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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (Avril 2014)

vendredi 21 février 2014, par Roselyne Sibille

Faut voir de Didier Delahais Editions Moires (Collection Clotho)

faut voir un petit livre rose pâle qui prend la parle enfin qui ose la prendre qui tient le coup de la prendre sans la tordre non un petit livre tout fin finaud qui prend la parle quoi au quotidien qui nous la fait voir et tendre l’oreille entendre la parle de tous les jours il est pâle et rose avec une bouche aux lèvres claires et un drelin drelin un zinzin tout derrière qui serine dans le pré le peu mais non pas l’à peu près le proche presque beige ce petit livre rose et pâle comme une aube ou un couchant en toute apparente simplicité 63 pages et 29 titres tout brefs et autant de petits pavés de textes déponctués il se dit le petit livre rose pâle en monologuant s’interrompant nous interlocutant parfois mais toujours reprenant par bifurcation ou petits emboîtements de rien au fil de ça parle qui roule vacillant flot bon à tout prendre au bord du rire tout près des larmes à avaler et valeureux tout en auto-persuasion il va au bout le petit livre rose pâle toujours nous embarquant nous laissant le rythmer entre ses lignes et ces respirations qu’il nous faut savoir prendre pour lui où bon nous semble qui nous emmène sans jamais nous contraindre jusqu’à sa dernière page dans l’assentiment vraiment il a eu raison de s’ouvrir le rose pâle visage du livre clown au pli duquel s’inscrivent nos émotions aux commissures on a raison d’avoir un petit livre rose et pâle

Jean Palomba


Présentation

Sous forme de courts monologues, un type parle mais de quoi il parle ? Contrairement à ce qu’on peut penser au début on finit par entendre quelque chose qui nous fait dire qu’on n’est pas les seuls. C’est une parole directe qui embarque, de ces figures de tous les jours qui tiennent à leurs mots pour ne pas tomber, en gardant au fond, c’est pas plus mal, ce désir maintenu de savoir si l’autre aussi.


Extrait

Faut voir

ça dépend c’est selon faut voir tout dépend de rien n’est vraiment c’est pas comme si j’étais non moi j’ai pas trop de je fais en fonction n’importe comment ça sert à rien de parce que toute manière y aura toujours je sais pas moi un grain un truc non comme ça moi ça me va je risque pas de je veux dire je m’attends pas comme ça c’est mieux
en même temps j’y pense hein je réfléchis j’ai des images même des fois c’est physique mais c’est tout je non j’ai pas de plus maintenant avant oui des fois je me disais tiens demain j’y serai ce sera le moment pas laisser passer faire tout pour mais en fait à chaque fois c’est ça loupe pas pourtant on le sait mais c’est plus fort que moi maintenant rien non j’attends rien si ça vient tant mieux si ça vient pas et puis j’ai pas toujours je suis pas toujours là à ça dépend c’est selon faut voir tout dépend toute façon d’abord on voit pas hein on le sent pas trop après il suffit de pas grand-chose en fait le plus souvent ça vient comme ça d’abord ça ressemble à rien tu te dis tiens c’est quoi ce truc et pis finalement ça prend de l’ampleur ça te t’as l’impression que ça y est t’es arrivé là où tu t’es dedans quoi ça correspond à tout ce que tu pis on sait pas pourquoi un détail un machin tu te dis tiens j’avais pas vu ça je pensais pas que pis ça prend une forme bizarre ça devient tout alors t’es comme un peu comme un con tu regardes ça de loin pis bon après ça repart comme c’est v’nu voilà ça reviendra comme c’est parti enfin je crois mais je suis pas pressé non plus je prévois pas ça sert à rien je m’tiens prêt mais sans plus faut voir


Lecteur, comédien, auteur, Didier Delahais (1960) expérimente plusieurs formes de théâtre : la rue, l’adaptation de la littérature à la scène, la performance. Des rencontres ont initié et influencé son travail, en particulier : André Riot-Sarcey (Lecoq) pour l’exigence du travail du clown et Jean-Pierre Ryngaert par son approche du théâtre contemporain en prise directe avec le réel. Son écriture met en lumière ce que la parole ordinaire contient comme enjeux d’existence, la voix de l’un tentant de rejoindre l’autre, interrogeant dans cette situation la relation entre identité et langage.


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