Entretien avec Patricia Audo & Rémy Peray, par Cécile Guivarch - suivi d’une écoute de deux textes de Cécile Guivarch
Bonjour cher Patricia Audo & Rémy Peray , pouvez-vous nous parler de L’écrit du son ? Quelle est votre démarche et comment vous est apparu la nécessité de mettre en œuvre ces spectacles sonores ?
Nous avons co-fondé L’Écrit du son en 2008. Nous sommes deux, Patricia lectrice à voix haute est tailleuse de mots d’auteurs, de tissus chinés, de papiers trouvés, toujours à la recherche de matières oubliées, de mots à partager. Rémy Peray, créateur sonore est tailleur de sons sur mesure, manipulateur d’oscillateurs, toujours à la recherche du son perdu, de l’échantillon inversé. À l’époque nous avions travaillé l’un et l’autre dans le milieu socio-culturel. Médiathèque jeune public pour Patricia et direction de maison de quartier puis d’un théâtre municipal pour Rémy. L’éducation populaire et la culture étaient dans notre ADN. Quand nous avons fondé notre Cie, il nous a semblé évident que la transmission au plus grand nombre de nos deux passions, la poésie contemporaine et la musique électro-acoustique, devait être au centre de notre démarche. Nous sommes des passeurs.
Vous explorez les résonances entre les mots, les sons et les arts plastiques. Si vous nous en disiez en peu plus ? Comment les mots et les sons sont-ils liés selon vous ? Et comment pouvons-nous les lier aux arts plastiques ?
Les sons et les mots sont liés par ce qu’ils nous racontent. Ce sont deux langages différents mais qui peuvent se compléter. Les mots utilisés, juxtaposés, la musicalité de la langue, le phrasé, le sens ou le non-sens d’un poème, d’un texte nous ouvrent un espace mental. Nous sommes moins habitués à prendre le temps d’écouter un son. Notre travail est de permettre à l’auditeur, à travers nos propositions, de découvrir le langage du sonore, ses matières, sa rugosité, sa lenteur, son intemporalité. Les sons permettent de créer des espaces où les mots vont avoir le temps de se poser, de respirer, de résonner en nous.
Notre lien avec l’art plastique à évoluer depuis 2008. Dans les spectacles et les ateliers que nous proposions à l’époque, il était un troisième langage venant se superposer aux mots et aux sons. Depuis 5 ans nous ne produisons plus de spectacles jeune public ni d’atelier d’art plastique.
Nous collaborons depuis 13 ans avec la plasticienne Florane Blanche. Depuis 2018 nous avons amorcé ensemble une autre démarche. Nous mettons en place des installations In Situ mêlant art plastique, art sonore et poésie contemporaine. En 2020 nous avons présenté Cartographie à cœur ouvert à la médiathèque de Cherbourg accompagné de deux hors les murs. Cette installation était composée d’une accumulation de linogravures représentant le cœur/organe envisagé comme un territoire avec ses entrées et ses sorties. L’espace devenait un territoire graphique où le visiteur était immergé dans un univers sonore. Ce travail interrogeait l’état actuel de nos sociétés : exil, migration, murs, frontières… Au travers de poèmes, de phrases, de citations et d’entretiens, un regard multiple était proposé sur ces questions d’actualité. https://vimeo.com/477176294 (lien présentation Cartographie à cœur ouvert)
Quels genres de spectacles proposez-vous ? Et dans quels lieux ?
À la création de la Cie nous proposions des spectacles jeune public en son immersif (8 enceintes entouraient les spectateurs), des ateliers réunissant art sonore et art plastique et nous réalisions des recueils de parole. En 2009, la poésie contemporaine et les arts numériques sont venus enrichir nos propositions artistiques. Plusieurs dispositifs ont été réalisés. Poésie vagabonde est une adresse à une personne, par une lectrice et un musicien durant une minute. Nous déambulons dans tous types de lieux, médiathèque, bâtiments publics. En 2021, l’agglomération de Caen la mer, nous a sollicité pour proposer ce dispositif dans les bus et tramway et dans la rue de l’agglomération durant 8 jours. Poëtik Machine sont des installations sonores interactives permettant l’écoute d’enregistrements réalisés avec des publics (poésie, parole, témoignage).
Depuis 5 ans nous avons recentré nos activités autour de la poésie contemporaine, des arts sonores et du recueil de parole présenté sous forme d’installation sonore.
Le dernier dispositif que nous avons créé Au creux de votre oreille en 2018 est une lecture immersive. Sous casque, chaque spectateur perçoit les chuchotements et glissements, les silences et respirations joués pour lui. Les sons sont spatialisés afin de plonger l’auditeur dans un environnement sonore mouvant et captivant.
Enfin depuis 2020 nous avons réalisé la mise en son et en mouvement de la collection Petit va ! éditée par le Centre de Création jeunesse de Tinqueux, ainsi que du recueil Poèmes par-dessus les toits de Pierre Soletti aux éditions du Port a jauni. https://vimeo.com/565540120 (lien présentation Cie)
Quels sont vos meilleurs souvenirs avec L’écrit du son ?
Forcément il y en a beaucoup...
