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La Maison de la Poésie de Rennes

mercredi 12 juin 2013, par Cécile Guivarch

Une maison agréable qui organise des rencontres de poésie, à toutes les saisons de l’année. Des rencontres entre ses murs, parmi les livres qui vivent dans les rayonnages de ses bibliothèques, des rencontres dans d’autres lieux : jardins, péniche, bars, rue…
Une maison qui accueille des poètes en résidence, leur permettant de mener à bien leur projet d’écriture pendant deux mois au bord d’un canal. Une maison toute emplie de lumière, confortable et où l’accueil est tout sourire.
Je ne laisserai pas le mystère planer plus longtemps, c’est la Maison de la Poésie de Rennes.

Ce qui m’a donné envie de parler de la maison, c’est un envoi de Sylvie Durbec, qui a été en résidence à la Villa Beauséjour pendant l’automne 2012. Elle y a écrit, elle y a tenu un blog (visible sur le site de la maison). Et elle m’a envoyé cet extrait, parmi d’autres, mais c’est vraiment celui-ci qui m’a interpellée… et pour cause ! Quand je me quinze, une influence de Valérie Rouzeau qui a elle-même écrit en résidence à Rennes Quand je me deux. Et le chiffre quinze, car Sylvie Durbec à l’automne 2012 est la quinzième poète en résidence à la Villa Beauséjour depuis 2004 ; la seizième est Déborah Heissler. Je pense qu’on ne peut écrire dans cette maison sans être accompagné de toutes les voix qui la peuplent, la voix de tous les poètes qui y sont passés. Un lieu qui ferait écrire sur le lieu, aussi. C’est ce que j’ai ressenti à lire les quinze poètes qui y sont passés et y ont laissé une trace.

[lilas]Sylvie Durbecextrait sur le blog[/lilas]

Quand je me quinze à vous le dire...

Lexique menteur. Inflation/déflation.
Marée haute/marée basse : la mer.
Toujours recommencée.

La mer est arrivée dans le canal quartier St Martin
sans crier autrement
que dans le vol des mouettes énervées
et tout de suite
depuis le jardin
on entendait le lointain.
Alors j’ai démarré l’auto
pour aller à St Malo.

Avant moi, à Beauséjour,
il y a eu quatorze poètes.
Je suis donc le numéro quinze.
Je me quinze à vous le dire.

apatride
étranger
sans patrie
SANS
heimatlos
quincaillerie de patrie
aéroports de papier
patries portatives
SANS

devenir piéton de l’air
après jésus marchant
sur la mer

rester modeste
ne pas en faire trop
écouter sa mère

j’ai vu le mont Dol
le menhir du Champ Dolent
et Dol de Bretagne

que faire de toute cette douleur
doulou doulou disait daudet
qui pleurait son malheur
lui restait plus qu’à prier

ALMA MATER
TERRAE REGINA
REGINA MARIS
MARIS STELLA
STELLA COELI

AVE MARE NOSTRUM
ne pas oublier de dire merci

voilà j’écris en latin à cause que je connais pas le breton et que je veux écrire hic et nunc ici et maintenant en haut de la page du livre en breton que je vais écrire ici et maintenant et qui va m’aider je lui dis d’avance MERCI je l’ai vu ce mot écrit dans la petite chapelle du Verger toute remplie d’ex votos et de mercis comme celui qui remerciait en écrivant Bonne mère comme à l’adresse de la Notre Dame de la Garde à Marseille et il y avait de grands mercis et de plus petits sans doute selon qu’on était riche ou pas et qu’on pouvait payer cher la plaque de marbre où graver en doré les cinq lettres
M E R C I



[lilas]Jean-Christophe Bellevauxextrait de Démolition (en attente d’édition)[/lilas]

le monde est trop plein, ma poitrine en déborde
il faut bien commencer par quelque chose
par le monde,
pourquoi pas ?
le monde est plein de douleurs
que les peintres écartèlent,
les poètes, les musiciens aussi
- mettez donc un bémol à mon sang,
jaugez si vous pouvez : tout déborde,
à commencer par la langue
qui est elle-même au commencement
si cela est audible

le monde est plein d’incidents,
d’art pompier, de feux follets
que rien n’apprivoise
ô quoi
bancal et idéal
tordu serait
mais plus pur que le rien,
plus infini que la ligne droite

des choses et encore des choses :
une chaise, un concept,
l’absence de bruit ou son contraire,
la lumière

j’avais écrit :
à quoi bon les phrases
plus à une contradiction près



[lilas]Bernard Bretonnièreextrait sur le blog [/lilas]

