembre. Oui, il fallait que chacun trouve une réponse au non-sens du monde et la réponse qui s’est imposée à moi a été de créer cette collection. Si les Carnets permettent une petite fenêtre d’ouverture sur le Beau, une forme de respiration, une certaine vision du monde, alors on aura fait notre travail.
Pour définir l’envie, il y a le besoin de montrer le Beau, sans conteste, l’envie de faire ensemble, aussi car j’aime le collectif, le vrai, celui qui nous hisse et nous porte au-delà de nous-mêmes, l’envie de faire dialoguer les Arts, sans aucun doute, le concept de nos collections est celui de la rencontre des Arts, du dialogue. En fait je crois qu’on édite pour proposer une Vision.
Mes goûts littéraires et graphiques, l’ADN de l’Atelier Des Noyers, sans mauvais jeu de mots et malgré moi, c’est de façon évidente une forme d’éclectisme et de grande curiosité, d’ouverture aussi j’espère.

 

 

Vous proposez des livres qui réunissent poète et plasticien. Que représente pour vous la mise en regard de ces deux arts ? Comment mettez-vous ces artistes en relation, à moins qu’ils viennent à vous sans avoir besoin de créer la rencontre ? Comment alors se compose un livre ?

Oui dans la plupart des cas, c’est une rencontre de deux univers, il y a néanmoins quelques exceptions dans le catalogue, 3 ou 4 titres où auteur et plasticien sont une seule et même personne, mais majoritairement, c’est la rencontre, et plus exactement la première rencontre qui m’intéresse, retrouver l’émotion des premières fois, sans doute. La particularité est que le texte peut arriver avant, l’univers graphique peut arriver avant, ou l’ensemble se construire petit à petit, voire même à quatre mains où auteur et artiste plasticien écrivent et peignent à tour de rôle (dans Un même toit, par exemple). Chaque livre est une aventure différente. Je considère le travail éditorial comme un triptyque avec texte, image, et un tiers séparateur et unificateur : l’éditeur qui est là pour faire dialoguer, pour faire accoucher dans certains cas… C’est différent selon chaque projet, pour certains titres, le livre se construit presque tout seul, pour d’autres livres la maturation sera plus lente, c’est spécifique à chaque fois et c’est ce qui rend le métier passionnant.
L’éditeur est pour moi garant de l’orientation de sa maison d’édition et de ses collections, de ses choix graphiques, des typos, des choix de répartitions des blancs, des maquettes. Chez nous, c’est Céline, la même maquettiste, qui réalise ce travail pour l’Atelier des Noyers depuis la création de la collection, et c’est l’imprimerie Dicolor qui imprime tous nos livres. On prend souvent l’image du chef d’orchestre pour décrire le travail de l’éditeur, elle est assez juste : faire jouer tous les instruments en harmonie : chez nous texte images maquette…. Si un seul instrument manque à l’appel alors la symphonie ne sonnera pas juste…

 

 

Vous avez démarré avec trois univers : Carnets de philosophie, Carnets de Vie, Carnets de Couleurs. Ces titres de collections sont très évocateurs. Pouvez-vous nous parler un peu de ces univers, de ce que représentent pour vous la philosophie, la vie, les couleurs... Et pourquoi des carnets ? Est-ce qu’en cela l’art est ainsi célébré et par le même biais la vie ?

Carnets de philo est une collection qui souhaite mettre à portée d’un large public une question philosophique : je ne parle pas de vulgarisation car je trouve le terme péjoratif, je préfère le terme grande question ou question universelle : le premier Grandir, puis est venu S’émouvoir, et nous venons de sortir un Chaque aurore te restera première qui porte sur le fil et le sens de la vie.

Carnets de Vie est sans doute la collection la plus large dans le sens où toutes les expériences de Vie pourront y être présentes, pour autant qu’elles touchent une part d’universel dans une langue et une poésie singulière.

Carnets de couleurs regarde le monde avec une paire de lunettes colorées : Des bleus à l’âme du Carnet de bleus à La vie en vert, en passant par De rouge et d’encre, toutes les sensibilités peuvent y être accueillies, de la plus légère à la plus grave. À ce jour, nous avons fait le choix d’éditer un carnet par couleur mais nous ne fermons pas la porte à un deuxième carnet sur une couleur si un projet vient nous convaincre.

La forme du Carnet est pour moi un format intimiste, adapté à la poche, pour se glisser dans le sac, sur la table de nuit ou le petit cadeau…. C’est la forme privilégiée du dialogue avec soi. Pour moi l’Art est une vision du monde, une façon de rendre ce dernier supportable, et je crois que la forme de petit carnet est bien adaptée pour la rencontre de l’intime en poésie.

