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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (avril 2018)

dimanche 8 avril 2018, par Roselyne Sibille

Michèle Finck : Connaissance par les larmes – Arfuyen - 2017

Les larmes, elles sortent des yeux, pulsées par la pompe du cœur qui fait jaillir le trop plein d’émotions sous forme de gouttes d’eau salée comme la mer.

Cette constatation, gageons qu’elle introduise à bon escient Connaissance par les larmes de Michèle Finck, soit 197 pages de connaissance... des larmes – une expérience si éclatante qu’elle vient d’être distinguée par le Prix Max Jacob 2018. Car qui connaît par les larmes est passé par les larmes, les éprouve au tréfonds comme aux confins.

Connaissance par les liesses, les affres et les gouffres, Connaissance par les larmes de Michèle Finck : larmes recèlent en leur cœur cette émotion que les yeux ont aperçue dans un clignement subreptice, dont les joues sont effleurées (insondable ruissellement), dont le visage garde un souvenir raviné – creusement des traits, tarissement de la source... souvenir au visage. Souvenir enfin que les mots fixent : neige sur papier vierge, écriture sympathique des poèmes. Autant de mots, autant de flocons d’émotions.
C’est ce parcours des larmes - du dedans vers le dehors – qu’exprime le corps du texte de Michèle Finck. Parcours, texture et rythmes de cette production lacrymale invasive puis sèche et finalement fertile en poème-biographie, poème-conte, poème-musique, poème-tableaux, poème-films, calligrammes, chœur de poèmes au cœur de neige : haïku, prières, odes, suppliques, confidences, adresses, rage et rêve...

Connaissance par les larmes : désert, élégie, sensations maritimes, visions neigeuses et par surprise regain de joie !... Tour à tour presque tus, à peine dits, murmurés, psalmodiés, chantés, criés dans une cathédrale intime où, malgré la pénombre, resplendissent des œuvres d’art pour l’ouïe, la vue, la voix – comme exsudées de l’écriture de la poète. Une invite au soin par le poème via le salon de musique de l’auteure, son museum dédié à la perte et le florilège de ses films tangués par le flot lacrymal. Amour, mort et mer. Musique, poésie, peinture et cinéma réunis par le lien fluctuant des larmes. Renaissance ?

Et pour ne cesser de clore cette chronique louant la parution de ce Connaissance par les larmes de Michèle Finck, imaginons une larme comme un chef d’œuvre de larme frôlant un chef-d’œuvre de visage. Une larme d’espace onirique et cardiaque où lieux, liens, objets sont évoqués dans leurs plus minutieux détails. Ceux que retient l’esprit revenu sur le territoire de l’enfance. Le deuil allié de l’adolescence, des commencements et des recommencements. Ceux à poindre vers l’amour malgré le désamour. Une rencontre mystérieuse et diaphane vivant dans la mousse des nuages. Présence multiple – tous ces « plusieurs » de l’auteure, poéte, esthète, mélomane, cinéphile, « lutte et rature »... apparus, disparus, réapparus, tous ces signes d’elle à peine palpables et pourtant résonants. Voix polyphonique qu’elle pose sur la neige des pages. De retours en avancées éclairs au sein d’un souvenir-écrin, elle transmet sa connaissance des failles dans le reflet d’un œil mouillé de pleurs devenu regard de larmes. Larme sourdant, sèche ou jaillissante plus loin dans l’histoire qui paraît, mer de mots transis sur langue polymorphe, graphie changeante et juste vocalité au gré du roulis émotionnel. Bouche fermée, bouche mi-close, bouche ouverte.

Extraits :

A la perte

Le lobe de ton oreille   était doux   dans ma bouche.

Je porte en moi notre amour   à jamais
Comme plaie   qui ne pourrit pas.
Cris d’os. Trou
Qui se souvient   de l’écho
Infrasonore   du sperme.

Poésie :   encre hantée.

Dans l’ossuaire brûlant   des mots
Mémoire tremble   de tous ses membres.

Ai perdu   la clé   des larmes.

Somnambule
Sans image
Qui saigne
d’astres
Très anciens
Je bouffe
Du foutre
D’étoiles.

*

Cauchemar

(La cathédrale lévite au loin vers quel Dieu
Absent ou mort ? A-t-il jamais pleuré, Dieu ?
Ou souffrirait-il de la même maladie ? Le médecin,
A qui je pose la question, me tient déjà pour
Folle. La main du ciel ce matin est d’une douceur
Limpide mais je ne peux la saisir avec mes doigts
Trop courts. Voir le squelette du médecin et le mien
Comme au travers d’une radiographie. Derrière eux
Des bancs de minuscules poissons scintillent.)