« Presque fin de résidence, dite »d’écriture", à Rennes... Ecrire, se baguenauder, bayer aux corneilles, réparer et utiliser une bicyclette, déjeuner dans une crêperie-collège, méditer sur quelques tombes connues ou inconnues, lire dans des cafés PMU, faire son marché en sortant de l’école Pablo-Picasso, s’arrêter à chaque plaque de rue, enseigner des gros mots à nos (ou vos !) chères têtes blondes, goûter (aujourd’hui !) le beaujolais nouveau, militer en faveur du Breizh Cola, suivre vingt kilomètres de rocade vers Saint-Malo quand on doit aller à Nantes, déguster des pâtes de coing, rencontrer un bataillon de moustachus, rêver de musique verte, se réjouir de la venue complice de Francis Jauvain et de Frédéric Forte sur une péniche, acheter des cœurs de palmiers à Bélasie, c’est ça, la poésie ?

Que l’été indien vous tienne en joie "



[lilas]Laurine Rousselet extrait de Crisálida (L’Inventaire, Paris, 2013)[/lilas]

le blanc au ras de l’insaisissable
donne et coule nerf
où va le cœur ravi de la langue
la mer s’en va et délivre
au loin ton sexe me remonte
la chaleur brise l’encre à la craie
je reste à la table mâle
combien de noirs encor’ labours à te regarder ?

la soif est dans l’air
la danse rince l’attente
la fouille déshabille les retombées des nuits
nage page des ventres qui s’aiment
bouches et gorges sucrées
la pente retrouve le temps
où jour après jour nous sommes disloqués



[lilas]Edith Azamqui journal fait voyage, Atelier de l’agneau[/lilas]

Le jour du jour c’est balançoire

Chaque jour c’est plus fort que moi
je m’attrape et :
personne
Dans ma dissociation pleine
un cri aigu me coupe de moi
Dans les os
toujours la musique
des sons clairs…
et puis ce hurlement
parc’ que

parc’ que je ne peux plus
du mensonge
qui nous crache à la gueule
et que malgré tout :
on s’inflige



[lilas]Joël Bastard Entre deux livres, à paraître aux éditions Folle Avoine[/lilas]

Près du sommeil des pluies fines, le fruit mûr d’un poème perd de sa forme dans les herbes.

Le verger s’écroule. Des moucherons stationnent au-dessus des graviers rouges et des myosotis. Sans doute profitent-ils d’une pompe à chaleur qui s’éteint dans le soir.

Une colombe se pose sur le terrain vague. Son collier blanc annonce et retient l’espace, dans un même temps, autour de son cou.

Je respire par petites images.

/

Entre deux livres nous sommes au vent. A l’enterrement de ceux qui n’écouteront plus le dialogue incertain de la pluie et de la rivière. Nous sommes au temps qui demeure un point d’interrogation sur l’aile d’un oiseau qui fond au silence de l’horizon.

/

Le soir, le verger sans histoire. Quelques mouvements de branches, la nuit vient. Un peu de Pétrarque peut-être. Tandis que ma pensée s’effondre, le chant d’un oiseau reste à hauteur de fenêtre.

J’ai tant dormi dans les livres, dans l’incompréhension des livres. Ma fatigue est souvent tombée au fond des livres. Peu importe les auteurs, je ne m’en souviens plus. On ne peut empêcher l’écriture de se faire, les écrivains d’écrire. Les lisons-nous. Lisons-nous ce qu’ils tentent d’écrire.

On n’en peut plus de tenir debout, alors on se couche et, couché sous la couverture du livre, on étouffe. On imagine un mot pour nous sortir de là. Pour nous redresser à l’air sans artifice.



[lilas]Magali Thuillierêtre ainsi, être tel, être cela [/lilas]

25 septembre

un deux trois jours beaux quatre jours sans pluie
en faisant la cuisine la vaisselle ma valise, en silence,
j’écris, sans y penser,
je descends les escaliers, je les monte
le bruit des voitures me dépasse, deux vélos, trois camions
le parquet qui grince la nuit l’odeur des draps les voyants
lumineux des fours
beau temps
du bleu du vert et bleu et vert



[lilas] Sabine Macherrésidence absolue, éditions Isabelle Sauvage[/lilas]

il y a beaucoup de choses à décrire dans la chambre et la salle de bains où il se douche dans la même douche que DENISE DESAUTELS où elle fait pipi dans le même récipient que PATRICK BEURARD-VALDOYE (plutôt caca pour être à la même place) où il me brosse les dents au-dessus du même lavabo que VALERIE ROUZEAU

