Conversation à bâtons rompus avec Angélique Condominas, sans bâton et la conversation ne fait que commencer…
Tu m’as demandé ce que nous faisons et pourquoi :
Ce que nous faisons : nous organisons un appel à livres annuel, que nous diffusons avec nos petits bras à travers un petit pays (qu’on pourrait appeler la France mais qui s’ouvre à toute la francophonie. Un petit pays avec des portes ouvertes, donc).
C’est un appel à textes. Mais ces textes doivent – c’est la règle – être auto-édités par chaque auteur en un exemplaire unique au format Poids plume, c’est-à-dire dans un petit livre au format A7 constitué d’une feuille A4 coupée et pliée selon un maquettage astucieux que nous avons piqué à l’école Freinet.
Les livres que nous recevons (303 en 2020), nous les lisons, bien sûr, et un comité de lecture se réunit pour définir la Collec’ Poids plume de l’année. Cette année, il y avait au comité de lecture Gaïd Le Gall, Gaby Drougat, Marlène Tissot, Anne Jullien, Sophie Lacroix, Séverine Delahaye, Frank Schluk et moi. Nous avons retenu 59 œuvres parmi les 303 livres reçus.
Puis, nous éditons chaque livre retenu en 200 exemplaires (±, ça dépend des années. L’idée étant que nous publiions pour finir 10 000 livres en tout, donc cette année, c’était 170 exemplaires de chaque livre car 170 X 59 = 10 030)
Ces dix mille livres poèmes sont ensuite assemblés sous la forme de collections – celle que tu as reçue – donc cette année 170 collections – et acheminés vers des passeurs et passeuses de poèmes.
La collection de l’année paraît le jour de l’ouverture du printemps des poètes. Cette année, c’était le 13 mars.
Tu m’as demandé qui sont les passeurs de poèmes
Les passeurs de poèmes ont pour mission d’offrir les livres poèmes jusqu’à épuisement de leur stock aux lecteurs et aux lectrices. De façon généreuse et incitatrice. En expliquant la dimension du cadeau : un auteur qui crée et offre un livre poème, un éditeur qui publie et un passeur qui passe. Le lecteur, lui, offre sa considération et sa lecture. Chacun offre donc quelque chose.
Cette initiative est renouvelée chaque année. Elle s’appelle Poids plume.
Pourquoi nous le faisons : pour éditer et diffuser 10 000 livres gratuits chaque année. Des livres porteurs d’une parole poétique libre, plurielle et populaire. Dix mille livres cadeaux, distribués aux lecteurs et aux lectrices par tout un réseau de passeurs de poèmes qui s’étoffe et qui évolue au fil des ans. Histoire de faire circuler la poésie.
Oui mais pourquoi pourquoi ?
Parce qu’on est « fan » de poésie. Celle des poètes, bien sûr, mais aussi celle des arbres, des rues, des ruisseaux, des cours de récrés, des cités, et surtout, surtout, celle des gens de la vie de tous les jours : leur langue singulière, leur parole créative. Depuis 15 ans, Frank et moi – j’ai oublié de te parler de Frank : Frank c’est mon compagnon dans la vie et sur scène, avec qui je fais la route des concerts (quand il y en a) depuis 2007 – donc depuis 15 ans, Frank et moi avons l’occasion de rencontrer des personnes très différentes dans des contextes très divers : écoles, bibliothèques, collèges, hôpitaux, centres sociaux, Ehpads… et nous les invitons à écrire puis à dire des poèmes, leurs poèmes. Et Frank musique les textes qui sont dits sur scène par leurs auteurs. Depuis 15 ans, donc, nous assistons à des floraisons de paroles roc, arbre ou fétu. Cris ou chuchotements. Chants ou pleurs. Éclats de rire, hymnes à la joie aussi. La poésie de nos contemporains, ceux qui, la plupart du temps, ne sont pas dans les livres. Ceux qu’il faut parfois rassurer quant à leur statut devant la langue statue (telle qu’il arrive qu’elle soit perçue, la langue des poètes, hélas). Ceux et celles à qui il faut dire si, si, écris et dis, ça vaut le coup et c’est unique, c’est même un cadeau que tu nous fais. Et souvent, après la brassée d’émotion, la petite légèreté aux yeux et à l’âme que nous laisse une scène ouverte de poésie vivante mise en musique, on rentre en se disant que fichtre, certains de ces textes-là, ils mériteraient de trouver lecteurs au-delà de l’éphémère d’une scène d’un soir. Certains des textes entendus là, ils vaudraient bien un livre. Pour trouver d’autres yeux d’autres âmes d’autres échos. Pour semer de leurs petites pattes de mouche comme on réensemencerait une terre fatiguée par la monoculture.
Oui mais pourquoi pourquoi pourquoi ?
Un jour, on a trouvé, va savoir pourquoi, la liberté d’expression plus menacée que jamais. C’était en janvier 2015. On s’est dit alors que c’était le moment de mettre notre petite pierre à l’édifice de la pluralité des paroles à transmettre et à lire. On a imaginé une collecte gigantesque de paroles minuscules (ou une collecte minuscule de paroles gigantesques, ça dépend des jours où on regarde la Collec’) et une diffusion grand format de livres tout petits. On a rêvé ça gratuit et ouvert à toutes et tous : les poètes édité.es bien sûr, comme toi, par exemple, mais aussi et surtout, les poètes inédits, ceux qui pensent qu’ils ne sont pas invités à la table des « vrais » auteurs. Pour que tous.tes, on écrive, pour que tous.tes, on lise. Pour que ça fleurisse, que ça flamboie, sans complexe et avec désir, inventivité et jubilation. On a organisé ça pour le plaisir, mais avec l’intuition quand même d’une certaine urgence. Inviter la parole, toutes les paroles, et de tous les âges. La publier, la diffuser, l’offrir. Avant que. Quoi, on ne sait pas trop, ou alors si mais ça prendrait des plombes à écrire ici.