Dans les titres du catalogue, les couleurs sont donc présentes (Carnet de bleus, Au gré du gris des jours, La vie en vert, Noir, Carnet Ocre, Blanc comme la neige, De rouge et d’encre, Roses, L’heure violette, Cœur d’orange, Voyage du petit bleu...), les saisons sont présentes avec le temps, la vie qui passe - les fleurs aussi présentes avec le coquelicot, les roses, les violettes, de la nostalgie, de l’émotion, des voyages, du rêve, de la lumière, de l’espace. Je suppose que vous y êtes pour quelque chose dans le choix de ces titres ? Ou bien que vous avez une idée de ce que vous souhaitez publier. Mais un titre... Pour vous ? Quelle importance lui accordez-vous ? Est-ce qu’il vous influence ?

Oui vous avez bien compris, une partie de nous autres éditeurs se trouve cachée derrière les titres souvent : on peut se « planquer » derrière son petit doigt ou avoir l’humilité de l’avouer, un éditeur est inévitablement présent dans son catalogue, de façon plus ou moins masquée ou assumée mais oui, nous mettons en avant des œuvres qui parlent à notre âme en secret, alors on peut bien parler de courant littéraire, d’analyse critique de tout ce que l’on veut, mais il faut avouer que nous sommes là aussi, présents dans notre travail par les choix que nous faisons. Et c’est bien ainsi.

Pour la question précise du choix des titres, c’est un choix capital en effet, c’est même la première entrée dans l’objet. L’éditeur a certes le dernier mot puisque c’est lui qui est juridiquement responsable, mais, en poésie encore plus qu’ailleurs, le titre est partie prenante de la création de l’auteur, et en principe, nous l’accueillons avec l’œuvre, sauf, et c’est arrivé quelquefois dans notre catalogue, où un titre ne convient pas, quand par exemple un titre trop proche est paru chez un confère ou quand le titre proposé ne donne pas la pleine mesure du contenu. Dans ce cas, on discute et on cherche une meilleure solution. En édition, la bonne solution, est, je suis intimement persuadée celle qui fait consensus et convient au trois (auteur-plasticien-éditeur). Un projet qui n’est pas porté par les trois parties aura plus de mal à trouver sa place, il nous faut chercher jusqu’à trouver ce consensus-là.
Enfin, quand je reçois des manuscrits, oui, le titre proposé va déjà me donner envie, ou non, d’ouvrir le manuscrit, pour le livre, c’est exactement la même chose.

 

 

Vous semblez également avoir une ouverture sur le monde. Je vois des poètes francophones du Québec comme Diane Régimbald ou Louise Dupré ou Denise Desautels. Mais également des voix avec leur traduction, en version bilingue. Ce livre par exemple Pour la lumière dans l’espace d’Eva-Maria Berg et Matthieu Louvrier. Pourquoi cette voix ? Pourquoi ce livre ? Comment l’avez-vous découverte ? Et je parlais de nos amies québécoises, je suppose que ces voix rencontrent en vous quelques particularités. Peut-être avez-vous envie d’en parler ?

Quand on essaie d’habiter en poète, en éditant de la poésie, la question de l’ouverture ne devrait même pas se poser : elle est par essence-même, la poésie est ouverture. Alors c’est effectivement le frein du principe de réalité qui ralentit les publications de tous les horizons chez nous, de tous pays : je fonctionne aux coups de cœur et en fonction de ma sensibilité. Pour le Québec, je connais Denise Desautels et son travail depuis presque 30 ans, puis j’ai ensuite rencontré l’univers de Louise Dupré, puis celui de Diane Régimbald… des rencontres d’affinités littéraires et humaines électives.
Étant philosophe et germaniste de formation initiale, la rencontre avec Eva-Maria Berg, au hasard du salon de Cluny et du Marché de la poésie à Paris, a été sous le signe de l’évidence et de la reconnaissance immédiate. Je ne saurai l’expliquer autrement.
Pour la rencontre avec la poésie slovène, c’est parce que Tinqueux, c’est parce que Mateja Bitzak-Petit, parce que c’était elle, parce que c’était moi, c’est aussi simple que cela pour la naissance du Petit plus et aussi et surtout par ce que je suis admirative de son travail poétique et de sa façon d’exercer la médiation.

Votre catalogue contient également des livres qui sont tout public, je pense à La bataille des coquelicots, Les Z’humeurs de Georgette, dont vous êtes l’auteure. Selon vous c’est important semble-t-il que les enfants lisent de la poésie ? En quoi est-ce important ?

