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Le mur de Fès pour traverser | Fouad Bellamine & Mohammed Bennis

dimanche 23 février 2014, par Cécile Guivarch

Le poète a pour tâche de dessiner sur du dessin, d’écrire sur l’écriture, nous dit quelque part l’écrivain marocain Abdelfattah Kilito. Une assertion on ne peut plus de mise ici, puisqu’il s’agit en l’occurrence de deux œuvres poétiques majeures, l’une d’expression plastique et l’autre littéraire, dont la tâche primordiale de leurs auteurs respectifs, Fouad Bellamine et Mohammed Bennis, aura été jusqu’ici de peindre sur de la peinture et d’écrire sur l’écriture. Avec comme support, dans les deux cas de figure, un mur, le mur de Fès, tel qu’il se dresse assourdissant au travers des deux œuvres.
Le mur de Fès dans tous ses états ambivalents…

__ Arpentant de long en large - et même de biais - ce mur porteur de tous les palimpsestes passés et à venir, la peinture de Bellamine se veut essentiellement démarche conceptuelle liant le geste à la… mémoire. D’où la prédilection de l’artiste pour le grand format, à même de contenir cette expression, ainsi que le recours quasi exclusif à l’acrylique, technique censée restituer cette mémoire dans toute sa densité « immense et compliquée ».
D’essence lyrique, cette expression abstraite n’en connaîtra pas moins deux étapes essentielles dans son évolution.
D’abord austère et, par ailleurs, difficile d’accès, l’œuvre picturale de Bellamine allait progressivement se décanter et donc, s’émanciper de ce mur clos qui fut le sien durant les années 70.
D’où les termes de cette nouvelle approche picturale, à commencer par la lumière poussée à son extrême degré d’intensité : la transparence, que ces réminiscences arrachées une à une au mur accentuent, ces quasi représentations entrevues tantôt : l’arcade, l’oiseau… Et il y a la couleur certes, mais plus encore, il y a cette obsession à vouloir coûte que coûte meubler l’espace tableau, histoire, peut être, de se dénicher une perspective, une issue, si infime soit-elle. Avec bonheur ou pas, peu importe finalement, du moment que ce culte très acrylique - parce que très mural et vice versa – nous donne plus d’un gage de la bonne foi de son gourou.

Pour Bennis, il s’agit de donner à voir dans le même mur, à travers son texte Al Makanou Al Wathani (L’Antre païen, éditions Toubkal, Casablanca, 1996). Entendons-nous, c’est du jet initial et spontané, paru en 1989 dans la revue londonienne Mawakif (n°58,1989), dont il s’agit ici, et non du texte revisité plus tard. Toujours est-il que pour le poète, cet éternel solitaire qui n’est « ni héros ni martyr », traverser un mur revient à assumer pleinement sa propre destinée tendant encore et toujours à dériver vers d’autres absolus, selon l’expression de René Char. Aussi et tant qu’à faire, pourquoi pas une brèche pour entamer ce mur assourdissant ? Juste une brèche dans ce mur si blanc, pour ouvrir sur les « terrasses de lichen », sur ces « anciennes tours qui se relâchent déjà », sur le cérémonial de ce « grand sacrifice rituel (…) le turban de lin / l’autel / le chandelier de pierre purifiée »…et enfin sur le chant à déclamer, lequel, consécutivement, « ouvrira les portes, toutes les portes du dôme ». Bref, une brèche par où s’insinuera fatalement la « tribu des mots ». Une brèche incantatoire pour traverser.

Aziz Zaâmoune

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Découvrir le travail de Fouad Bellamine

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Lieu païen Mohammed Bennis

Extrait

6

Langue jetée sur des jardins de roches
là où débutent leurs détours
Les solitaires
ne volent pas
leur solitude
ils lui doivent cette ascension vers le dedans
leur montée vers le mutisme du secret
comme s’ils appartenaient à l’oubli du temps
On dirait que leur chant d’adoration est pareil aux vagues
dès que leur voix est liée à un corps tatoué par les vents
et par ces tranches de jour qu’on voit sur les visages des partants

D’un état d’âme à un souffle
D’un souffle à un état d’âme

Là-bas des chuchotements
des cygnes gavés de tranquillité
des mesures de soleil
des traces de races anciennes
et la fréquence des passages

7

Silence C’est le feu
qui lance la graine de la fièvre
dans les organes

Coup de couteau
tes mains s’agrippent aux fentes du vide
Les parties de ces roses
ont explosé dans tes poumons
Ne raconte à personne la fin de l’histoire
supporte la braise de la passion
et reçois la mer

Voici tes barques Les tiennes
et la proximité des pierres
et ce qui reste des troncs
Ton commencement débute
au bord extrême des éloges

Seconde après seconde
l’archipel brille
Va vers ton feu ou vers ta mer
Dès maintenant
tu entres dans la quiétude
la jouissance de tes mains
Tu bois une malédiction
Prépare ton matin pour dorloter un sang
que tourmente une rumeur
Laisse sur les pierres
une élégie l’écho des naufragés

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Traduction de Bernard Noël
Editions de L’Amourier - 2013


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