*
Chœur
(Bouche mi-close)

Apprendre
Les
Larmes
Par
La
Mer

*
Les larmes du large

Se réveiller tôt avec dans la tête le contraste de couleur intense, longtemps médité la nuit, entre le mauve du bougainvillier et le bleu de la mer. Descendre au plus vite vers le bleu, derrière les grands pins parasols, là d’où vient l’odeur d’iode mêlée d’algues apportée par le vent. S’approcher pieds nus du bord de la mer pour écouter, au milieu des mouettes et des martinets, la lallation du large.

Pressentir que l’écume cherche à dire quelque chose, mais quoi ? S’agenouiller sur le sable mouillé et poser avec douceur l’oreille au-dessus de l’écume, à l’endroit où elle est le plus délicatement ocellée de lumière d’aube.

Croire soudain entendre, dans les interstices entre les grains de sable, les glossolalies de l’écume balbutier glissando : « Lar-mes du large. Lar-mes du large. Lar-mes du large ».

Entrer dans la mer de jouvence. Nager, nager à brasses lentes vers l’immensité indigo du large, mue par l’imminence d’une révélation, jusqu’à épuisement et perte de vue de la côte corse dans les brumes de chaleur tournoyantes.

Aimer la mer pour la façon qu’elle a de pleurer d’écume de tout son soûl.

Apprendre les larmes par la mer.

Leçon de vie : se tourner toujours vers le large.

A la tombée de la nuit, sur les vagues peu à peu constellées d’astres, croire un instant les entrevoir ces larmes du large, dans la chute silencieuse d’une étoile filante à la surface de l’eau. Avoir la même révélation, illusoire, à la vue des traînées de pleine lune argentée sur les ridules de la mer.

Nager, nager encore, de jour, de nuit, dans les rêves, dans les cauchemars, jusqu’à comprendre peut-être le secret : les larmes du large sont celles de Dieu ?

Il pleure l’absence d’amour et cicatrise au large.

Même si elles n’existent pas, ou est-ce parce qu’elles n’existent pas ?, il faut chercher les larmes au large.

*

Bouche teintée d’aube
Boire un peu d’écume
Ablution d’azur.

*

Duparc : Elégie
Camille Maurane, Lily Bienvenu

« Tombent nos larmes
Comme la rosée de la nuit. »
La mue de la voix enlace
Qui écoute entre les notes et brûle.
Les pores du piano sont grand ouverts
Et respirent. Grumeaux de mémoire macèrent
Et remontent dans la gorge. Chaque demi-ton
Voûté au-dessus du vide se souvient.
Descente de l’ouïe vers quel noyau
De nuit ? Larmes lapident le noir de l’oeil.

*
Man Ray
Larmes
Centre Georges-Pompidou

Les larmes aussi peuvent être fausses.
Artifices. Mensonges. Truquages.
Trop belles. Miroir, dis-moi,
Qui-est-la-plus-belle-à-voir ?
Mascara pour Noire-Neige.
Rimmel pour danse macabre.
Faux cils. Faux-semblant. Violon
D’Ingres sans musique. Larmes
Simulacres. Camelotes. En toc.

*

Andrei Tarkovski
Le Miroir
Margarita Terekhova, Oleg Jankovski
Philippe Jankovski, Ignat Daniltsev

« Le Miroir » de Tarkovski ? Comme si on entrait somnambule
Dans le poème « Mémoire » de Rimbaud.
« L’eau claire ; comme le sel des larmes d’enfance. »
Tout coule, l’eau, le lait, la pluie, les larmes, tout miroite.
Images et visages vus à travers un liquide amniotique.
Flux lacrymal du temps où nagent et lévitent des corps.
Film-poème, trempé de temps, perdu ou retrouvé, transparent.
(…)

*

Chœur
(Bouche ouverte)

Moi
Arbre
Foudroyé
Calciné
Bois
Mort
Décapité
Refleurir
En
Poème

*

Chœur
(Bouche ouverte)

Les
Larmes
Non
Pleurées
Sont
Celles
Qui
Font
Ecrire

*

Chœur
(Bouche ouverte)

Celle
Qui
Neige
Tient
Tête
Au
Néant

(Page réalisée avec la complicité de Roselyne Sibille)


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