Un souvenir qui nous émerveille encore et toujours, est ce silence, habité par le regard bienveillant et heureux des auditeurs à la fin de chaque séance de Au creux de votre oreille. Le temps est dans une sorte d’apesanteur, les spectateurs réouvrent leurs paupières, hésitent à retirer leur casque comme pour prolonger encore un peu cette parenthèse offerte. Le sourire qui envahit les visages Juste magique.
Un autre moment que nous adorons est le recueil de paroles. La fin de l’entretien, où chacun ressent l’importance des paroles confiées, de l’intimité partagée. Ce temps suspendu où l’écoute et la transmission ont remis l’humain au centre de nos existences.
Et enfin les rencontres avec l’autre...
Et la fête de la poésie jeunesse à Tinqueux qui revient tous les ans et où l’on retrouve tous les amis.
La fête de la poésie jeunesse organisée par le Centre National pour L’enfance à Tinqueux, qu’est-ce que cela représente pour vous de toucher un public jeunesse (mais pas que) ?
On ne fait pas de différence entre public adulte et enfant (hormis le corpus parfois) nous sommes autant comblé lorsqu’on a pu ouvrir une porte ou une fenêtre dans la tête de quelqu’un. Qu’il soit adulte ou enfant.
Permettre au jeune public de rencontrer la poésie contemporaine et la musique électroacoustique, de les sensibiliser à ces moyens d’expression est primordial toujours encore et encore. Cela doit s’inscrire dans un temps long, comme le fait le centre de création pour l’enfance à Tinqueux. Nous sommes intervenus durant le printemps des poètes de 2013 à 2017 dans une ville des Yvelines. Nous proposions des Brigades d’Intervention Poétique durant 5 jours dans les classes. La première année 3 écoles s’était inscrites, 5 ans après tous les groupes scolaires (sauf un) étaient inscrits (50 classes environ) . Les CP que nous avions touché la première année étaient devenu des CM2 la dernière année. Une des classes de CM2 pour nous remercier de ces années passées avec eux nous ont offert des cadeaux : poèmes, dessins, objets... En retour nous leur avons offert une clé Usb avec des poèmes enregistrés. Cette clé était dans un bocal, dissimulée au milieu de pages d’un livre découpé en petits rectangles. 15 jours après nous avons eu un retour de l’enseignant. Les enfants, persuadés que ces papiers découpés venant de nous ne pouvaient être que poème, ce sont évertués tous les jours, durant les interclasses, à reconstituer ce poème virtuel. La magie du temps long...
Quel plaisir prenez-vous à mettre en son la poésie ? Que pensez-vous que cela provoque chez les auditeurs ?
Les dispositifs que nous avons élaborés (Poésie vagabonde et Au creux de votre oreille) permettent une adresse à une personne. C’est le principe même de Poésie vagabonde. En ce qui concerne Au creux de votre oreille Patricia lors de ces lectures immersives, a la sensation de lire à une personne à travers le casque, même si nous sommes 45 personnes dans la même temporalité partagée. L’auditeur dans ces deux types de présentation nous a très souvent fait part de cette sensation. Le poème lui était adressé spécifiquement. Le fait d’avoir ces environnements sonores qui accompagnent la lecture, permet aussi à l’auditeur de se créer une bulle et de se concentrer pleinement sur les mots qui lui sont offerts.
Pouvez-vous nous parler plus largement de votre travail et de vos projets ?
Nous serons présents durant le premier semestre 2024 à la fête de la poésie jeunesse à Tinqueux, au salon du livre jeunesse à Cherbourg, au festival du livre audio et au festival du livre audio francophone à Strasbourg, au festival Ma parole » dans le département du Calvados.
Plusieurs projets sont en préparation pour 2024/2025.
Nous préparons des lectures immersives Au creux de votre oreille autour de thématiques. Les arbres, l’air, le minéral sont les premières pistes que nous souhaitons explorer.
Nous souhaitons mettre en place des lectures bilingues, ce projet amorcé il y a plus d’un an, suite à l’enregistrement de Poèmes par-dessus les toits en lecture français / arabe, est pour l’instant en pause. Nous avons proposé l’an passé une lecture franco/slovène autour d’un recueil de Svetlana Makarovič, Dans une autre clarté aux Éditions franco/slovène.
Nous préparons un recueil de parole sur 3 paysans maraîchers avec la photographe Marie-Nevoux Valogne pour une commune de la côte de Nacre.
Nous travaillions également sur un nouveau projet avec la plasticienne Florane Blanche Basculer au bord du monde composé de plusieurs modules. Ce projet interroge l’altérité ainsi que la notion de territoire. Nous comprenons à nos dépends que nous ne pouvons plus penser la nature d’un côté et l’être humain de l’autre. Nous sommes un tout.
L’autre projet sur lequel nous travaillons actuellement, et non des moindres, est la création d’une maison d’édition de livre audio pour la poésie contemporaine. Elle sera composée de 3 collections. Une collection adulte (française et/ou bilingue), une collection jeunesse et une collection « portrait d’auteur ». Nous n’en sommes qu’au tout début. Nous avons encore une multitude de détails à penser, à régler. Mais nous sommes entousiasmés par cette perspective. Nous souhaiterions pouvoir la faire naître en 2025. à suivre donc...
Deux textes de Cécile Guivarch à écouter - Regarde comme elle est belle lu par Patricia Audo, Tourner rond, lu par Cécile Guivarch - Création sonore Rémy Peray - L’écrit du son
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