Je distingue ma casquette d’éditrice de celle d’auteur mais je réponds avec ces deux dernières que oui, la poésie est capitale pour l’entrée en culture. Elle est même en prise directe avec une croissance dans l’harmonie du tout-petit. On peut, j’oserais même dire -on devrait - lire de la poésie aux tout-petits, aux bébés-poètes naturellement comme on dit les bébés-lecteurs, car une entrée dans le monde en musique de la langue est quand même un meilleur bagage pour supporter ensuite la cacophonie. Donner à entendre la musique poétique de la langue, de la nature, de la beauté du monde, c’est un instrument puissant pour éduquer. La poésie développe l’empathie, l’universel et tout ce qui relie.

J’ai acheté un lot de cartes postales, ce sont les œuvres présentes dans les livres. Je trouve que c’est une belle façon de détacher l’artiste du livre, des mots du poète qui l’a accompagné. La rencontre avec ces artistes, vous nous en parlez ?

La rencontre avec les artistes plasticiens est une des grandes joies de ce métier. Le choix de proposer des cartes postales et des tirages numériques numérotés signés est une forme de prolongement du travail réalisé pour le livre : il permet aux images de voyager, et souvent les amateurs de Carnets sont des personnes de tradition épistolaire ; les A4 eux sont une possibilité de proposer en bibliothèque entre autres ou pour les rencontres, des formats plus grands et plus adaptés à la médiation. Et de façon plus pragmatique, ces deux formats permettent aux artistes de toucher des droits plus importants que ceux des petits tirages de livres de poésie.

 

Copyright photo : Centre de Créations pour l’enfance, Tinqueux, 2020, Nina Medved

 

L’impression que j’ai de L’Atelier des Noyers est que cela doit être une belle aventure, et j’espère qu’elle va continuer encore et encore. Mais de cette aventure déjà passée, avez-vous un beau souvenir, une belle collaboration dont vous souhaitez particulièrement parler ?

Oui je peux faire état de la joie de l’aventure qui se construit au jour le jour et cela permettra de mieux comprendre comment nous travaillons. Dès la fin de la première année, des propositions de prolongements à nos titres ont vu le jour, et c’est une chose que je n‘avais pas anticipée, ni conçue, ni même espérée : une lecture dansée de Grandir, une lecture musicale de Au gré du gris de jours…. De fil en aiguille, les nouvelles formes ont vu le jour de titres qui sortaient en parallèle ou qui se développaient avec d’autres petites formes. C’est Allan Ryan, avec qui je suis associée, qui s’occupe de tout le développement des éditions pour les autres formes que le livre : lectures musicales, expositions, ateliers, livres à la manière de, etc… C’est une belle et fructueuse association de compétences différentes, une aventure humaine aussi.

Et avant de vous quitter, de vous remercier pour ce temps passé ensemble, peut-être avez-vous envie de nous parler de vos projets à venir ?

Oui, même si en ce moment, c’est un peu compliqué de parler de l’avenir, en raison du quasi-arrêt de la médiation et de la présentation de nos ouvrages en raison des conditions sanitaires. La réouverture des salons, événements, librairies est vitale pour notre secteur, car la poésie se partage et nous avons besoin de montrer les livres, les auteurs et les plasticiens de les présenter.
Nous venons de sortir une nouvelle collection, Horizons, et deux voire trois autres collections sont en cours d’élaboration, de conception, et sont confiées à des directeurs et directrice de collection de confiance, trois personnes qui sont déjà présentes dans notre catalogue. Si tout va bien, nous aurons de nouveaux enfants de papier à vous présenter au prochain Marché de la Poésie. Pour terminer, réussir à fédérer en 4 ans un catalogue de plus de 50 titres avec plus de 30 auteurs et autant de plasticiens, c’est un travail conséquent mais qui n’a pu se faire que grâce à tous, auteurs, plasticiens, maquettiste, éditrice, imprimeur, médiateurs. Le collectif au sens noble du terme.
J’en profite pour remercier toutes les personnes qui contribuent de près ou de loin à la vie de notre petite structure, à commencer par mon conjoint, Olivier Delbard, auteur, poète et traducteur, qui sillonne les routes avec moi, Allan Ryan, auteur-compositeur-interprète et directeur du collectif Laure et Amon, partie prenante de l’Atelier, tous les auteurs et plasticiens, tous les lieux de vie du livre (librairies, bibliothèques) sans qui notre travail est vain. La poésie ne vit que si elle rencontre ses lecteurs. Merci à tous, qui nous donnent l’énergie de continuer, même quand la tempête est là, pour que la lumière du phare reste allumée.

Retrouvez-nous sur :
Site Atelier des Noyers : www.atelierdesnoyers.fr
Page facebook L’Atelier des Noyers
Le site Laure et Amon : www.laureetamon.com, rubrique/onglet : médiation/ateliers/créations « à la manière de… »


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