*

elle ne sortira jamais de cette maison. il lit dans le livre de LIONEL BOURG sans couper les pages qu’il est allé au cimetière où elle veut aller, c’était sa grande future promenade. si elle est déjà faite. il passe l’aspirateur, il faut changer le sac, ça ce n’est pas fait. elle achète du vinaigre de cristal pour la douche : ce sont leurs œuvres inaugurales dans les maisons : décongeler le frigidaire et décalcifier les carreaux dans la douche.
sur la porte il y a la tête de MARAM AL MASRI non il doit me tromper en tout cas sa photo et l’adresse de VALERIE ROUZEAU. DOMINIQUE GRANDMONT a donné un avis défavorable à la lecture de son premier manuscrit que ALAIN VEINSTEIN a publié ensuite et c’est pour ça qu’elle est là.



[lilas]Maram Al Masri Le retour de Wallada, éditions Al Manar[/lilas]

J’habite ta demeure
moi qui n’ai pas de demeure
Moi qui depuis mon départ
vagabonde dans les ruelles de la mémoire
Errant comme une bergère
qui perdit son troupeau

Moi qui pour patrie n’ai plus
Que les mots et le papier
Moi qui pour lit n’ai plus
Que le trottoir de l’espoir
Je reviens à toi
Afin que tu me consoles
et me fasses renaître
après l’immense chagrin



[lilas]Valérie RouzeauQuand je me deux, éditions Le temps qu’il fait[/lilas]

SEIZE THE DAY (CARPE DIEM)

Aujourd’hui quatrain deux mille neuf
Sur la petite ville où je gîte
Le soleil brille jusqu’aux poussettes
Les bébés braillent comme des marchandes

Je veux attraper ce dimanche
Entre les mailles de mon filet
Gros poisson d’argent préparé
Ce quatre janvier ruisselant

Cueillir les roses de la vie
Epines écailles ceci cela
Garnir un bouquet chanceuse moi
Au marché marcheuse sans marmaille

Lundi a le temps d’arriver
Et l’eau de couler sous les ponts
Pour l’heure je la mets à bouillir
J’y jette nulle éponge ma dorade.



[lilas]Lionel BourgLe chemin des écluses, éditions Folle Avoine[/lilas]

Comment écrire, après ça ?
Comment s’acquitter de cette tâche ou, villa Beauséjour, dans l’appartement mis à ma disposition, tracer à l’intérieur de mes carnets autre chose que des phrases crayeuses, qui s’ébrèchent lorsque le temps ou l’inexpiable durée qu’elles réclament ne les étaie plus, les abandonnant à la friabilité, l’indigence d’une pensée, d’un monde, même, qu’elles drapaient autrefois, auquel elles aspiraient du moins et comment l’assouvir,

Elle est retrouvée !
Quoi ? L’éternité.

après tant d’échecs, tant d’itinéraires absurdes aux confins du langage, l’exigence, en soi, de que l’on suppose être encore la mer, le soleil, la poésie ?
Et l’eau, l’eau qui très lentement, comme adipeuse, visqueuse par endroits ou pareille à de la tôle rayée quand s’envole un couple de canards, s’écoule, va, revient, clapote entre les murs de l’écluse Saint-Martin […]



[lilas]Dominique Grandmont Transversale Nord, éditions Apogées[/lilas]

N’ont plus d’histoire avec
cerveaux dehors immeubles
tranchés sur vide tu es

Ma voix d’après les siècles
quand le monde est trop beau
pour être ce qu’il est comment

L’ombre est-elle une source
inguérissable mon
sang vitesse dernière

Ces armées de poussière
enfuies pour échanger
hasard contre destin



[lilas]Patrick Beurard-Valdoye - L’Europe en capsaille, édition Al Dante[/lilas]

« À la tombée du jour Schwitters
distinguait les formes récives sombres
d’Ouessant son contrefort Keller
aux allures de château en ruine
qui voit Ouessant voit son sang
il devinait le goulet de Brest
où la côte s’interrompait
éteinte d’épais nuages. »

« prose cadencée qui souvent
soutira le poème du naufrage
revigora son narré malade
à moins que vers libres qui font dans la page
le poème porter à droite
si par ailleurs l’Europe est césurée
par son flanc droit »



[lilas]Denise DesautelsLe cœur et autres mélancolies, éditions Apogées[/lilas]

