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Le sens du vent de Florence Saint-Roch

samedi 2 juillet 2016, par Cécile Guivarch

« Nos pieds seuls sont sur terre / Tout le reste est dans l’air  »
Est-ce qu’on a le droit de proposer la lecture d’un livre à partir de sa fin ? D’abord, qu’est-ce qui nous assure que l’auteure a écrit les choses dans l’ordre ? Qu’elle n’a pas réorganisé son bazar après-coup ? Donc LE SENS DU VENT de Florence Saint-Roch se termine par un cahier de prose intitulé CARNETS DE ROUTE DES PESTIFERES ; il éclaire tout le livre (je trouve). On y apprend que Roch (qui n’est pas encore saint - je résume), atteint de la peste, est sauvé par un chien (libre) qui lui apporte nourriture et soin. « Le poète doit mettre en œuvre les qualités de ce chien exemplaire, et montrer, dans le moindre de ses écrits, une fidélité active et signifiante ». Mais si le poète doit faire montre des qualités du chien, il est aussi, comme Roch, un pèlerin : il « emporte tout dans sa besace sans préséance ni hiérarchisation : silex, quartz ou pierres précieuses » : « sa besace est son trésor ». D’ailleurs Florence Saint-Roch donne comme conclusion (provisoire) à ce cahier « A l’instar des pestiférés, je marche. J’écris en marchant. Mon carnet de route m’accompagne partout, comme le ferait un chien ». Étonnante boucle.
Ce livre, LE SENS DU VENT, est composé de sept cahiers. Le 6ème, et avant-dernier, PESTE NOIRE, dit justement ce qu’est être pestiféré.e. Je ne vais pas vous faire un dessin, souligner la réalité à gros coups de marqueur, faire sonner les trompettes métaphoriques. Le voici par citations : « On n’ose pas dire / Quel mal nous ronge…/…On cherche quelle faute grave / On pourrait confesser …/… On ne savait pas / A quel point / On pouvait être nuisibles …/… S’il on pouvait disparaître / Ce serait mieux / Pour tout le monde  », puis (enfin ?) « Sans qu’on s’explique pourquoi / Les malédictions se sont tues …/… Il devient urgent / D’habiter notre nom …/… On respire mieux  ». Donc Saint-Roch, j’imagine.
Après l’épreuve de la peste noire, On respire mieux, je reprends donc le livre par son début. Les cinq premiers cahiers (1° LE SENS DU VENT ; 2° GRIS ; 3° APPEL D’AIR ; 4° PLEIN VOL ; 5° LARGE) disent donc ça « Nos pieds seuls sont sur terre / Tout le reste est dans l’air  ». Chaque cahier est une suite (bon je me risque) façon Guillevic. Prenons le 1er comme exemple (les autres cahiers marchent pareil) LE SENS DU VENT : on y est sous l’emprise du vent. Vers brefs, distiques, tercets, pas souvent plus. C’est d’abord descriptif, les effets extérieurs du sujet (ici le vent) « Arbres dépenaillés / Tout autour », « Sa crépitation / Comme éprise d’elle-même / Avive l’espace  » (vous êtes assez grands pour entendre la pâte musicale ? Je n’insiste pas). Puis c’est comment l’être réagit au vent, comment on reflue, comment on résiste, comment on se joue de ses humeurs, comment on se laisse courtiser, comment le vent s’impose à nous, comment il nous déballe et nous emballe, nous met à nu, comment on jouit de lui, et comment il vient à nous manquer « on prend le ciel à témoin / Suppliques au vent / Pour qu’il revienne / Nous reprenne/…/ On l’attend / Vraiment prêts / Cette fois / A lui donner / La meilleure part ». Comment le vent « fait sens » (comme on dit de nos jours).

Façon Guillevic, disais-je, mais sans le côté affirmation (péremptoire quasi) de l’auteur de CARNAC. Les suites de Florence Saint-Roch sont plus tremblantes. Plus inquiètes. Plus troublantes. Plus physiques, plus sensuelles. Plus jouissives. Elles sont plus dictées par les sens que par la réflexion. Tous les sens en éveil ? En accueil plutôt. Une façon d’être multidirectionnelle. Ouverte aux mystères du monde et aux mystères du soi, du monde en soi, de soi dans le monde, etc. Ainsi Florence St Roch écrit-elle dans GRIS (2ème cahier du livre) : « Nos silences / S’épaississent / Là-haut // On ne se croyait / pas capables / D’une telle densité » ou « L’éternité est en nous ». Ou « L’air répond à notre appel » (in APPEL D’AIR bien-sûr). Quelque chose d’une « mystique païenne » ? D’une ivresse religieuse ?
Ce qui n’empêche pas les pointes d’humour « Nous on n’est pas des flèches » ni l’ironie « On aimerait pouvoir se rattraper aux branches ».

Ah, conclure ! Ce livre, c’est plusieurs en un seul. Un livre à multiples lectures. Riche. Auquel on repense. Qui nous travaille. Qui parle à tous nos sens. « On le croyait dehors / Il est aussi dedans  ».

Ed. TARABUSTE – 156 p, 15 € - Rue du Fort – 36170 St Benoit-du-Sault

Christian Degoutte


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