Comment et avec qui ?
Nous avons quelques complices artistiques avec qui on a filé des jours chouettes en poésie et en musique. On leur a parlé de ce projet un peu fou-fou. Il s’agit de Nina Gomez, Brigitte Agulhon et Loïc Bouyer. Ils sont montés dans la barque de l’édition Poids Plume dès la première année, 2015, et ont constitué avec nous deux le comité de lecture initial. Ils ont aussi bénévolé et mis la main au porte-monnaie pour cofinancer avec nous la toute première édition.
Et puis on s’est assuré le support logistique de l’association Mots Nomades production dont l’objet est plutôt de produire nos concerts, mais qui, pour l’occasion, a élargi ses statuts à l’édition.
Et depuis 2015, donc, Poids plume organise un appel à texte, édite et diffuse 10 000 livres poèmes gratuits par an.
Un réseau de bénévoles s’est constitué : ce sont pour la plupart des habitants de La Rochelle et ses environs. Ils viennent assembler les collections, fabriquer de petits présentoirs en carton décorés, emballer les colis qui partent un peu dans toute la France. C’est un.e bénévole qui scanne toutes les œuvres reçues, une autre bénévole qui maquette les livres poèmes (mise au format des scans, insertion des mentions d’éditeur, préparation des fichiers pour l’imprimeur), une autre qui propose les images qui serviront de visuel pour l’affiche, un autre qui fait le dépôt légal à la BnF...Il y a une bonne vingtaine de personnes qui s’agite pour que le projet puisse se faire.
Un réseau de passeurs de poèmes s’est tissé, de même. Citons les plus anciens et les plus fidèles : Gaïd Le Gall et toutes les médiathèques de Gennevilliers, et puis aujourd’hui celle de Plounevez-Lochrist ; Sophie Lacoste-Bost, et le centre intermédiathèque des hôpitaux de Paris ; les médiathèques de quartier de La Rochelle ; le magasin de primeurs Julie-Fruits à La Rochelle ; la maison de quartier de Port-Neuf, l’OCCE17 ; la bibliothèque de La Couarde sur mer sur l’Île de Ré ; Pascale Goze des éditions Lunatique en Bretagne…
Cette année, nous recensons pas moins de 40 passeuses - passeurs de poèmes, et les lieux de diffusion s’étendent de la Normandie à l’Ariège pour l’axe Nord-Sud et de La Rochelle à la Savoie pour l’axe Ouest-Est.
Et les sous alors ?
Poids plume a peu de moyens. En fait, l’édition est financée par les passeurs de poèmes, que l’on sollicite et qui participent facultativement, en donnant une somme qu’ils définissent librement.
On organise parfois une collecte sur Internet pour nous aider à joindre les deux bouts.
Il y a de temps en temps un financeur public qui se glisse sur la ligne budgétaire, comme le conseil départemental de la Charente Maritime. Et il y a surtout les fonds propres de l’association Mots Nomades. On a cherché par le passé à obtenir des aides du CNL, de la DRAC ou de la Région. Mais les livres étant gratuits, il nous est répondu que Poids plume n’entre pas dans l’économie du livre. Un livre à zéro euro n’entre pas dans l’économie du livre. Mais c’est quand même un livre ! Avec un coût de fabrication. Du coup, j’ai écrit un Manifeste Poids plume, préfacé par Marlène Tissot, qui est vendu à 10€. Les produits de sa vente sont destinés à financer l’édition. Les lecteurs n’ont plus qu’à en faire un best-seller et Poids plume coulera des jours heureux sans plus remettre en question chaque année sa faisabilité ☺ ! On peut se le procurer en allant cliquer par ici
ou en écrivant un mail à l’adresse suivante : poemespoidsplume@gmail.com
Marrainage !
Marlène Tissot est la première écrivaine à nous avoir fait part de son envie de devenir passeuse de poèmes Poids plume dans le cadre de ses rencontres d’autrice. Elle-même a été publiée dans les collec’ Poids plume 2017, 2018 et 2019.
Donc chaque année, elle reçoit des collec’ qu’elle offre aux lecteurs qu’elle rencontre : des gamins, des gens de tous les âges rencontrés lors de ses rendez-vous littéraires, des résidents d’EHPAD, des SDF à qui elle va offrir un brin de lecture à voix haute les soirs de grand froid ou de grand seul qui parfois sont les mêmes.
Cette année, on a souhaité célébrer de notre petite façon son compagnonnage en lui demandant d’être la marraine de l’édition 2021. Ce qu’elle a accepté avec joie. Ce que nous arborons avec fierté.
Il y a aussi Anne Jullien, poète, qui passe le poème Poids plume dans son collège, depuis le presque tout début, avec sa casquette d’enseignante, et qui a été publiée dans Poids plume 2017, 2018 et 2019.
Albane Gellé rejoint incessamment ce réseau de poètes passeuses de poèmes. Et d’autres poètes à venir. Sans doute. On l’espère. C’est chouette quand un poète devient passeur Poids plume. Chaud au cœur !
Voilà, tu sais tout ou presque…
Avec la complicité de Clara Regy
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