Le mardi 15 novembre

Mon amour au téléphone : il neige à Montréal. Ici, autour de la Villa, sur les roses rouges qui ne veulent pas mourir et sur le canal, il fait gris. / Ici, mes jours sont comptés. Les rencontres-lectures vont se multipliant. Deux le 17 : l’une à la bibliothèque municipale Nord-Saint-Martin, l’autre à la Villa Beauséjour ; deux le 18 à plélan-le-Grand, une le 22 à Brest, une le 23 à la MJC de Cleunay et deux le 1er décembre au collège Beaumont de Redon. […]

*
Prématurément, jusqu’à satiété

La nuit s’est placée, et l’exactitude divine, et la loi du silence dans l’intégralité du corps maternel. Or, aujourd’hui, la fouilleuse d’archives familiales trouve insolite sa propre indifférence à votre égard. Plus d’un demi-siècle d’incuriosité quasi autistique. Pas ici mais ailleurs, sur un autre plan et dans un autre registre, son inconsolation et pourtant. L’archéologie prise en défaut. Ses mains poreuses, vos silhouettes et vos paroles anciennes égarées entre des couches d’abîme. Puis rien. Ni le pourquoi ni le comment, sauf ce diagnostic rapide d’un cœur qui n’a pas tenu le coup. Prématurément, jusqu’à satiété. Et vous qui aviez été là n’y étiez plus. Et cette façon qu’a eue votre femme, sa mère – sa bouche incessante, pleine de vous, avide, goulue, en ce qui vous concerne, mais toujours en deçà du sûr, de l’authentique -, d’occuper le devant de la scène, l’encombrant de tumultes et de tombes, en ayant l’air d’entretenir votre mémoire, ne la disculpe pas.



[lilas]Jean-Pascal DubostNerfs, éditions La Dragonne [/lilas]

(17 novembre)

Comme une traîne de poudre d’SMS par tous les bars rue de la soif se répand l’arrêt malévole sans appel que ni technival ni teuf ni rave autorisés par préfète à Rennes ailleurs pas plus que nulle part aller au diable vauvert ruer le diable à quatre et ribaler, ribler, sauter, danser, faire les tours et rouler jeunesse dans l’herbe y consommer vos grogs et vos poissons dans un fil des heures qui passent à trop grand bruit, ribauds, teufers et autres suspectz à la dite ville, sans porter de jugement, « les débordements nous inquiètent », biz, et A12C4 –



Sur le site de la Maison de la Poésie de Rennes, on suit le programme des lectures et manifestations à venir. On regarde les photos des manifestations passées. On écoute des passages audio, on visionne des vidéos. On trouve un dossier complet sur chaque résident. On ouvre la sonothèque. On fait la sieste dans le jardin de la villa.

et puis suivre le blog de Déborah Heissler, actuellement en résidence... Elle aussi habitée par le lieu... La preuve :

[lilas] Déborah Heissler - Chambre / Bouche ouverte sur le temps[/lilas]

Gwénola que je ne reconnais pas immédiatement, mais qui me sourit ; c’est pour cela que je me dirige vers elle. On s’est un peu cherché, pendant quelques minutes, le temps de s’appeler et de se manquer - téléphone en mode silencieux qui n’arrange rien, de mon côté. Il est quinze heures trente, accueil chaleureux à la gare.

Quelques minutes plus tard, on me présente Alexandre, qui me présente un de ses amis venu lui rendre visite et qu’il héberge chez lui. Puis on repart au centre ville. Premiers clichés. On suit Alexandre, qui lui aussi nous prend en photo et on s’arrête pour boire un verre. J’ai oublié le nom de cette bière sucrée qu’on nous a servie, que je trouve forte, avec un petit goût de réglisse. D’autres photos encore, et puis on rentre. Gwénola nous attend. Jacques va arriver et quelques autres avec lui. Nous ferons un peu mieux connaissance dans la soirée.

Au moment de regagner ma chambre, je découvre une cheminée sur laquelle son rangés plusieurs recueils. De la poésie il y en a partout, sur les murs, les étagères, le bureau ; Ariane Dreyfus (Flammarion), Lambert Schlechter (L’Escampette), Jean-Luc Steinmetz (Le Castor Astral), Edith Azam (POL), Valérie Rouzeau (Le temps qu’il fait), Christiane Veschambre (Cheyne), Robert Nédélec (Wigwam), Seyhmus Dagtekin (Le Castor Astral) et combien d’autres ? Je me promets d’aller voir en bas au rez-de-chaussé, dès le lendemain matin et m’écroule sur le matelas
(feuillette...

Tous ces chatouillements sonores à se chercher
les yeux

(Extraits cités de Seyhmus Dagtekin, Les Chemins du nocturne, p. 31.)



Cécile Guivarch


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