Entretien avec Nicolas Gaislin, par Florence Saint-Roch
1. Le Rosier grimpant a désormais une douzaine d’années - autant dire qu’il a bien pris racine, et s’est amplement développé. Pouvez-vous retracer la genèse, l’histoire de sa création ?
Sarah Didier-Charlet et moi nous sommes rencontrés au collège Angellier de Boulogne-sur-Mer, tous deux lyonnais d’origine, tous deux venus enseigner le français dans le Pas-de-Calais et tous deux encore fermement installés sur la Côte d’Opale. Les livres ensuite qui ont tant compté dans nos familles, les volumes soigneusement reliés, les études de lettres modernes. Nous avons découvert enfin ces livres dits d’artistes qui se font une place entre le livre et l’œuvre d’art, qui se déjouent des contraintes de la forme pour se poser des questions de fond. Enthousiastes et frustrés de ne pas pouvoir nous les offrir, nous nous sommes dit en sortant d’une librairie : « Et si nous les fabriquions nous-mêmes ? » Sarah pratiquait la gravure depuis quelques années à l’école d’art de Boulogne et tout nous sembla possible.
2. Choisir ce nom, Le Rosier grimpant, pour une maison d’édition, est hautement signifiant. Car on le sait, ce rosier aux poussées très actives a toutefois besoin d’un support solide guidant ses possibles expansions. Est-ce là ce qui définit votre ligne éditoriale - et, de façon plus profonde, votre travail d’éditeur ?
Il faut avouer que le nom s’est imposé avant la signification. Sarah habitait une maison de ville avec un minuscule jardin dans lequel poussait amplement un rosier grimpant. Elle rappelait à qui voulait l’entendre que ce rosier était un « Pierre de Ronsard ». Les fleurs y sont nombreuses, les pétales très serrés, offrant un beau dégradé du rose au blanc. On les croirait artificielles si leur léger parfum ne venait nous assurer qu’elles sont véritables.
Nous sommes dans le salon dont une fenêtre donne sur le jardin, on cherche un nom pour l’association que nous sommes sur le point de créer, je regarde vaguement dans cette direction… Et pourquoi pas Le Rosier grimpant…
Après oui, nous avons cherché et trouvé non sans plaisir que le rosier ne grimpe qu’à la condition qu’on l’y aide, qu’on haubane ses longues branches, sans quoi elles ploient, retombent. Le rôle de l’éditeur était défini selon nous.
3. Faire la part belle aux livres d’artistes est courageux - autant que passionnant. Pouvez-vous, en regard des ouvrages que vous avez créés, exprimer ce qui fait à chaque fois la nouveauté d’une expérience ? Quelles ont été vos découvertes, vos surprises ?
Nous aimons les livres, tous les livres, de poche ou de tête, « pauvres » ou enluminés. Se lancer dans la conception d’un livre d’artiste c’est à chaque fois pendant de longs mois, chercher ce qui fera de ce livre un livre différent, rare et précieux. Un éditeur cherche ordinairement à se faire une identité qui le caractérise : un catalogue, des auteurs, un format, une couverture, que le lecteur reconnaît immédiatement. Notre démarche est de ce point de vue inverse. Sans l’avoir préalablement délibéré, chacun de nos livres s’est rêvé, élaboré, fabriqué, présenté au public d’une façon différente.
L’une des grandes surprises c’est que le Rosier existe encore après 12 ans d’existence. L’autre est le soutien et l’intérêt que des personnes nous ont accordés : libraires, bibliothécaires, artistes, écrivains, institutions…
Normales saisonnières, texte de Gérard Farasse, peintures et céramiques, Michel Joulé et Patricia Savouret-Joly, avril 2010
4. Vous le rappelez dans une récente interview, la conception et fabrication ne suffisent pas à rendre vivant le livre : il faut aussi le montrer, le diffuser - le partager. Comment vous y prenez-vous pour rendre visibles les ouvrages que vous réalisez ?
C’est une évidence que cependant nous n’avions pas mesurée : faire des livres est une chose, les présenter, les faire connaître, les vendre en est une autre. Et la seconde est tout aussi essentielle que la première. Des livres dans des cartons, c’est comme si nous n’avions rien fait. Nous ne sommes pas diffusés. En revanche nous sommes adhérents de l’association des éditeurs des Hauts-de-France. Nous sommes également en contact avec l’A2RL (l’Agence Régionale du Livre et de la Lecture) qui nous aide en nous offrant une place dans quelques grands salons tels que Le Marché de la poésie. Des librairies acceptent nos dépôts : la librairie de l’Horizon à Boulogne-sur-Mer, la libraire du Channel à Calais notamment. Nous avons également toujours été soutenus par la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer, et ce depuis le premier livre. Celle-ci a organisé une manifestation magnifique pour les 10 ans du Rosier en 2018. Enfin, pour chaque livre, nous organisons une petite manifestation : lecture, spectacle, rencontre. Nous varions les formes et les artistes intervenants.
Emboitage
5. Avez-vous, en tant qu’éditeur, un rêve, des rêves de livres à inventer ? À terme, qu’aimeriez-vous expérimenter, quels sont vos projets ?
Nous avons réalisé deux rêves de Sarah : faire un livre d’artiste avec Nathalie Grall, et publier un lai de Marie de France en ancien français et nous avons publié des écrivains que j’aime particulièrement comme Antoine Emaz ou Gérard Farasse.
Nous avons actuellement deux projets en cours : la publication d’un texte inédit de Pierre Bergounioux sur l’artiste Coco Téxèdre et un livre inspiré des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos avec l’artiste Marine Giacomi. Nous publions un à deux livres par an. Le hasard a souvent part dans nos projets. Nous lui laisserons donc le dernier mot.
La toute dernière publication du Rosier grimpant : À la renverse, d’Eric Didier avec des encres de Nathalie Grall